Les limites des mécanismes de la CEDEAO à la loupe
La CEDEAO s’est dotée de mécanismes pour promouvoir la démocratie et renforcer la sécurité collective en son sein. Ces instruments ont produit des résultats mitigés depuis leur création à la fin des guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone. Selon une note traitée par ‘’EnQuête’’, ces méthodes ont atteint leurs limites aujourd'hui, comme en témoigne la recrudescence des putschs dans cette zone ouest-africaine.
En l’espace de 3 ans, 6 putschs ont été réussis dans l’espace de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Le 26 juillet 2023, le général Tchiani a réussi à renverser le président nigérien démocratiquement élu en 2021, Mohamed Bazoum. La réaction de la CEDEAO a ce coup de force a été de bander les muscles et de prendre une batterie de sanctions contre le Niger sur les plans diplomatique, politique, économique et monétaire. En même temps, il a décidé de déployer de sa force en attente, en vue d’une intervention militaire. Depuis, c’est le statuquo.
Ainsi, pour combattre efficacement les coups d'État en Afrique de l'Ouest, la CEDEAO devrait améliorer sa stratégie, renseigne Dr Serigne Bamba Guaye. Qui préconise, à la place de la recette de l'organisation ouest-africaine, de miser sur d'autres approches mieux adaptées, vu le contexte actuel. "Les coups d’État survenus au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Niger, au cours de ces trois dernières années, ont montré les limites de ces mécanismes et la nécessité de leur révision en vue de les adapter à un contexte politique, sécuritaire et géopolitique en mutation profonde en Afrique de l’Ouest", indique Dr Guaye dans une note d’analyse intitulée ‘’Les limites des mécanismes de prévention, de gestion et de résolution des crises dans l’espace CEDEAO et la contribution de la société civile dans leur révision et leur actualisation’’.
En effet, l’expert et chercheur sur les questions de paix, sécurité et gouvernance en Afrique souligne que ‘’ces mécanismes sont caractérisés par leur lourdeur institutionnelle’’. Or, les ‘’sanctions ne produisent pas les résultats escomptés, notamment le retour à l’ordre constitutionnel dans un délai raisonnable, les transitions politiques dépassent deux ans ou s’étirent dans le temps’’, fait remarquer Dr Guaye. Qui constate aussi que les organisations de la société civile sont peu impliquées dans le processus de médiation et de résolution des confits et des crises. Pire, ajoute-t-il, ‘’les légitimités traditionnelles et dignitaires religieux sont peu impliqués dans le processus de résolution des confits par la CEDEAO, or dans certains pays, ils jouent un rôle important dans la vie sociale, politique et religieuse et gardent une influence qui peut être utile en cas de crise politique comme c’est le cas actuellement au Niger’’.
Or, la CEDEAO ne doit pas se louper dans la crise nigérienne, ‘’si elle veut garder sa position centrale en tant qu’acteur chargé de maintenir la sécurité collective dans cette partie du continent et de promouvoir la démocratie pour l‘épanouissement des peuples".
Le rôle essentiel de la société civile
Pour aider la CEDEAO à endiguer de façon durable les coups d'État, l’expert préconise une meilleure implication de la société civile. ‘’ Le renforcement du rôle de la société civile dans la consolidation de la sécurité collective et de la bonne gouvernance dans l’espace de la CEDEAO est un enjeu central pour permettre à cette organisation de sortir des difficultés dans lesquelles elle se trouve présentement’’, affirme l’expert.
Mais, dans le même temps, poursuit-il, "les organisations de la société civile gagneraient à renforcer leurs capacités pour peser de manière durable et qualitative sur la prévention et la résolution de tous les conflits dans cet espace. Cela passe par la formation, l’appui-conseil, la mutualisation des ressources, le plaidoyer et surtout l’élaboration de plateformes capables de fédérer plusieurs initiatives et portées par des réseaux bien structurés".
Dès lors, souligne-t-il, il faut "reconnaître l’importance de la société civile dans la construction d’un espace de paix et de sécurité au sein de la CEDEAO par une mobilisation des communautés, des associations professionnelles, des organisations de jeunes, etc., dans la consolidation de la démocratie et le renforcement de la cohésion sociale qui n’est pas l’apanage unique des gouvernements et de l’élite politique".
Le chargé de cours en Relations internationales au Centre des Hautes Etudes de Défense et de Sécurité (CHEDS) à Dakar insiste sur "l’expertise de la société civile en matière de prévention, de gestion et de résolution des conflits dans l’espace de la CEDEAO". Car, "les organisations de la société civile disposent d’une large expertise dans la prévention et la résolution des conflits communautaires et étatiques et interétatiques. Elles sont organisées sous forme de réseaux et de plateformes qui peuvent contribuer à renforcer la sécurité collective et la démocratie au sein de la CEDEAO".
En ce qui concerne le Niger, une résolution pacifique de la crise politique étant difficile, une fenêtre d’opportunité s’est ouverte avec des initiatives de paix venant de personnalités de la société civile. A ses yeux, c’est une voie à creuser.
Impliquer davantage les femmes dans le processus de résolution des conflits
En outre, le Dr Guaye appelle à la création d'un "observatoire de veille sur la démocratie, la paix et la sécurité, composé par d’éminentes personnalités indépendantes de la société civile. Cet observatoire devra donner des conseils et faire des recommandations aux chefs d’État de la CEDEAO dans ces trois domaines en vue de prévenir, de gérer et de résoudre les crises et conflits en son sein".
À côté de la société civile, Dr Guaye recommande une touche féminine pour trouver une résolution efficace et plus ou moins pérenne. "Il faudra impliquer davantage les femmes dans le processus de prévention, de gestion et de résolution des conflits, comme le stipulent la résolution 1325 et les résolutions connexes du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le rôle des femmes dans la gestion des conflits ainsi que de toutes les résolutions de l’Union africaine dans ce domaine. Il convient de souligner que les organisations féminines sont très actives dans l’espace CEDEAO, notamment en matière de prévention et de résolution de conflits", souligne le chercheur.
MAMADOU DIOP