Publié le 18 Feb 2022 - 03:27
ROKHIATOU GASSAMA, PRÉSIDENTE DU CONSEIL SÉNÉGALAIS DES FEMMES (COSEF)

‘’On peut dire que la balance penche plus pour le non-respect de la parité  dans les communes’’

 

Le Conseil sénégalais  des femmes (Cosef) continue le combat pour faire respecter la parité dans les bureaux des communes et conseils départementaux mis sur pied à l’issue des élections locales du 23 janvier dernier. Aujourd’hui,  cette structure  constate une violation  de la loi sur la parité, dans plusieurs communes du Sénégal. Cependant, sa présidente Rokhiatou Gassama annonce une batterie de mesures déployées par les femmes pour faire respecter la loi. Son organisation n’exclut pas d’organiser une manifestation pour se faire entendre à l’échelle nationale, très prochainement.

 

On est au moment des installations des nouveaux bureaux communaux et départementaux. D’après votre constat, à quel niveau est respectée la loi sur la parité ?

Il faudrait qu’on rappelle un peu  la loi et le décret d’application de la loi sur la parité qui a été votée en 2010. Il est dit, dans son article 1, que la parité homme-femme est instituée au Sénégal dans toutes les institutions totalement et partiellement électives. Ce décret d’application dit que les conseils municipaux et ruraux, ainsi que leurs bureaux et leurs commissions font partie de ces institutions. Aujourd’hui, nous avons une lecture générale de ce qui se passe dans les communes, au sortir des installations qui continuent encore et prendront fin probablement aujourd’hui (NDLR : l’entretien est réalisé mardi). Nous avons une lecture générale, globale, mais également précise, parce qu’on a mis en place un système qu’on n’avait pas pu mettre en place en 2014, lors de la première application de la loi.

Ainsi, sous l’égide de l’ONP (Observatoire national sur la parité) un réseau de veille et d’alerte a été mis en place pour l’application de la loi sur la parité qui regroupe des organisations de femmes, de la société civile dans toutes les régions du Sénégal. Ça, c’est une première au-delà du comité de suivi créé par le Cosef depuis 2006. 

Nous avons des remontées de données en temps réel, c’est-à-dire nous connaissons les communes qui n’ont pas respecté la parité et celles qui l’ont respectée. Ce qui nous permet  d’avancer dans le travail et de  faire une analyse générale en attendant la fin. Cette analyse nous montre également qu’il y a un bon nombre de communes, je ne saurais vous donner le chiffre exact pour le moment, qui ont respecté la loi sur la parité. D’autres ont, par contre, une lecture assez biaisée, très différentes de ce que la loi a dit.  Prenons l’exemple de ce qui s’est passé, il y a quelques jours, à Ouakam. Il y est noté une violation flagrante de la loi sur la parité. Quand l’autorité administrative, Madame la Sous-Préfet, leur a dit qu’elle ne peut pas continuer la séance d’installation du bureau, parce que la loi n’est pas respectée et qu’on lui demande de leur montrer le texte signé parce qu’ils n’ont pas vu la loi, ni le décret d’application, cela nous interpelle. Si une loi est votée, suivie de son décret d’application, on n’a plus besoin de demander sa signature. Nous savons  que ce qu’a dit le sous-préfet est conforme à l’application de la loi. Comment une autorité, un élu, peut demander la signature d’une loi qui existe depuis 2010 ? Et qui a été publiée dans le ‘’Journal officiel’’ ? 

L’autre lecture est qu’on a installé, dans certaines communes, une suite d’hommes, c’est-à-dire le maire suivi d’un homme comme premier adjoint. Et on a un deuxième adjoint.

Que dit la loi exactement ?

La loi est simple à comprendre, elle ne demande qu’à être appliquée. Je pense qu’il faudrait que les autorités, les élus sachent qu’au Sénégal,  nous sommes dans un État de droit et quand une loi est votée,  elle doit être strictement appliquée. Nous sommes des femmes et gardiennes de cette loi historique qui a déjà été votée en 2007. Elle a été auparavant déclarée anticonstitutionnelle ; ce qui n’a pas empêché les femmes à continuer le combat jusqu’à obtenir cette loi en 2010. 

Prenant l’exemple de Ouakam, quelle est la responsabilité des autorités administratives ? Peuvent-elles ajourner l’installation d’un bureau pour principe de non-parité ?

Oui, quand il y a un recours qui est déposé et dès qu’on constate une violation de la loi, normalement, le bureau doit être repris. Au  niveau de Ouakam, le maire dit qu’il attend de voir la loi et son décret d’application. Alors si la loi lui dit de reprendre, il le fera, parce qu’il n’est pas en marge de la loi. Donc, il y a une fenêtre ouverte à ce niveau-là. Une loi qui date de plus de 10 ans doit être connue.

Donc, nous sommes un peu étonnées  de cette position du maire. 

Qu’en est-il du cas de la ville de Dakar où le maire est un homme, son premier adjoint aussi avant de mettre une femme deuxième adjointe ? Est-ce que ces arrangements entre politiques, dans le cadre d’une coalition, sont pris en compte par la loi ?

Qu’ils soient une coalition ou non, la loi doit être respectée. Si le maire est un homme, le premier adjoint est une femme, et vice-versa. La loi ne doit pas être violée, parce qu’on est en coalition. Les maires élues à la Patte d’Oie ou Golf-Sud, ce sont des femmes issues de grandes coalitions. Si la loi est respectée dans les différentes communes, quelle est la particularité  de Dakar ? Que ce soit la commune, le département ou les villes, la loi sur la parité doit s’appliquer. Aussi, quand quelqu’un  dit qu’elle est une maire femme et qu’elle aligne des femmes, là aussi, c’est une violation de la loi. Ce qui est valable pour les hommes l’est aussi pour les femmes. 

Quelles seront les procédures à suivre pour faire respecter la loi ?

Les saisines. Ce qui se passe pour ces élections communales et départementales de janvier 2022, c’est un indicateur qui nous a permis d’identifier les manquements et nous permettre de saisir les juridictions compétentes. Au vu du nombre important de cas, nous allons vers un chapelet de recours. Certains d’ailleurs sont déjà déposés dans les cours d’appel. Partout au Sénégal, nous avons des réseaux de veille, d’alerte avec des juristes, des organisations de la société civile pour faire le suivi des installations. Aujourd’hui, nous savons que certaines communes telles que celles des HLM, de Matam, de Bargny, de Ouakam, d’Agnam, par exemple, n’ont pas respecté la loi…Nous avons 558 communes et les femmes sont aux aguets. Nous félicitons certaines communes comme Sédhiou,  Camberène, Ogo, Kahone, etc., qui savent que le respect est une exigence de la loi.

Vous aviez à votre niveau  promis des actions différentes de celles susmentionnées. Où en êtes-vous ?

Les premières actions que nous avons menées sont des actions d’information, de sensibilisation et de communication, de formation que nous avons faites sur l’étendue du territoire national. La deuxième action, c’était d’outiller les femmes qui vont porter ces messages au niveau des collectivités territoriales et autorités administratives. Nous avons envoyé  des courriers au niveau national, à travers l’ONP (Observatoire  national  sur la parité)  pour informer, sensibiliser et communiquer encore, et rappeler  la teneur de cette loi. Ils le savent, mais notre travail c’est de rappeler. Nous avons ensuite organisé des rencontres avec la presse avant même qu’on ne commence les élections, pendant la période électorale et postélectorale. Aujourd’hui,  nous avons suivi le processus électoral jusqu’à terme, avec d’autres partenaires nationaux  ou internationaux.

Au-delà de ce suivi, il faut donner des outils importants aux femmes, ainsi après les recours, nous comptons  aller vers une manifestation  nationale pour dénoncer et  interpeller l’Etat du Sénégal  sur la violation flagrante de cette loi. Nous ne pouvons pas encore  donner la teneur de cette  manifestation.

Savez-vous les communes où la balance penche le plus ?

Nous attendons de terminer les installations pour ne pas donner de chiffres erronés. On peut dire que la balance penche plus pour le non-respect de la loi au niveau de  beaucoup de communes. Mais il est clair que la loi est plus respectée à l’issue des élections locales de 2022 que celles de 2014. Il est vrai qu’on a fait des recours à l’époque, mais on n’a pas maillé tout le territoire national. C’est le Cosef qui avait  porté,  l’Approfes de Kaolack et l’Association  des juristes du Sénégal (AJS). On n’avait pas les outils qu’on a aujourd’hui. Les femmes ont cette volonté manifeste de se faire entendre maintenant. 

Pour ces élections, on a eu un nombre assez important de femmes qui voulaient se présenter. Parfois, c’est par manque de moyens ou par souci d’organisation avec les coalitions qui ne le leur ont pas permis. Il n’empêche, elles se sont battues pour diriger les mairies ou les conseils départementaux. Pour  les résultats que nous avons aujourd’hui, on peut décompter 18 maires femmes, alors qu’on en avait  15 en 2014.

Ce chiffre vous satisfait-il, sachant que l’objectif  de départ était  de porter un nombre important de femmes à la tête des communes et des conseils départementaux ?

Le chiffre est toujours  en deçà de ce que nous voulons. Nous parlons de parité, c’est alors 50-50. Nous connaissons  les raisons pour lesquelles nous n’avons pas atteint la parité. Nous avons quand même progressé un peu. On en a trois de plus. C’est encore faible, mais ça nous permet  de continuer le combat, parce que je vous rappelle que la loi sur la parité a été un long combat porté par le Cosef et les organisations de femmes. Avant, on demandait un quota compris entre 25 et 30 % ; nous ne l’avons jamais obtenu et on est passé du quota à la loi sur la parité. 

Selon vous, y a-t-il des barrières sociologiques qui empêchent l’émergence des femmes dans certaines localités ?

La violation est partout, à commencer par les communes qui sont dans la capitale. Il y a plusieurs barrières, quand on analyse la situation des femmes pour leur accès aux instances de prise  de décisions. On peut parler de barrières politiques d’abord, parce qu’au niveau de ces instances, les femmes n’ont pas leur place réellement  dans les postes décisionnelles. Les femmes occupent un taux faible dans les instances dirigeantes. Suivant la configuration  des partis politiques, ce sont les hommes qui sont toujours à la tête. Cela fait seulement  quelques années, on va dire  depuis la naissance de Parena, on voit quelques femmes qui dirigent les partis politiques et quand elles ne dirigent pas dans  les instances internes, elles n’émergent pas réellement comme il se devrait par rapport  à leur engagement. En période électorale, les grandes coalitions sont un frein pour les femmes, car c’est assez compliqué et complexe.

L’autre frein est économique :  les femmes se battent, mais ont très faiblement accès aux ressources. Au niveau social également, c’est assez difficile parce qu’elles portent beaucoup de fardeaux ; elles sont engagées socialement et ça freine un peu leur élan.

Au niveau religieux, vous savez que nous sommes un pays démocratique,  ouvert, mais assez conservateur dans nos valeurs  traditionnelles. La religion musulmane a donné une place très importante à la femme. Mais au Sénégal, la compréhension qu’on en a est assez réductrice. 

Est-ce que les combats menés dans le passé pour le respect des  bureaux  paritaires ont été gagnés ?

Nous avons eu des recours, par exemple au niveau de Kaolack, de Dakar, de Keur Massar… où nous avons eu gain de cause, mais parfois non. On a parfois eu  gain de cause et le bureau n’a pas été dissous pour autant, alors que la Cour d’appel nous a donné raison. 

Est-ce qu’il y a eu des poursuites ? 

Ce n’est pas le fait que cela soit arrêté là. Si on analyse de cette façon, on risque de nous dire que cette fois-ci, ça risque d’être la même chose, alors qu’on est beaucoup plus engagée comme de tout temps mais on a beaucoup plus de moyens et d’accompagnement qu’en 2014. Les recours vont se faire, d’autres avocats vont être là, ainsi que les huissiers pour constater. Mais nous passons à d’autres étapes où la communauté nationale nous entendra.

HABIBATOU TRAORE 

 

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