Publié le 5 Jul 2021 - 23:12
PASS VACCINAL EUROPEEN

Quand la politique prend le dessus sur la santé

 

Entré en vigueur le 1er juillet dernier, le pass sanitaire européen soulève des vagues de contestations dans certains pays producteurs ou consommateurs des vaccins comme AstraZeneca/Inde et Sinopharm. Reconnus par l’Organisation mondiale de la santé, ces vaccins ne sont pas homologués par l’Agence européenne du médicament (Ema).

 

Y a-t-il des vaccins pour les pays développés et des vaccins pour les pays pauvres ? La question se pose de plus en plus dans certains pays en développement. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase reste cette décision pour le moins incompréhensible de l’Union européenne, qui rechigne à inscrire le Covishield, vaccin d’AstraZeneca fabriqué en Inde et qui est majoritairement utilisé en Afrique, dans son passeport vaccinal.

Pour l’Europe, les seuls vaccins éligibles à ce mécanisme qui permet de voyager plus facilement dans son espace, sont les vaccins validés par les autorités sanitaires européennes compétentes, à savoir : le vaccin Comirnaty de Pfizer/BioNTech, celui de Moderna, le vaccin Janssen de Johnson & Johnson…

Le plus cocasse dans cette affaire, c’est que l’UE admet le vaccin Vaxzevria, dont la seule différence avec le Covishield, selon les scientifiques, c’est d’être fabriqué dans son espace et en Grande-Bretagne, et non en Inde. Une ‘’discrimination’’ qui en a choqué plus d’un scientifique dans le monde.

Ancien directeur de la Lutte contre la maladie, Dr Idrissa Talla, épidémiologiste, a encore du mal à comprendre les tenants et aboutissants de cette décision. D’après lui, cela parait plus politique qu’autre chose. ‘’C’est, à mon avis, grave et très dangereux dans ce contexte où toutes les énergies sont mobilisées pour encourager les populations, partout dans le monde, à aller se faire vacciner’’.

Selon lui, à partir du moment où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) homologue un vaccin, il faut faire confiance à ce vaccin. ‘’Je pense qu’on peut faire confiance à l’OMS sur ce registre. Mais quand c’est un vaccin qu’ils (les Européens) sont eux-mêmes en train d’utiliser dans leurs territoires, c’est encore plus scandaleux. Et c’est le cas du vaccin AstraZeneca qui, même s’il est fabriqué en Inde, a les mêmes garanties que le Vaxzevria. Pour moi, ce n’est rien d’autre que de la politique et ce sont les politiques africains et des Etats concernés qui doivent le prendre en charge’’.

Pour beaucoup d’observateurs, ceci n’est qu’une nième preuve du mépris de l’Europe envers les Etats du Sud. Mais pour le moment, ils sont rares, les Etats, à s’être officiellement prononcés sur la question.

Pays producteur du Covishield, l’Inde, quant à elle, n’a pas perdu du temps pour manifester son courroux, renforcée qu’elle est par l’homologation du même vaccin par d’autres Etats non moins développés comme le Canada, mais aussi et surtout la position de l’OMS sur la qualité de ce vaccin. Sur RFI, le Dr Richard Mihigo, chargé de la vaccination à l’OMS-Afrique, assurait que le vaccin Covishield est exactement le même vaccin, en termes de qualité et d’efficacité, que le vaccin (d’AstraZeneca) actuellement produit et homologué en Europe. ‘’Mais, relativisait-il, comme le vaccin Covishield n’était pas destiné à être utilisé dans l’espace de l’Union européenne, il n’a pas été soumis pour homologation au niveau de l’Agence européenne du médicament. Ça n’enlève en rien la qualité de ce vaccin’’.

Aussi, renseigne le spécialiste, la validation des vaccins se fait de manière rigoureuse par des experts indépendants. Dans le même sillage, pour pallier le défaut de demande d’homologation invoqué par les autorités européennes pour justifier leur décision, le fabricant indien du Covishield a accompli les formalités pour que son vaccin soit intégré au dispositif ; un processus suivi de près par le pays de Narendra Modi. Déjà, la pression semble en passe de porter ses fruits, car plusieurs pays européens se sont démarqués de la mesure communautaire.

Il en est ainsi de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Suisse et de la Hollande qui ont reconnu le Covishield. Pendant ce temps, la France continue de trainer les pieds, au grand dam de certaines organisations et voyageurs.  

Les gouvernements africains doivent réagir

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette décision de l’Europe ne manque pas de susciter indignation, dépit et inquiétudes chez certaines populations africaines, malgré les assurances données par l’OMS et d’autres organisations compétentes. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le vaccin Covishield est ‘’une copie du vaccin Vaxzevria autorisé en Europe et fabriqué par AstraZeneca. C'est le même vaccin utilisant la même technologie, mais avec des sites de production différents’’.

L’agence française affirme, en outre, que ‘’les sites de production en Inde sont en cours d'évaluation par les autorités sanitaires européennes, afin de les inclure dans l'autorisation de mise sur le marché déjà délivrée au vaccin Astrazeneca en Europe’’.

Dans la même veine, l’UE tente de rassurer, en rappelant l’importance de la vaccination dans la lutte contre la Covid-19. ‘’L’UE explique que l’OMS et l'Académie nationale de médecine de Madagascar (Anamem) ont homologué ce vaccin et que l’Agence européenne du médicament (Ema) travaille de manière indépendante et n’a pour vocation que de guider la Commission européenne pour autoriser la vente de médicaments aux pays membres’’, lit-on sur RFI.

Par ailleurs, sur la question des autres vaccins homologués par l’OMS, mais pas en Europe, les choses semblent encore plus compliquées. Toutefois, il convient de souligner que la décision européenne relative au pass vaccinal n’est pas aussi contraignante, dans la mesure où la Commission européenne a laissé aux Etats membres la possibilité d’accepter ou non d’autres vaccins. Et selon les pays, les décisions diffèrent. Par exemple, en Grèce, on reconnaît même le vaccin russe Sputnik V qui n’a pas encore l’homologation de l’OMS. Une mesure aux relents purement économiques et touristiques.

Par contre, en France, comme dans la plupart des autres pays européens, les autorités ne reconnaissent que les vaccins approuvés par l’Agence européenne du médicament. Ce qui exclut la plupart des vaccins administrés dans le continent africain, même s’ils sont homologués par l’Organisation mondiale de la santé. Comme quoi, la levée des restrictions est loin d’être une actualité pour les voyageurs africains.  

Même si les ressortissants des pays en développement sont les principales victimes de la mesure inique de l’UE, cette dernière n’a pas manqué de faire des dégâts collatéraux. Certains Français établis à l’étranger, notamment en Afrique, en subissent également les effets pervers. Sur France 24, François Legros, Professeur au lycée Jean Mermoz de Dakar, témoignait : "J'ai reçu deux doses du vaccin de Sinopharm, mais l'Union européenne ne veut pas en entendre parler. Je rentre en France jeudi pour les vacances, mais je me sens frustré, parce que je ne vais pas être considéré comme vacciné par les autorités. Je ne vais pas pouvoir aller à des concerts, par exemple." Contrairement à ceux qui ont pris les vaccins validés par l’Agence européenne des médicaments, lui devra, en plus du test, s’isoler pendant sept jours.

Pour l’heure, ils sont nombreux les scientifiques qui estiment que les Etats africains devraient réagir pour exprimer leur position sur la question, qui reste plus diplomatique et politique que sanitaire ou scientifique. Interpellé sur la question, ce spécialiste refuse catégoriquement de s’attarder sur la question, au motif que cela n’a rien de scientifique. Il peste : ‘’Je ne veux même pas mêler mon nom à cette polémique. Je ne vois vraiment pas la pertinence d’une telle décision.

Encore qu’on n’a pas vu de document officiel qui en parle de manière sérieuse. Scientifiquement, il faut savoir que la référence mondiale, c’est l’OMS, pas l’Europe. Si le produit indien était différent du produit européen, on aurait pu comprendre. Mais tel n’est pas le cas. C’est pourquoi cette mesure, vraiment, a son explication ailleurs et c’est à vous d’aller chercher les véritables arguments de cette mesure.’’

A la question de savoir si la mesure ne peut pas ralentir davantage la vaccination, il rétorque : ‘’Si les Africains ont pour référence l’Europe, là, il peut y avoir d’incidences. Si c’est le Canada, les Etats-Unis, l’OMS, là, il n’y aura pas d’incidence. Et, franchement, je pense que c’est le message à faire passer. On s’en f… de ce que disent les autres. Il faut inviter nos populations à se vacciner.’’

Tandis que les scientifiques peinent encore à trouver des explications rationnelles à la mesure européenne contre le Covishield, d’autres estiment que c’est comme si l’Europe voulait saisir l’occasion de la pandémie pour lutter contre les flux migratoires en provenance du continent.

‘’C’est vraiment aux gouvernements dont les populations sont affectées de faire entendre leur voix’’, peste cette haute autorité de la santé.

MOR AMAR

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