Publié le 25 Jul 2015 - 00:19
RECRUDESCENCE DES TRICHERIES AU BAC

Entre perte de valeurs et avancée technologique

 

Les cas de tricherie notés dans la banlieue ont pollué le déroulement des examens du Bac de la session 2015. Dans les différents centres visités, présidents de jury et correcteurs évoquent la perte des valeurs et l’avancée technologique pour expliquer le phénomène.

 

L’effervescence notée dans les établissements scolaires ces 72 heures a cédé la place à la quiétude. Après 3 jours de cogitation, les candidats au baccalauréat ont pris congé des écoles, déposé copies et stylos et attendent la proclamation des résultats. Au lycée Seydou Nourou Tall où dans les autres centres d’examen, tout semble marcher sur des roulettes. Ou presque… En effet, les cas de tricheries notés dans certains établissements de la banlieue sont venus entachés les examens. Remettant ainsi en cause la crédibilité du premier diplôme universitaire.

Au centre Seydou Nourou Tall de Dakar, la cour est déserte. Les rares élèves trouvés dans l’enceinte sont venus récupérer des bulletins de notes. Ici, la recrudescence des tricheries ou fraudes est appréciée à différents niveaux. Au jury 11-36 de la série L2, on prône un retour aux valeurs sociales. La présidente Ndiémé Sow et quelques membres du bureau s’affairent aux décomptes et à la correction, avant la délibération. Très accueillante, Mme Sow pense que notre société a perdu ses repères. ‘’On devrait inculquer aux jeunes des valeurs comme la dignité et la vergogne. C’est cette perte de repères qui explique certaines pratiques‘’, laisse-t-elle entendre.

A côté de cette perte de valeurs, la présidente de jury s’interroge sur la fiabilité des personnes chargées des épreuves. ‘’C’est une chaîne non négligeable qui va du choix à la distribution des sujets. Donc, il nous faut des hommes de confiance‘’, précise-t-elle. Le retour aux valeurs, une vision bien partagée par Ibrahima Guèye, correcteur en Sciences Physiques. Pour ce professeur de PC, le Sénégalais est adepte de la facilité et veut réussir sans déployer le moindre effort. M. Guèye indexe l’argent : ‘’L’expérience nous a montré que ce sont les nantis qui procèdent plus à l’achat des épreuves. C’est le laxisme de la société qui continue dans les salles d’examen.’’

Les TIC ont modernisé la tricherie

 Selon le correcteur, la tricherie a toujours existé, mais s’est aggravé avec l’avènement des nouvelles technologies. Bassirou Fall est un correcteur au jury 11-36. Pour ce professeur d’Espagnole, les élèves ont des méthodes particulières pour tricher. Il invite les surveillants à redoubler de vigilance. ‘‘Souvent des élèves demandent la permission de sortir et aller donner les épreuves à des aînées étudiants. Ils auront les corrigés par message. Il faut dire que les technologies accentuent le phénomène. Donc, c’est au surveillant de faire preuve de vigilance‘’, déroule-t-il.

Au lycée Blaise Diagne, même ambiance. Dans une petite salle, les professeurs sont concentrés sur les copies. Ici se joue le destin des apprenants qui ambitionnent de décrocher leur premier diplôme universitaire. Lamine Sylla est le président du jury 11-15. Comme les autres, il indexe le développement des Tic. ‘’La tricherie a toujours existé, mais c’était un épiphénomène. Actuellement, avec les Smartphones et autres tablettes, on peut photographier des textes et se mettre une bibliothèque dans sa poche’’, dénonce-t-il. A propos des rumeurs qui incriminent l’office du Bac dans la fuite, M. Sylla se montre sceptique : ‘’Le système est assez verrouillé. Une seule personne est chargée de choisir et de tirer les épreuves, pour chaque matière. Ces rumeurs ne sont pas fondées’’, dit-il.

L’armée pour intimider les tricheurs

Eradiquer la tricherie ne sera pas une chose aisée, selon le président du jury 11-35 du lycée Blaise Diagne, Gora Seck. Pour ce chercheur à l’Ucad, les  règles de l’office du Bac concernant l’interdiction des appareils sont piétinées en permanence.  L’autre défaillance, selon le président de jury, est le laxisme des surveillants. ‘’Ils sont constamment en retard et sont le plus souvent occupés à lire des journaux ou à écouter la radio’’. L’idéal, d’après M. Seck, serait de faire intervenir l’armée dans les salles, afin de faire respecter le règlement et préserver la crédibilité du diplôme. ‘’Les hommes de tenue sont stricts et appliquent les consignes à la règle. Je suis sûr qu’avec leur présence, aucun élève n’osera amener son téléphone en salle, à plus forte raison l’utiliser’’, déclare-t-il. M. Seck indique toutefois que certains font fi des cas de tricherie ‘’mineure’’, telle que la communication entre élèves pour donner une seconde chance aux  incriminés et se soustraire des protocoles de l’office du Bac qui peuvent être longs.

‘’J’évite la familiarité entre élèves et surveillants’’

Au lycée John Fitzgerald Kennedy, c’est le calme plat, le bruit de la circulation vient perturber de temps en temps la quiétude des lieux. Pour venir à bout de la tricherie et autre fraude dans son jury, le président Modou Tine a trouvé des alternatives. ‘’J’évite la familiarité entre élèves et surveillants. Pour chaque épreuve, je procède à des changements’’, déclare-t-il. Pour inciter ses surveillants à la rigueur, M. Tine use de tous les moyens : ’’Je peux m’incruster dans les salles d’examen à tout moment et je n’hésiterai pas à exiger des rapports aux surveillants, quand je surprends des élèves en flagrant délit de tricherie. Il m’est arrivé de renvoyer des surveillants qui manquaient de concentration en plein examen’’, révèle-t-il. Pour ce président de jury, l’idéal serait de remplacer les civils par les militaires, afin d’éradiquer définitivement la tricherie dans les centres d’examen.

BAKARY BADIANE, PRESIDENT DE LA FEDERATION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE PARENTS D’ELEVES ET D’ETUDIANTS DU SENEGAL

‘’Les élèves veulent réussir sans effort’’

‘’Je pense que ce n’est pas une recrudescence, car ce phénomène ne se produit pas toutes les années. Nous faisons face à un problème d’éducation. Je me demande si on donne aux élèves des cours d’éducation civique et morale ? J’ai l’impression que ces matières n’existent plus dans nos programmes. Mais si le parent même n’est pas éduqué, il ne pourra pas retransmettre une éducation de qualité à ses enfants. Il y a plus grave que la tricherie, les rapports entre professeurs et élèves sont plus dangereux, c’est un crime. Il faut qu’on apprenne à l’élève à gagner à la sueur de son front. Les parents d’élèves déplorent ces pratiques.

La responsabilité devrait être partagée entre les professeurs et les parents. Les enseignants ont le devoir d’instruire et d’éduquer. Il faut savoir se servir correctement des nouvelles technologies, car elles sont utiles. Ce qu’il faut se demander, c’est la provenance des corrigés trouvés sur les élèves ? Quelle est la contrepartie reçue ? Le problème, c’est que les élèves veulent réussir sans effort. Le résultat est au bout de l’effort. Les conséquences sont énormes. Pendant cinq ans, ils n’auront pas la possibilité de se présenter au Bac et risquent des poursuites pénales.’’

HABIBATOU TRAORE (STAGIAIRE)

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