L’aménagement linguistique de pays du sud discuté à Dakar
On parle d’aménagement d’une politique africaine linguistique, alors que les Etats peinent à en établir au niveau national. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) veut élaborer avec les Etats de l’espace francophone du sud des grilles d’analyse et de compréhension des politiques linguistiques, mais aussi des outils d’aide à la décision par rapport à ces champs nouveaux. Un séminaire s’ouvre dans ce sens à Dakar.
La question des langues est souvent assimilée à l’éducation, spécifiquement au système scolaire et à la formation dans les pays africains, alors qu’elle est beaucoup plus culturelle. C’est ce qui fait que les politiques linguistiques développées depuis des décennies n’ont pas vraiment eu les résultats escomptés. Encore qu’on se demande réellement s’il y a eu des politiques culturelles.
Il y a deux ans, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a lancé une offre de coopération pour l’accompagnement des Etats dans la formation et la diffusion de politiques linguistiques. ‘’Nous avons constaté que la langue joue un rôle extraordinaire dans la culture (…) la langue est un élément de culture et de différenciation des cultures (…) Quand nous avons lancé cet appel, nous nous sommes aperçu que les Etats ne comprenaient pas du tout cette logique de langue globale et globalisante. Ils comprenaient la langue dans l’éducation. Nous avons reçu juste quelques réponses, mais ce n’était pas ce qu’on attendait’’, explique la directrice de la langue française, culture et développement à l’OIF. En compagnie d’experts de l’OIF, elle a fait face à la presse, hier, à Dakar.
Aujourd’hui, pour faire comprendre aux Etats l’appel de l’OIF, il est initié une série d’ateliers régionaux sur l’aménagement linguistique. En effet, ‘’nous nous sommes dit que ce serait bien d’organiser des ateliers régionaux avec les personnes qui s’occupent normalement d’aménagements linguistiques dans les pays pour échanger avec elles, avoir une compréhension de c’est quoi une politique linguistique, c’est quoi l’aménagement linguistique, quel est le lien entre langue et culture. A partir de là, nous leur donnerons des grilles d’analyse et de compréhension de l’importance dans le développement d’une politique linguistique’’, explique Youma Fall.
Cela peut paraître trivial. Mais, au fond, il est plus qu’important. Linguiste et expert de l’OIF, Patrick Daouda estime que les politiques menées depuis 60 ans n’ont pas eu de résultats conséquents. ‘’Il y a très peu de pays africains qui peuvent se prévaloir de politique linguistique conséquente. Si tel était le cas, on n’assisterait pas à un recul drastique de la diversité culturelle en Afrique’’, apprécie-t-il. On peut espérer que les choses changent avec la démarche instaurée par l’OIF. ‘’L’approche de l’OIF est novatrice. Ici, il ne s’agit pas de présenter un catalogue de recommandations dont on ne sait pas qui en sera le maitre d’œuvre. Cette fois, au lieu d’aller du haut vers le bas, on va aller du bas vers le haut, afin d’avoir les résultats escomptés’’, explique M. Daouda.
Ainsi, il faudrait faire comprendre aux Etats que ‘’la langue est un outil de développement, puisqu’elle permet de commercer’’, selon Mme Fall. Ils parlent de profit, en parlant généralement de culture, regrette-t-elle. ‘’Lorsqu’on va en conférence budgétaire dans nos pays, les décideurs financiers nous disent souvent de manière un peu maladroite : quelle est la contribution des langues dans le PIB ? Cela peut se calculer autrement et non pas en le comptant comme cela peut être le cas pour le pétrole, mais eux, c’est comme ça qu’ils comptent et arbitrent. Les langues et les cultures auront toujours la part congrue. A cela s’ajoute le fait que beaucoup de nos décideurs, au plus haut niveau, n’y croient pas. Cela explique l’échec de nos différentes politiques’’, renseigne M. Daouda. Youma Fall pense qu’il est temps de penser la culture en termes de richesse qui englobe tout qu’en termes de profit.
Il est triste de voir que l’Afrique n’est plus le plus grand continent de la diversité linguistique. ‘’Il y a énormément de remplacement linguistique et d’extinction linguistique. La tendance n'est pas prête de s’inverser’’, se désole Patrick Daouda. Mais, elle n’est pas irréversible. Il faudrait penser à l’aménagement du territoire. ‘’Si la disparition de nos langues est un problème linguistique et socio linguistique, la solution est globale et passe par l’aménagement du territoire. En Afrique de l’ouest, la plupart des langues locales sont parlées dans les villages et provinces. Dans beaucoup de cas, ces villages et provinces disparaissent. Ce qui entraine la disparition des langues et des cultures’’, défend-t-il. ‘’S’il n’y a pas de politique conséquente de déconcentration, de délocalisation, d’aménagement du territoire, les langues et les cultures ne survivront pas. La ville est une grande aspirante de la diversité linguistique. Certaines langues vont survivre, mais pas beaucoup’’, déclare-t-il.
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