La France aux Africains !
Cet ancien député de droite, communicant des présidents du Sénégal, réprouve les clins d’œil xénophobes de Nicolas Sarkozy.
Il est atterré. Par le score du Front national et plus encore par cette stigmatisation des immigrés qui s’est imposée dans le débat. Trop nombreux ? Pas de droit de vote, même aux municipales ? Pour lui, c’est évident : ce sont les Africains qui sont visés. «On oublie qu’ils ont libéré le sud de la France, et que c’est grâce à ses ex-colonies qu’en 1945 notre pays a obtenu un siège au Conseil de sécurité de l’ONU», peste Jean-Pierre Pierre-Bloch.
Longtemps, il fut un élu de droite, tendance giscardienne, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Aujourd’hui encore, il reste proche d’Alain Madelin et de Jean-Louis Debré. Mais, à 73 ans, il porte ce nom «qui oblige», celui de son père, quasiment un homonyme : Jean Pierre-Bloch, juif et résistant. Ministre de l’Intérieur en 1945. Socialiste et fondateur de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Alors, au téléphone, depuis Dakar, au Sénégal, où il vit depuis dix ans, le fils du héros s’inquiète : «La France d’aujourd’hui évoque un peu celle des années 30, non ?»
Quelques semaines plus tôt, dans les bureaux d’Afrique Media, son agence de publicité à Dakar, ce grand fumeur à la voix rauque expliquait, entre deux Dunhill rouges, se sentir «plus proche des Sénégalais que des Suédois», convaincu que la France a tort de renier sa proximité avec l’Afrique. Lui s’y sent très à l’aise. «Je ne vois plus la couleur de ma peau. C’est moi qui me suis adapté à eux, pas le contraire», insiste-t-il.
«Mon vieux blanc» (Macky Sall)
Son premier contact avec le Sénégal ? En 1962. Il est alors le secrétaire de Johnny Hallyday et organise son concert à Dakar. «La foule chantait: “Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir”, un vrai triomphe» se souvient avec jubilation celui qui est aussi le parrain de David, le fils de Johnny. «Mais mes liens avec le Sénégal sont en réalité plus anciens», tient-il à préciser, rappelant que son père fut l’ami et le témoin de mariage de Léopold Sédar Senghor, le poète devenu président à l’indépendance. Dans ce domaine, le fils fera mieux que le père, en devenant l’ami intime, non pas d’un, mais de deux présidents sénégalais : Abdoulaye Wade d’abord, puis son successeur, Macky Sall. Il rencontre le premier en France, en 1990, lors d’un dîner organisé par Alain Madelin. Wade est alors un avocat étiqueté «libéral», opposant farouche aux socialistes Senghor puis Abdou Diouf, qui dirigent le pays. «A l’époque, personne ne pariait un kopeck sur Wade. Moi, j’ai tout de suite été fasciné par son intelligence pétillante. Il parlait de l’Afrique avec une vision.» En 2000, l’opposant historique accède enfin au pouvoir, porté par un espoir immense. «Il m’a proposé un poste à la présidence, j’ai refusé», affirme JPPB. Deux ans plus tard, il s’installe pourtant au Sénégal. Pour se rapprocher de Wade ? Pas seulement. «En France, on m’avait traîné dans la boue», assène-t-il, persuadé d’avoir souvent payé pour sa «grande gueule» comme pour son nom, «symbole de la lutte contre l’extrême droite». Mis en examen pour abus de biens sociaux puis emplois fictifs, «mais à chaque fois totalement blanchi», souligne-t-il, l’ex-élu du XVIIIe crée une agence de publicité, en 2003 à Dakar. Il fait partie du cercle des intimes du Président, mais nie farouchement tout favoritisme. «L’Etat du Sénégal ne m’a jamais payé un billet d’avion et tous les contrats d’Africa Media ont été gagnés sur appels d’offres», insiste-t-il. «Bien sûr, on se dit qu’il a dû profiter du système lui aussi...», suggère un journaliste sénégalais, sans en ajouter davantage. Le soupçon tient surtout à l’impopularité croissante de Wade qui, bien que réélu en 2007, apparaît de plus en plus corrompu, mégalomane, otage de sa propre famille.
Mis en examen, puis blanchi
«Je n’ai pas voulu voir cette dérive», avoue aujourd’hui Pierre-Bloch. Tout de même, il a eu de la chance ou de l’instinct. En 2009, il rompt avec Wade, qui vient de l’écarter au profit de sa fille à la tête d’un gigantesque projet culturel panafricain. Blessé, déçu, JPPB se rallie à un autre ex-favori déchu : Macky Sall, Premier ministre puis président de l’Assemblée, avant d’être congédié par Wade. Il offre conseils et savoir-faire. Trois ans plus tard, à l’issue d’une campagne habile orchestrée par son nouveau mentor, Macky Sall crée la surprise en devançant le président octogénaire. Un challenger jugé peu charismatique arrive en tête au premier tour, bénéficiant du rejet du sortant ? Comme en France, deux mois plus tard. «Hollande ne doit pas s’obstiner à maigrir. Les gens aiment bien les gros, ça les rassure», note ce lutin rondouillard qu’on a qualifié de «sorcier blanc» au service du nouveau président sénégalais, lui aussi bien en chair. Il sourit moins quand on le soupçonne d’incarner la Françafrique : «Je n’aurai aucun poste à la présidence, et je vomis la Françafrique. Moi, je préfère la façon dont Macky m’appelle : je suis son “vieux blanc”.» Et de glisser soudain : «Macky a le même âge que mon fils Lionel, mort il y a plus de vingt ans dans un accident de voiture.» Ce n’était pas tout à fait son fils, mais celui d’un premier mariage de sa femme. Peu importe, c’est lui qui l’a élevé.
L'élection de Sall, sa «dernière grande aventure»
Les filiations, les liens du cœur comme ceux du sang, jouent un rôle essentiel dans cette existence en zigzags. Dans le couloir de son agence à Dakar, une fausse plaque copie celle de la rue Jean-Pierre-Bloch, dans le XVe arrondissement parisien. L’ombre du père ne lâche jamais le fils, qui reste ancré à son identité familiale : juif, antiraciste, et aussi conscient (coupable ?) d’être un privilégié. Il n’a jamais «manqué d’argent», rappelle-t-il. Alors, il met un zèle, presque excessif, à payer des béquilles aux mendiants de Dakar ou à sponsoriser des panneaux solaires dans un village perdu. «Je ne suis pas un saint, mais j’ai eu des parents extraordinaires qui m’imposent une conduite.»
Il est encore bébé (1 an), quand ses parents le quittent en 1940 pour rejoindre la Résistance. Comme sa sœur, Michelle (3 ans), et son frère, Claude (âgé d’à peine quelques semaines), il est confié à une tante, «une femme formidable» qui va leur faire traverser la France, de cachette en cachette. Souvent, dans les villages, l’accueil est méfiant, hostile. Et puis arrive la Libération. Et tout change. Les gendarmes qui les insultaient se mettent au garde-à-vous devant ce père bientôt ministre, qui réapparaît «alors qu’on le croyait mort». Il découvre les honneurs, l’hôtel particulier à Neuilly-sur-Seine, les domestiques. Mais les parents restent aussi des militants socialistes. «Ils m’ont transmis une fibre de gauche même si, par hostilité au Parti communiste, je suis passé au centre droit, au moment du programme commun [en 1972, ndlr]», explique le vieil expatrié de Dakar.
Il le sait, l’élection de Macky Sall au Sénégal est sa «dernière grande aventure». Il y a quelques mois, sa fille Déborah a eu un enfant. Elle l’a appelé Gabrielle. Comme la mère tant admirée. En entendant ce prénom, il a pleuré et, pour la première fois, a songé à rentrer en France. Dimanche, il votera «à gauche». Par respect pour ses principes et en mémoire des morts.
MARIA MALAGARDIS
(Libération.fr)