Le «raw gaddu*» en question
La réforme agitée du mode de désignation des futurs maires en perspective des élections locales du 14 mars 2014 pose la problématique d'une réalité plus impitoyable, le système majoritaire à un seul tour de scrutin* qui compromettrait la légitimité des élus.
Le débat sur la proposition de loi portant modification du mode de scrutin à utiliser aux élections régionales, municipales et rurales du 14 mars 2014 est loin d’être épuisé. C'est Ousseynou Faye, leader du Mouvement pour la renaissance républicaine (M2R), qui est à l'origine de cette proposition de modification en faveur de l'élection directe des maires au suffrage universel direct. A son tour, c'est le député à l’Assemblée nationale, Mamadou Diop Decroix, de verser au dit débat une autre problématique, celle du «parallélisme des formes en la matière en introduisant le scrutin majoritaire à deux tours dans les élections».
En effet, le leader de And-Jëf/Pads estime que la répartition des quotas de députés entre la liste nationale proportionnelle et les listes départementales devrait être forcément modifiée. Ce, «dans l'optique d'être en conformité avec le souci d'équité et de justice qui fonde la présente proposition de loi», explique l'ancien ministre du Commerce sous le régime de Me Abdoulaye Wade. Prenant exemple sur les élections législatives, Decroix veut se faire comprendre : «Vous conviendrez avec moi, en effet, qu'un scrutin majoritaire départemental à un tour avec un quota de 60% de députés à élire dans ces conditions constitue un facteur de déséquilibre injustifié dans le rapport des forces au parlement», affirme-t-il avec assurance.
«Des conseillers intègres» (Me Djibril War)
Un avis partagé par Djibril War, président de la commission des Lois à l'Assemblée nationale, pour qui l’adoption de cette proposition de loi permettrait de mettre un terme à l'«injustice» dont il a été lui-même «victime». Explications : «J’ai démissionné du Conseil municipal (de la commune de Biscuiterie) à cause des magouilles survenues au moment d’élire le maire aux élections locales de 2009, dit-il. En tant que candidat de la coalition Dekkal Ngor, j’ai été combattu par les gens de Benno Bokk Yaakaar qui ont corrompu des conseillers en promettant de les intégrer dans le Bureau municipal». Malgré tout, ce parlementaire de la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) pense que la réforme de l’actuel code électoral ne peut régler pour autant tous les problèmes. «Le suffrage universel direct peut être bien, mais sans la présence de conseillers intègres, le maire peut être pris en otage d'une manière ou d'une autre», explique l’avocat.
«Pas urgent» (Katy Cissé Wone)
Ce sont là autant d'éléments qui nécessitent un approfondissement global et sérieux de la réflexion sur cette proposition de loi, suggère Katy Cissé Wone. La vice-présidente de l'Assemblée nationale, membre de la majorité présidentielle, se déclare favorable «dans le principe» à cette proposition de loi. Néanmoins, sa préférence est que sa discussion soit renvoyée au cadre constitué par la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) dont les travaux sont dirigés par le président des Assises nationales, Amadou Makhtar Mbow. «Ce mode de désignation (des maires au suffrage universel direct) ne me paraît pas urgent. Il nous faut une réflexion globale qui prendra en charge les questions institutionnelles», dit-elle. Pour cette politologue ayant beaucoup travaillé justement sur les institutions lors des Assises nationales, la proposition a ses «avantages» mais aussi ses «inconvénients». Et l’un des «inconvénients» réside, selon elle, dans la «conservation de l’autorité traditionnelle» que pourraient favoriser les candidatures indépendantes. «Socialement, illustre-t-elle, lorsqu’un chef traditionnel voudra briguer une mairie, il est évident qu’aucun de ses disciples n’osera présenter sa candidature pour des rasions sociales. Et cela peut constituer un danger contre la démocratie».
«Soyons cohérents» (Seynabou Wade)
Dans la même foulée, sa collègue Seynabou Wade, exige que les candidats aux prochaines échéances électorales soit élus, mais bien élus au suffrage universel direct. «On ne peut élire un maire avec 22% des suffrages. Les auteurs de cette proposition de loi n’ont qu'à se débrouiller afin que tout maire soit élu à une majorité absolue», déclare le maire de Gueule Tapée-Fass-Colobane. Puis, «Des gens ne peuvent pas s’être opposés hier au fameux ticket présidentiel dont le vote aurait permis au président de la République d’être élu avec seulement 25% au premier tour de scrutin, et accepter aujourd'hui l'élection d'un maire avec 22% des suffrages ! Il faut que l’on soit cohérents», ajoute le député non inscrit. Seynabou Wade se dit donc naturellement favorable à un scrutin à deux tours.
«Système injuste !» (Diop Decroix)
En tout cas, pour l’inspirateur de ladite proposition de loi, celle formule est la meilleure manière de rendre légitime un élu local. Ousseynou Faye convoque à ce propos le cas de la France où on utilise «le système triangulaire». Autrement dit, explique le leader de M2R, «si au premier tour, aucun des candidats n’a requis la majorité, on retient les trois premiers candidats. Au second tour, il y a un report des voix et celui qui arrive en tête est élu quel que soit son score». Une démarche plus «démocratique» et moins «inique» que les dispositions actuelles du code électoral, ainsi que le relève Mamadou Diop Decroix. Qui démontre : «Considérons une commune d'arrondissement avec 66 conseillers et 12 000 suffrages valablement exprimés. Avec 30%, la liste gagnante s'adjuge d’emblée la totalité des 33 sièges de la liste majoritaire, plus 10 sièges de la liste proportionnelle selon le quotient électoral, soit 33+10 = 43 sièges sur 60 et 72% de l’effectif du conseil municipal». En parallèle, s'offusque-t-il, «les 70% de suffrages exprimés n’envoient, in fine, que 17 conseillers à l’institution municipale, soit 28% de l’effectif». Cherchez l'erreur !
DAOUDA GBAYA
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