Publié le 17 Jun 2019 - 19:03
PORTRAIT – JAHA DUKUREH

De victime à héroïne

 

Si les Mgf étaient une marque, Jaha Dukureh en serait sans nul doute l’égérie. Elle en a la carrure et l’allure. Mais les Mgf sont un mal dont des Africaines sont les victimes. Jaha Dukureh en est une et se fait le porte-voix de toutes les victimes. Elle n’est pas belle et bête. Loin de là.

 

‘’Je suis la première personne à être titulaire d’un Master, dans ma famille, et je suis loin d’être l’ainée. Je suis la plus jeune nominée en Afrique au prix Nobel de la paix. Je crois que les jeunes Africains peuvent s’inspirer de mon vécu et se dire qu’ils sont en mesure de réussir des choses, comme moi où même faire mieux que moi’’, sourit Jaha Dukureh. Elle ne se vante pas, ni ne se glorifie, sinon elle ajouterait qu’elle faisait partie, en 2016, alors qu’elle n’avait que 26 ans, des personnalités les plus influentes du monde, suivant le classement du ‘’Time 100’’.

Comprenez donc qu’elle est juste ambitieuse et optimiste. Elle veut que l’Afrique se développe, que ses fils prennent le destin de ce continent en main et elle croit dur que c’est possible. Pour cela, il faut une bonne dose d’audace, de témérité et un soupçon d’outrecuidance.

En tout cas, cette recette a bien réussi à Jaha. Elle dont rien ne prédestinait le vécu de Girl Power qu’elle mène actuellement. Cette Gambienne, naturalisée américaine en 2015, est la présidente de l’Ong Safe Hands for Girls mise sur pied en 2013 aux Usa. Une organisation née pour lutter contre les mutilations génitales féminines (Mgf) et les mariages précoces. Elle fait partie des victimes de ces deux maux, comme bon nombre d’autres Africaines vivant sur le continent ou ailleurs.

‘’Mon histoire a démarré quand j’avais une semaine. C’est à ce moment que j’ai été soumise à la pratique des mutilations génitales féminines. Je n’ai aucun souvenir de la procédure et je n’en avais pas conscience jusqu’à l’âge de 15 ans, quand on m’a forcée à me marier’’, racontait-elle dans une interview. Cela résume bien sa vie. Issue d’une famille sarakholé, elle affirme que ces deux pratiques sont ancrées dans leur culture.

Donc, elle n’a pu y échapper. Et c’est pour rejoindre son mari qu’elle s’est retrouvée aux Usa, en 2004. Ce qu’elle y a vécu, elle ne veut y revenir. ‘’Ce que j’ai personnellement enduré, j’en ai que trop parlé dans des interviews que vous pourrez retrouver sur Internet. Aujourd’hui, je ne veux plus revenir là-dessus. C’est très difficile pour moi d’en reparler’’, oppose-t-elle.

Cependant, sa plaidoirie laisse imaginer son calvaire. ‘’Je ne peux être d’accord avec le mariage précoce, parce que, pour moi, quand on oblige une enfant à lier son destin à celui d’un homme, on donne le droit à ce dernier de la violer tous les jours. Je ne saurais donc être d’accord avec cette pratique. Pour moi, un enfant ne peut-être consentant pour un rapport sexuel’’, défend-elle.

Jaha Dukureh s’inspire peut-être de sa propre réalité, puisqu’elle assure que c’est son vécu qui l’a poussée à engager cette lutte. Aussi, elle trouvait regrettable que ça soit des Blancs qui viennent en Afrique pour essayer de résoudre les problèmes des Africains. Elle est d’avis que c’est ceux qui vivent les difficultés qui sont à même d’en parler. ‘’On connaît mieux que les Blancs nos problèmes. On connait mieux nos us et coutumes ainsi que notre religion (Ndlr : elle fait ici référence à l’islam). S’il y a des choses à bannir, on sait comment le faire, sans risque de heurter qui que ce soit’’, revendique-t-elle. Elle s’emploie à cela depuis 2013, et est en passe de réussir.

‘’Quand j’ai vu Jammeh…’’

‘’Je suis fille issue d’une famille sarakholé. Le mariage précoce est une coutume, chez nous. Aujourd’hui, je suis très proche de mon père et je l’aime beaucoup. Je sais que quand il me donnait en mariage, il pensait bien faire. Seulement, ce n’était pas le cas. J’essaie d’expliquer à ma communauté les méfaits d’une telle pratique. Pour les Mgf, je dis souvent que c’est Dieu qui a créé les femmes comme il le souhaite. Pourquoi devrait-on changer cela ? Dieu lui-même dit dans le Coran que nul ne doit changer, ôter ou rajouter quelque chose à son physique. Il faut donc respecter la femme. J’explique à ceux que j’ai la chance de rencontrer que ce qu’ils font affecte dangereusement les femmes’’, partage-t-elle.

Au début, quand elle arrivait dans des patelins ou même des villes, elle était chassée. Cela ne la décourageait pas, pour autant. ‘’Ce que je fais, je le fais avec le cœur, parce que ce sont des choses que j’ai vécues’’, affirme-t-elle. Quand on pense ainsi, de maladroits renvois ou d’agressives expulsions ne peuvent vous toucher. Ce fut le cas de Jaha Dukureh.

Aujourd’hui, ces étapes sont devenues des souvenirs. Elle indique être écoutée et il y a même des familles qui font adhérer leurs filles au combat.  Qu’est-ce qu’on disait ? Pour arriver là où elle en est aujourd’hui, il faut de l’outrecuidance. Mais  il faut également une forte dose d’impertinence et de courage. Car si elle a cette reconnaissance en Gambie, c’est qu’à un moment, elle a su faire face à un homme que nul n’osait affronter. Au moment où prononcer même le nom de l’ancien président Yahya Jammeh était devenu dangereux, elle s’est invitée dans sa caravane politique. ‘’Je le suivais partout où il allait en Gambie. Les membres de la garde présidentielle ont tenté de m’intimider au début. Ils étaient ébahis devant mon audace. Téméraire, j’ai tenu et leur a assuré que je ne lâcherai pas avant de le voir. Finalement, ils sont devenus mes amis et m’ont même facilité mon entrevue avec l’ancien président’’, se rappelle-t-elle, sourire aux lèvres.

Elle n’avait alors que 24 ans. ‘’Quand j’ai vu Jammeh, je lui ai dit que je voulais qu’il interdise les mutilations génitales féminines. Je lui ai expliqué les dangers liés à cette pratique. On a échangé et je suis arrivée à le convaincre. Il a fait une conférence de presse à laquelle il m’a invitée pour annoncer la loi interdisant les Mgf’’, se rappelle-t-elle.

En voilà une lutte de gagner, de quoi satisfaire cette jeune activiste. Seulement, elle ne veut s’en tenir à cela. Son ambition est plus grande.

Ambassadrice de l’Onu Femmes pour l’Afrique, elle veut que son organisation grandisse et c’est en bonne voie. Des Usa, Jaha Dukureh est venue s’installer en Gambie où elle a ouvert des bureaux. Aujourd’hui, Hands Safe for Girls étend ses tentacules jusqu’au Sénégal et en Sierra Leone, en attendant de toucher toute l’Afrique. ‘’Nous avons choisi ces deux pays, parce que les phénomènes que nous combattons y existent et sont réels. Mais notre ambition est d’être présente partout en Afrique’’, fait savoir Jaha Dukureh.

Sommet de Dakar

Cela pourrait débuter avec ce sommet africain qu’elle organise les 15, 16 et 17 de ce mois à Dakar. ‘’Depuis des années, je voulais organiser un sommet, ici en Afrique. Quand j’en parlais, les gens n’y croyaient pas trop. Ils pensaient que j’étais trop jeune pour faire cela. Pour moi, le réveil de l’Afrique devra passer par une telle manifestation. Cette fois, on ne nous invite pas à venir écouter, mais c’est nous qui invitons les autres à venir nous écouter’’, s’enthousiasme-t-elle.

Vingt-cinq pays sont attendus à cette rencontre. Pourtant, ils étaient partis pour en faire participer seulement 15. Mais dès que les premières invitations ont été envoyées, des Etats ont manifesté leur désir de participer. Ce qui ravit son initiatrice. ‘’Ce sommet est ponctuel. On a des choses à dire. Si après la première édition, la demande d’en organiser une nouvelle édition s’impose, on le fera. Mais, pour l’instant, on s’en tient à ce sommet de Dakar’’, indique-t-elle.

‘’Moi, je préfère plus être dans l’action que dans la théorie’’, déclare ce bout de femme au teint clair, assez joli minois. D’ailleurs, sa lutte ne se résume pas à des discours. ‘’Quand on vient travailler au sein d’une communauté, on les écoute pour savoir comment on peut les aider. Si les femmes nous disent qu’elles veulent faire dans le micro entrepreneuriat, on leur donne les moyens pour cela’’, informe Jaha Dukureh.

Mariée et mère de trois enfants, elle croit fermement à l’indépendance financière des femmes. Pour elle, c’est le moyen le plus facile de les rendre autonomes.

Elle est d’avis que les femmes peuvent réussir au même titre que les hommes. Elle essaie même d’en convaincre les autres partout où elle passe. ‘’Mon père sait aujourd’hui qu’il peut compter sur moi autant qu’il peut compter sur ses fils. J’explique aux communautés qui me reçoivent que les filles peuvent réussir de grandes choses, si on les laisse terminer leurs études’’, dit-elle. Elle leur offre son propre exemple pour étayer ses propos. Jaha Dukureh est devenue ce qu’elle est, parce qu’elle a compris très tôt que pour changer les choses, il lui fallait se battre. Elle ne pouvait trouver les armes qu’il lui faut qu’à l’école.

‘’Je me suis concentrée sur mes études pour pouvoir avoir une assise financière et intellectuelle. J’ai fait de longues études et je me suis donnée à fond pour réussir. J’ai un Master en comptabilité, j’ai fait des études en commerce ainsi qu’en administration publique’’, souligne-t-elle.

BIGUE BOB

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