Les reporters ‘’marchent’’ sur les patrons
Hier, les journalistes ont marché à côté de leurs employeurs. Mais les reporters ont surtout ‘’marché’’ sur les patrons de presse qu’ils considèrent en grande partie comme responsables de la précarité dans laquelle ils sont.
En première ligne de la marche de la presse, les organisateurs parmi lesquels les patrons tels que Mamadou Ibra Kane (Africom), Sidy Lamine Niasse (WalFadjri), Ibrahima Lissa Faye (Pressafrik), Massamba Mbaye (D-Media). Derrière eux, quelques centaines de journalistes. Mais cette union entre les dirigeants et les reporters n’est que de façade. En vérité, ces derniers sont loin de partager la préoccupation de leurs patrons. Ils les prennent plutôt pour responsables de la situation qu’ils vivent et, quelque part, marchent contre eux.
Amadou Thiam est reporter au journal Le Témoin. S’il a fait le déplacement, c’est parce qu’il estime qu’il ne doit pas manquer une mobilisation qui se fait au nom de la presse. ‘’Quand les journalistes marchent, je participe. Mais je ne marche pas contre l’Etat, mais contre les patrons de presse. Ils ne comprennent rien de ce que les reporters vivent. Je ne peux pas comprendre qu’un patron de presse maltraite ses employés et se permet de marcher en faveur de leurs conditions de travail’ ’Pour lui, l’argument de l’absence de recettes ne tient pas la route. Si les gens ne peuvent pas générer des recettes pour faire face à leurs dépenses, ils n’ont qu’à fermer boutique au lieu d’exposer leurs employés.
Son point de vue est partagé par un autre reporter. Sous anonymat, ce dernier n’est pas convaincu par l’éternel argument des employeurs selon qui les entreprises de presse sont déficitaires. ‘’Si la situation est difficile, elle doit l’être pour tout le monde. On ne peut pas avoir des patrons qui roulent dans des 4x4 et des 8x8, qui ont des maisons les pieds dans l’eau et qui disent que ça ne vas pas. Il n’y a que les journalistes qui en souffrent, mais les patrons eux mènent la belle vie. Ils sont tous dans le luxe’’, regrette-t-il. D’après lui, si la manifestation a mobilisé environ un tiers des acteurs des médias, c’est parce que les gens ne s’y retrouvent pas. ‘’Si c’était une marche contre les patrons de presse, il y aurait eu une forte mobilisation’’, soutient-il.
Mamadou Samba Gacko du Quotidien Walfadjri a battu le pavé. Mais lui aussi trouve ‘’paradoxal que les reporters marchent à côté des patrons’’. Pour lui, ces derniers se mobilisent pour des questions d’argent, alors que le reporter se soucie de sa situation sociale. ‘’La Convention collective n’est pas respectée par les patrons alors qu’elle est déjà obsolète. Les salaires ne tombent pas à temps. C’est vrai qu’il y a ici une contradiction, même si c’est nous dans nous’’, relativise-t-il.
Cet aspect pécuniaire intéresse également Sokhna Khadijatou Sakho de l’APS et Nando Cabral Gomis de Sud quotidien. Pour la première, la majorité des journalistes sont dans une situation que l’on ne peut même pas qualifier, tellement ils sont dans la précarité. Une affirmation que confirment les propos du second. ‘’Vous avez des jeunes qui, après trois ans de formation, se retrouve avec 100 000 F CFA de salaire ou même moins. On ne peut même pas parler de salaire. Il n’y a pas plus grave que ça’’, s’indigne-t-il. D’ailleurs nombreux sont les reporters qui n’ont pas participé à la marche pour ne pas apporter une caution à un combat qui leur est totalement étranger. Ils ne veulent surtout pas s’afficher à côté de certains patrons. ‘’J’en connais un parmi les initiateurs qui n’a aucun respect pour ses employés. Il y a un autre qui paye 35 000 F à ses reporters. Il n’est pas question que je marche avec ces négriers’’, se démarque un journaliste.
‘’On n’est pas là pour soutenir les patrons’’
Mais en dépit de ce que les uns et les autres pensent de leurs patrons, les marcheurs estiment qu’il ne faut pas se tromper d’objectif. Si les journalistes sont sortis, disent-ils, c’est pour exposer leurs doléances. ‘’On n’est pas là pour soutenir les patrons. Nous sommes là pour réclamer nos droits. Eux aussi sont là pour revendiquer les leurs. Il faut qu’on respecte cette liberté. Malheureusement, on ne peut pas séparer les patrons des journalistes. On ne peut pas leur tourner le dos. On est appelé à collaborer avec eux, même si chacun doit préserver ses intérêts’’, souligne Nado Cabral Gomis.
D’ailleurs, l’APS a profité de la tribune pour exposer ses doléances. La chargée des revendications du nouveau bureau, Sokhna Khadidjatou Sakho, veut que l’Etat leur accorde la même dignité que les autres médias publics. Les agenciers veulent le changement de leur statut qui leur permette de bénéficier d’une subvention conséquence à l’image du Soleil et de la RTS. Pendant ce temps, Gomis lui, dénonce le fait que ces médias-là qui ont déjà une subvention étatique, donc l’argent du contribuable, captent presque 90% de la publicité. ‘’Ils mettent les entreprises privées dans une situation où elles ne peuvent même pas respecter la Convention collective. Je suis donc là pour demander à l’Etat de réguler le secteur de la publicité’’, relève-t-il.
BABACAR WILLANE