L’opposition n’a pas vu Washington
Malgré son forcing, l’opposition n’a pas pu accéder, hier, à la place Washington où elle devait tenir un sit-in pour exiger le départ d’Aly Ngouille Ndiaye de l’Intérieur. La manifestation a été tuée dans l’œuf par les forces de l’ordre qui ont dispersé la foule à coups de grenades lacrymogènes.
L’opposition n’a pas pu voir Washington, hier. Ses leaders, qui voulaient outrepasser l’arrêté préfectoral interdisant leur sit-in prévu devant le ministère de l’Intérieur, n’ont pas pu passer à travers les mailles des forces de l’ordre qui ont très tôt pris les devants, en quadrillant la zone dès les premières heures de la matinée.
Initialement prévue devant le ministère de l’Intérieur, la manifestation a été interdite par le préfet de Dakar. Dans l’arrêté pris à cet effet, l’autorité préfectorale évoque ‘’des menaces de troubles à l’ordre public, des risques d’infiltration par des individus malintentionnés et des entraves à la libre circulation des personnes et des biens’’, pour interdire la manifestation. Mais c’était sans compter avec la détermination des libéraux à tenir coûte que coûte leur manifestation. Dans une note rendue publique avant-hier (jeudi) juste après la sortie de l’arrêté préfectoral, le Parti démocratique sénégalais et ses alliés de l’Initiative pour des élections démocratiques (Ied) avaient jugé irrecevables les motifs évoqués par l’autorité administrative.
Pour étayer leurs propos, ils ont relevé que le 9 février dernier, des dizaines de milliers de Sénégalais ont marché des kilomètres dans les rues de Dakar, à l’appel de leur regroupement, sous l’encadrement de la police, sans que le moindre incident ne soit signalé. C’est pourquoi ils ont pris la décision d’outrepasser l’interdiction préfectorale et ont appelé tous les Sénégalais à venir massivement accompagner les délégations désignées à cet effet pour déposer des lettres de protestation au ministère de l’Intérieur, auprès de Son Eminence l’Archevêque de Dakar, de l’Association des imams et oulémas et à la médiature de la République. Dans la note, les opposants ont indiqué que les points de départ des délégations étaient le rond-point Sandaga pour le ministère de l’Intérieur, la poste de Médina pour la Grande mosquée, l’Assemblée nationale pour la médiature et la place de l’Indépendance pour la cathédrale.
Mais, contrairement à ce qui a été initialement prévu, les libéraux et leurs alliés ont voulu très tôt prendre d’assaut la devanture du ministère de l’Intérieur pour exiger la démission d’Aly Ngouille Ndiaye en sa qualité de ministre chargé des élections et la mise en place d’une autorité indépendante chargée d’organiser et de superviser les élections au Sénégal. Seulement, ils ont été nettement stoppés à hauteur du marché Sandaga où les forces de l’ordre les attendaient de pied ferme, fortement armées. Elles les ont accueillis avec une pluie de grenades lacrymogènes. Et dès les premières salves, la foule s’est dispersée. D’ailleurs, ce fut même une débandade. Car chacun des leaders qui étaient en première ligne du combat a essayé de sauver sa peau.
Plus d’une vingtaine de manifestants arrêtés
Dans la course-poursuite, plus d’une vingtaine de responsables, militants et sympathisants de l’opposition dite significative ont été appréhendés par les éléments du Groupement mobile d’intervention (Gmi) déployés sur les lieux et conduits manu militari au commissariat central de Dakar. Parmi ceux-ci, il y a le secrétaire général d’And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads) Mamadou Diop Decroix, ainsi que d’autres militants du Pds comme Mohamed Massaly, Marie Sow Ndiaye, Toussaint Manga, entre autres.
Cependant, si ces derniers n’ont pas réussi à passer entre les mailles des policiers, le président du groupe parlementaire Liberté et démocratie, Me Madické Niang, a lui trouvé refuge dans les locaux du ministère des Mines et de la Géologie qu’occupait, sous Wade, son ex-camarade de parti Abdoulaye Baldé, aujourd’hui secrétaire général de l’Union des centristes sénégalais (Ucs).
Au même moment, les militants et sympathisants qui s’étaient fortement mobilisés pour en découdre avec les forces de l’ordre, ont vite vidé les lieux. En un temps record, l’ordre a été rétabli sur cet axe, même si la circulation routière a été complètement perturbée. Ce qui a occasionné des embouteillages monstres dans les alentours.
Brutalisés et malmenés aux premières heures de la matinée, les militants et autres responsables de l’opposition ont voulu changer de fusil d’épaule. Pour tromper la vigilance des forces de l’ordre, ils se sont organisés en petits groupes de quelques personnes, disséminés un peu partout à travers toutes les ruelles menant vers la place Washington. Mais c’était sans compter avec la détermination des éléments du Gmi qui ont non seulement bloqué toutes les issues, mais ont filtré toutes les entrées. Ici, impossible de se frayer un chemin. Mieux, aucun regroupement ou stationnement n’est permis aux usagers et autres passants. Même les professionnels de la presse venus couvrir l’évènement n’ont pas échappé à la rigueur imposée sur les lieux. ‘’Monsieur, circulez s’il vous plait. Vous ne pouvez pas rester là’’, ordonne un élément du Gmi fortement armé.
Après une toute petite accalmie, les heurts ont repris. Mais cette fois-ci devant les locaux abritant la police centrale. Venus porter assistance à leurs camarades arrêtés lors des affrontements, les militants et sympathisants de l’opposition ont été à nouveau dispersés à coups de grenades lacrymogènes. Tout comme dans les parages de la place Washington, aucun rassemblement n’a été permis. Des contrôles d’identité ont aussitôt été initiés pour éviter toute infiltration. Seuls certains caciques du Parti démocratique sénégalais, dont le secrétaire général national adjoint Oumar Sarr, le chargé de la communication Mayoro Faye et le coordonnateur des cadres libéraux Abdoul Aziz Diop ont pu accéder au commissariat. Mais c’était juste pour apporter à manger à leurs camarades arrêtés lors de la manifestation.
L’Ied dénonce une répression sauvage
La répression de leur manifestation par les forces de l’ordre constitue, selon les responsables de l’Ied, une entrave à la Constitution sénégalaise qui, selon eux, consacre le droit à la marche. Dans une déclaration aussitôt rendue publique, Oumar Sarr et ses alliés condamnent avec la dernière énergie cette situation. Non sans exiger la libération immédiate des personnes arrêtées, parmi lesquelles figurent des députés élus à l’Assemblée nationale.
Tout en refusant qu’un arrêté brandi par le préfet dénie à leur organisation ses droits, les leaders de l’opposition invitent le peuple sénégalais à s’engager pour mener le combat pour des élections démocratiques, la paix et la stabilité du pays.
En outre, ils appellent à d’autres manifestations jusqu’à la satisfaction de leurs revendications ‘’légitimes’’.
Le Fpdr rue dans les brancards
A peine l’Ied a-t-elle fini de condamner la forte répression de sa manifestation, que le Front patriotique pour la défense de la République lui a emboité le pas. Dans un communiqué sorti à cet effet, les camarades de Mamadou Diop Decroix constatent pour le regretter que ‘’le régime policier de Macky Sall, comme à son habitude, n’a eu d’autre réponse que le recours à la violence contre les droits démocratiques des citoyens’’.
Cependant, selon eux, le président de la République ne paie rien pour attendre. Car, déclarent-ils, ‘’tôt ou tard, Macky Sall comprendra que sa gouvernance brutale et vindicative n’a aucun avenir et qu’il lui faudra respecter les droits de l’opposition’’.
Des grenades projetées dans une école primaire Des dégâts collatéraux ont émaillé les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. Des grenades lacrymogènes ont été projetées jusque dans l’école primaire Adja Mame Yacine Diagne jouxtant le commissariat central. Les élèves, qui suivaient tranquillement leurs cours, ont été pris de panique ainsi que leurs enseignants qui ont crié au scandale. ‘’Ils ont jeté dans l’école des lacrymogènes. Que ce soit enseignants ou élèves, tout le monde a inhalé du gaz lacrymogène. On déplore cette situation, car on n’a rien à voir avec cette manifestation. C’est une école primaire’’, fulmine un enseignant visiblement pris de court par cette situation. Il est aussitôt appuyé par le directeur de l’école. ‘’Les grenades lacrymogènes ont été projetées à l’intérieur même des salles de classe, sur des enfants de 6 à 14 ans maximum. C’est inadmissible dans un pays qui se réclame de la démocratie. On fait semblant d’être un pays démocratique alors qu’il n’en est rien. Je condamne jusqu’à la dernière énergie cet acte ignoble’’, tonne Mamadou Thioune qui tente de calmer ses élèves pris de panique. |
ASSANE MBAYE