Bassirou Diomaye Faye, nouveau héraut ?
L’investiture du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a été marquée par la présence du président de la transition guinéenne, le général Mamady Doumbia, et des délégations envoyées par les juntes malienne et burkinabé. Cette présence à côté des chefs d’État de la CEDEAO va-t-elle ouvrir une nouvelle ère de rapprochement avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui ont affiché leur volonté de s’émanciper de ladite organisation ? La balle est dans le camp du nouveau président Diomaye Faye.
La cérémonie d’investiture du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a été marquée par la présence des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui ont envoyé de fortes délégations.
Ainsi, le chef de la transition en Guinée, le général Mamady Doumbia, le chef de la diplomatie malienne Abdoulaye Diop, le président du Conseil national de transition (CNT) du Mali et celui du Burkina Faso ont fait le déplacement à Dakar.
Ces représentants des régimes militaires du Sahel ont côtoyé les responsables de la CEDEAO dont le président nigérian Bola Tinubu, le président bissau-guinéen Umaru Sissoko Embalo, le président gambien Adama Barrow, le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, le président ghanéen Nana Akufo Addo et le vice-président ivoirien Tiémoko Meyliet Koné.
Les images de Bola Tinubu à côté des représentants de la junte malienne, burkinabé et guinéenne semblent prédestiner le nouveau président sénégalais à un rôle de médiateur dans l’espace ouest-africain marqué par l’hostilité grandissante entre les pays de l’AES (Burkina Faso, Mali et Niger) et le reste des pays de la CEDEAO.
En effet, le 28 janvier, les trois pays de l’AES ont annoncé leur retrait “sans délai” de la CEDEAO, déclenchant une crise géopolitique majeure et mettant en péril la survie de l’organisation qui a vu le jour en 1975.
Le coup d’État au Niger le 26 juillet 2023 a été l’élément déclencheur de cette crise où le Mali, le Burkina Faso et le Niger avaient émis leur volonté d’aller vers une confédération politique indépendante du reste de la CEDEAO.
Même si l’organisation sous-régionale a levé les sanctions économiques et financières qui pesaient sur le Niger, depuis le coup d’État contre le président Mohamed Bazoum, la tension reste palpable entre les deux organisations.
Les trois pays qui représentent 70 millions d’habitants et près de 2 millions de kilomètres carrés affichent de plus en plus leur indépendance par rapport aux puissances occidentales. Sur le plan géopolitique, les pays de l’AES entendent nouer de plus étroites relations avec Moscou au détriment des puissances occidentales forcées de plier bagage comme la force Barkhane au Mali et les troupes américaines au Niger.
Les pays de l’AES envisagent aussi de battre leur propre monnaie : le sahel. D’autant plus que cette monnaie commune de l’AES viendrait en concurrence avec la monnaie commune (éco) de la CEDEAO dont l’entrée en vigueur est prévue en 2027.
Trait d’union entre les juntes et les régimes démocratiques au sein de la CEDEAO
Ainsi, l’avènement de Bassirou Diomaye Faye, qui est aussi sur une ligne souverainiste et le poids du Sénégal au sein des instances de la CEDEAO et de l’UEMOA, peut être le trait d’union entre les juntes et les régimes démocratiques au sein de la CEDEAO. Bassirou Diomaye Faye qui tient sa légitimité des urnes aura ainsi toute la latitude d’opérer des médiations dans la sous-région. Surtout que ce rôle dévolu au président togolais Faure Gnassingbé, englué dans une crise politique liée à la réforme constitutionnelle dans son pays, semble désormais vacant.
Le nouveau chef d’État sénégalais dans son discours d’investiture semble ouvrir la porte à plus de collaboration entre le Sénégal et les pays de l’AES. ‘’Sur le plan africain, l’ampleur des périls sécuritaires et des nombreux défis que nous devons relever nous oblige à plus de solidarité. J’entends clairement la voix des élites décomplexées qui disent haut et fort notre aspiration commune à plus de souveraineté, au développement et au bien-être’’, a-t-il déclaré dans son discours d’investiture.
L’ancien secrétaire général du Pastef a appelé, au lendemain de sa victoire, à des réformes et à corriger les faiblesses de la CEDEAO.
Les pays de l’AES, qui recherchent des partenaires au sein de l’espace CEDEAO, pourraient voir en Bassirou Diomaye Faye un allié capable de porter les réformes nécessaires pour rendre l’organisation sous-régionale plus efficace dans sa lutte contre le terrorisme et le développement durable. La possibilité d’une sortie du franc CFA a été aussi bien accueillie dans les capitales de l’AES.
Risque de rupture totale entre les pays de l’AES et la CEDEAO
Néanmoins, les régimes putschistes pourraient toujours demeurer dans l’expectative, dans l’attente des premières décisions de Dakar concernant le sort des Éléments français au Sénégal (EFS). Si le nouveau chef de l’État entre dans la logique d’un positionnement dur envers la France, il pourra rapidement gagner la confiance des juntes au pouvoir au sein de l’AES et aller vers une intégration moins regardante en matière des Droits de l’homme et de gouvernance.
Dans le cas contraire, les spécialistes craignent une fuite en avant des pays de l’AES qui envisagent de renforcer leur coopération avec le Maroc pour obtenir un soutien géopolitique et des débouchés maritimes.
Ainsi, une tentative de médiation de la part Bassirou Diomaye Faye pourrait s’avérer plus difficile.
Pour Babacar Ndiaye, analyste politique et sécurité, directeur de recherche au think tank Wathi, le Sénégal, au regard de l’élection de son nouveau président, est dans le même registre que les pays de l’AES, à savoir la souveraineté, l’indépendance et la solidarité. Toutefois, précise-t-il, tout dépendra de la marge de manœuvre que comptent accorder les membres de la CEDEAO au président sénégalais.
‘’Le Sénégal peut remplir ce rôle de lien entre la CEDEAO et les pays de l’AES. La question est de savoir comment ce discours souverainiste sera perçu par ses pairs au sein de la CEDEAO. Le Sénégal qui dispose d’un certain poids au sein de cette structure peut ouvrir des perspectives de réintégration des pays de l’AES au sein de la CEDEAO’’, dit-il, avant d’indiquer les enjeux géopolitiques d’une reconfiguration de l’espace ouest-africain. ‘’Les pays de l’AES qui partagent des conditions politiques similaires (NDLR : régime militaire) et confrontés au même défi sécuritaire, djihadisme au Sahel, ont voulu échapper à la tutelle de la CEDEAO en proclamant leur retrait de ladite organisation. Mais la présence du général Mamady Doumbia, qui sort très rarement de Guinée, semble aller dans le bon sens pour une réconciliation, pour maintenir le dialogue entre les deux entités’’, affirme le chercheur.
MAMADOU MAKHFOUSSE NGOM