Qu’est-ce qui fait encore courir Moustapha Niasse ?
Sa silhouette aura traversé tous les régimes qui se sont succédé à la tête du pays depuis l’indépendance survenue en 1960. Moustapha Niasse, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, aura décidément marqué la vie politique du Sénégal indépendant. Le parcours politique de cet homme est tout simplement exceptionnel tant ‘’Sa Keur Madiabel’’ passe pour être un hôte (de marque) à s’inviter à la table des différents pouvoirs qu’a connu le Sénégal.
Après une carrière dans la haute fonction publique où il aura été Directeur de cabinet du président Léopold Sedar Senghor, Moustapha Niasse est nommé ministre de l'Urbanisme, de l'Habitat et de l'Environnement, le 15 mars 1979, et ministre des Affaires étrangères le 19 septembre 1979, puis Premier ministre en avril 1983 pour un mois, sous le régime du président Abdou Diouf. Seulement, Moustapha Niasse a longtemps gardé au travers de la gorge le poste de Premier ministre à lui promis par le président Senghor et que le président Diouf a préféré confier à son ami Habib Thiam. Une ‘’trahison’’ de Diouf que Moustapha Niasse ne lui pardonnera jamais.
C’est pourquoi que le compagnonnage de Moustapha Niasse avec Abdou Diouf n’a jamais été un long fleuve tranquille tant au niveau de l’Etat qu’au sein du Parti socialiste. Comme en atteste l’incident survenu en 1984 lorsque le sanguin Moustapha Niasse administre une magistrale baffe au ministre de l'Information, Djibo Kâ, qui lui reprochait, lors d'une réunion du bureau politique, d'être constamment en mission et de ne pas s'occuper de la vie du Parti. Cela s’est passé sous les yeux d’un président Abdou Diouf interloqué. On connaît la suite. Moustapha Niasse qui était directeur politique du Parti socialiste, est ainsi évincé du gouvernement.
Des couleuvres et de l'étouffement
Mais, les couleuvres avalées par Moustapha Niasse au sein du Parti socialiste vont l’étouffer littéralement et le pousser à la révolte lors du fameux ‘’congrès sans débat’’ de 1996 au cours duquel lui, le chef de file des ‘’refondateurs’’ et grand cacique du Parti, s’est vu préféré Ousmane Tanor Dieng, chef de file des ‘’rénovateurs’’, par le président Abdou Diouf. C’en était vraiment de trop pour un Moustapha Niasse qui estimait n’avoir pas été rétribué à sa juste valeur. Et ce qui devait arriver, arrivât : Moustapha Niasse claque la porte du Parti Socialiste et fonde, à la suite de son mémorable Appel du 16 juin 1999, l’Alliance des forces du progrès (AFP).
Porté par un formidable élan populaire des Sénégalais qui voyaient en lui une victime du régime socialiste finissant dont il était pourtant un des plus éminents barons, Moustapha Niasse suscite autour de sa personne une importante onde de sympathie qui va le pousser à se présenter à l’élection présidentielle de 2000. Son score de 17% enregistré au premier tour du scrutin au soir du 27 février 2000, le classant troisième derrière Abdou Diouf (42%) et Abdoulaye Wade (32%) avait fini de faire de Moustapha Niasse un ‘’faiseur de roi’’ car devant départager les deux ‘’finalistes’’ à travers les reports de voix.
C’est ainsi que son soutien décisif au candidat Abdoulaye Wade, au second tour du scrutin, sera récompensé par ce dernier qui va le nommer Premier ministre. Un poste que Moustapha Niasse va occuper pour la deuxième fois de sa vie.
Le temps de faire sa fameuse déclaration de politique générale, le 20 juillet 2000, sous forme d’un pamphlet aux relents de règlement de comptes avec ses anciens camarades du Parti socialiste, Moustapha Niasse, chef du premier gouvernement de l’alternance, ne mettra pas longtemps pour entrer en conflit ouvert avec le président Abdoulaye Wade. Son limogeage par le président Wade, à moins d’un an seulement après sa nomination, a inauguré le début d’une longue traversée de désert politique dont son parti aura du mal à se remettre.
En effet, le Parti de Moustapha Niasse, l’AFP, était en perte de vitesse et voyait ses rangs se dégarnir petit à petit avec les départs successifs des cadres comme Me Abdoulaye Babou, Me Massokhna Kane, Oumar Khassimou Dia n°1, Serigne Mamoune Niasse, etc. La bouderie récente de Hélène Tine n’est que le dernier épisode de la crise interne d’un Parti à la tête duquel trône un ‘’illuminé’’ et un pouvoiriste qui, aux dires des proches, ne supporte pas la contradiction, même s’il donne des airs et des leçons de démocrate en public.
Ce parti, l’AFP, qui avait ‘’choisi l’espoir’’ en 1999, ne fait plus rêver aujourd’hui. Aussi, les suffrages qu’il a engrangés aux différentes élections présidentielles sont-ils en chute libre : 17 % en 2000, 5 % en 2007 et 13 % en 2012 (ce dernier chiffre est trompeur car il faut noter que pour l’élection présidentielle du 26 février 2012, la candidature de Moustapha Niasse a été portée par toute une coalition, en l’occurrence Benno Siggil Senegaal).
Adepte du wax waxeet
D’autre part, le nombre inespéré et surfait de 17 députés obtenus par l’AFP aux législatives du 1er juillet 2012 (contre 11 députés en 2001) est inversement proportionnel à son poids politique réel actuellement, et n’est que la résultante de la dynamique victorieuse de la coalition Benno Bokk Yaakaar à laquelle le parti de Moustapha Niasse s’est arrimé pour mieux cacher son étiolement. Il faut aussi dire que l’éclaircie pour Moustapha Niasse et son parti, au lendemain de leur traversée de désert consécutif au ‘divorce’’ avec Wade, est née avec la tenue, à point nommé, des ‘’Assises nationales’’ qui ont permis de requinquer une Opposition, dite significative, mais amorphe et dont l’erreur historique du boycott des législatives du 3 juin 2007 avait laissé longtemps groggy.
Ainsi, dans la dynamique, l’euphorie et la foulée des ‘’Assises nationales’’, l’Opposition d’une manière générale, et l’AFP en particulier, aidées par un régime libéral empêtré dans de nombreux scandales et subissant à plein fouet les contrecoups d’une crise mondiale sans précédent, ont été revigorées et commencé à reprendre du poil de la bête, comme en atteste la belle percée réalisée lors des élections locales de 2009.
Bouée de sauvetage d’une Opposition à la dérive, les ‘’Assises nationales’’ ont pourtant buté, entre autres, sur ‘’le cas Niasse’’ quand il s’est agi de fixer l’âge maximal de tout candidat à l’élection présidentielle au Sénégal, qui devrait être de 70 ans. D’ailleurs, cette étiquette de trouble-fête voire de pomme de discorde qui embarrasse et divise ses alliés, semble coller à la peau de Moustapha Niasse. Cela a été le cas au sein de Benno Siggil Senegaal au moment de choisir entre Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng pour une candidature unique de la coalition à l’élection présidentielle de 2012.
Les déchirements qui s’en sont suivis ont brisé l’élan unitaire de cette coalition et lui ont ôté toute chance de voir l’un ou l’autre des deux rivaux élu président de la république du Sénégal. Aujourd’hui, Moustapha Niasse, toujours lui, apparaît encore comme l’élément qui divise, avec sa probable élection au perchoir, qui est en passe de faire voler en éclats aussi bien l’APR, le parti du président Macky Sall, que toute la coalition Benno Bokk Yaakaar.
Pourtant, Moustapha Niasse, qui ne serait demandeur de rien, avait refusé ce poste de président de l’Assemblée Nationale lors du processus de sélection du ‘’candidat de l’unité et du rassemblement’’ de Benno Siggil Senegaal en décembre 2011. Plusieurs fois ministres et deux fois Premier ministre, Moustapha Niasse n’avait eu de cesse de répéter à l’envie qu’il n’avait de défi à relever que s’il devenait président de la république, la seule ‘’station’’, à son goût, qui restait à conquérir.
Mieux, à la veille de l’élection présidentielle de février-mars 2012, le même Moustapha Niasse, candidat de la coalition Benno Siggil Senegaal avait laissé entendre, une fois de plus – il l’avait déjà dit à l’élection présidentielle de 2000 – que c’était la dernière fois qu’il se présentait à la présidentielle. Il était même allé plus loin en disant qu’il prendrait sa retraite politique à l’issue du scrutin de 2012, s’il n’était pas élu président de la république. Ce reniement de sa part, ressemble fort bien au fameux ‘’wax waxeet’’ de Wade que Moustapha Niasse se plaît toujours à railler en public comme en privé.
Au crépuscule politique de sa vie...
Maintenant que Moustapha Niasse convoite, sans avoir l’air d’y toucher, le poste de président de l’Assemblée nationale, à l’âge de 73 ans, jusqu’à semer la division au sein du parti du chef de l’Etat, le président Macky Sall, l’on est en droit de lui poser la question déjà adressée à Wade : ‘’Quand est ce que vous allez vous décider à arrêter la politique ?’’ Le prestige du perchoir vaut-il pour Moustapha Niasse de ré-ingurgiter aujourd’hui ses vomissures d’hier, dès lors qu’il avait craché sur le poste qui lui était offert sur un plateau d’argent ?
Un homme comme lui, qui se dit croyant ou étiqueté tel quel, doit se faire à l’idée que son destin politique, aussi riche soit-il, n’est cependant pas écrit en termes de président de la République ou de l’Assemblée nationale. Toute autre posture de sa part équivaudrait à vouloir forcer le destin. Or, le parcours de ce dinosaure politique qui a siégé dans les gouvernements de tous les présidents de la république que le Sénégal a connus depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, est très riche et bat tous les records de longévité.
En outre, tous les jeunes militants, collaborateurs et compagnons de qualité que Moustapha Niasse a formés et encadrés au cours de son impressionnante carrière politico-administrative, sont parfaitement en mesure de prendre la relève. Son expérience, sa compétence et sa crédibilité débordent les frontières de l’Afrique au point que même le Secrétaire général des Nations-unies fait régulièrement appel à lui pour le règlement des conflits internationaux, partout dans le monde. Homme d’affaires prospère, Moustapha Niasse semble être à l’abri du besoin et fait même montre d’une grande générosité comme lorsqu’il décide de reverser l’intégralité de ses émoluments de ministre aux étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Après tout cela, que faut-il de plus à Moustapha Niasse, qui a connu tous les honneurs et qui a tant servi le Sénégal, l’Afrique et le monde ? A-t-il autre chose de plus à prouver ? Que nenni !
Maintenant qu’il est au crépuscule (politique) de sa vie, ne doit-il pas donner leurs chances aux plus jeunes dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler l’alternance générationnelle ?
Il est anachronique qu’en 2012 des hommes politiques de l’ère de Senghor continuent encore à occuper le devant de la scène politique comme si le Sénégal ne pouvait pas se passer d’eux. Messieurs Moustapha Niasse et consorts, le peuple sénégalais vous sait gré, solennellement, de tout ce que vous avez apporté à la nation, vous souhaite un repos mérité et attend impatiemment la publication de vos mémoires.
PAPE SAMB