Du terrorisme aux conflits identitaires
Le terrorisme dans le Sahel est en train de céder la place aux conflits identitaires plus complexes et plus dangereux. Une situation qui s’explique, selon des chercheurs dans le domaine, par une manipulation des populations locales par les groupes djihadistes. Mais aussi par une absence des services de l’Etat dans certaines zones.
Comment certains pays du Sahel, comme le Mali et le Burkina Faso, ont-ils basculé du terrorisme aux conflits communautaires ? Cette question préoccupe les chercheurs s’intéressant à la sécurité dans le Sahel. C’est dans ce sens que Timbuktu Institute, en collaboration avec la fondation Konrad Adenauer au Sénégal, a organisé hier un séminaire régional sur le thème ‘’La coopération sécuritaire au Sahel à l’heure des conflits intercommunautaires’’, pour réfléchir sur l’épineuse question de ce basculement du terrorisme vers la violence identitaire. Et le constat des spécialistes dans le domaine reste triste.
En effet, le Pr. Bakary Samb, enseignant-chercheur à l’Ugb et Directeur du Timbuktu Institute, dans ses recherches, remarque une certaine recrudescence des attaques jamais revendiquées au Burkina Faso. Il s’y ajoute une récurrence des heurts intra-communautaires avec une violence à motivation complexe procédant à un parasitage des conflits locaux ethnico-communautaires. Avec des attaques qui se font toujours dans les campagnes et dans les zones frontalières. ‘’On se demande si les groupes terroristes n’ont pas prédéfini leur stratégie en parasitant et en faisant entrer des conflits intercommunautaires’’, s’interroge-t-il.
Et pour lui, la réponse est simple : la stratégie des djihadistes est en train d’inaugurer une nouvelle ère dans la lutte contre le terrorisme. Maintenant, ce sont les communautés locales qui prennent les relais des djihadistes qui, en même temps, trouvent facilement des sujets de recrutement. D’où la multiplication des zones d’instabilité dans les pays sahéliens et des pressions sur la communauté internationale et sur les forces de défense et de sécurité en intervention dans ces zones.
Ce qui rend davantage complexe la résolution de la crise sécuritaire au Sahel avec la multiplication de la violence et les malentendus qui pointent entre les acteurs sahéliens, les partenaires internationaux, et les communautés locales. Pour le Pr. Samb, aucun pays n’est à l’abri de cette situation d’insécurité. La preuve, avant 2015, le Burkina Faso était réputé comme un pays de cohésion sociale et de vivre ensemble. Aujourd’hui, il est devenu le théâtre de la violence djihadiste et intercommunautaire. ‘’Le Burkina doit attirer notre attention. En 2015, c’était un pays comme le Sénégal d’aujourd’hui, avec un dialogue interreligieux et une cohésion sociale. Cela montre qu’aucun pays n’est à l’abri du danger et de la manipulation terroriste’’, considère-t-il.
‘’Il faut réorienter le débat’’
Selon l’universitaire, pour faire face à ce problème, les pays du Sahel doivent réorienter le débat. Il ne s’agit plus de consacrer toutes les luttes vers les djihadistes. Il faut plutôt revoir les réalités du terrain. ‘’Les regards sont orientés vers le paradigme djihadiste tout en perdant le réflexe sur une analyse basée sur les faits et les réalités du terrain. Au Mali, les groupes terroristes ont instrumentalisé les communautés locales qui sont devenues leur base de recrutement. Il y a un enfermement qui n’a pas permis de saisir les mutations profondes qui s’opèrent sur le terrain. Dans ce contexte où on voit que la population locale n’a pas la même définition du conflit que la communauté internationale et les forces de défense et de sécurité, la domination des djihadistes impose une réponse politique’’, pense le directeur du Timbuktu Institute.
Le professeur Aly Tounkara de l’université de Bamako faisait partie des panelistes ; il a abondé dans le même sens. Selon l’universitaire spécialiste des questions sécuritaires dans le Sahel, comme au Burkina Faso, c’est aussi à partir de 2015 que le centre du Mali a commencé à enregistré des conflits identitaires. Selon lui, cette situation s’explique par l’absence de l’Etat et ses incapacités à fournir des services de base aux populations de certaines zones rurales du nord et du centre du pays. Il y a également la question du foncier et des richesses naturelles que ces populations disputent et que l’Etat tarde à régler.
‘’Même si nous avions ramené d’autres communautés qui ne sont pas Peulh ou Dongo dans ces zones, du moment où nous n’avons pas réglé certains problèmes comme l’accès au foncier, les partages des ressources naturelles, les communautés continueront à s’affronter. Si on creuse en profondeur, on se rend compte que ces conflits sont surtout liés à des intérêts professionnels. Et quelles que soient les ethnies, sans des réponses politiques et économiques efficaces, les conflits vont continuer’’, estime le Pr. Tounkara.
ABBA BA