Sommes-nous un peuple en sursis ?
La confrontation politique et la violence auront encore lieu si les concessions ne sont pas faites au nom de la paix et la cohésion. Ce discours fait l’analyse de l’état des lieux d'une crise qui n’est pas finie.
Chers compatriotes,
Ne nous trompons pas, nous vivons seulement le temps de pause de la crise que nous avons connu en début mars 2021. Les tensions vont continuer si on y prend garde.
La paix est une culture qui suit un processus éducationnel, culturel, socioéconomique et même politique. La paix implique l’équilibre social et celui de la justice ; elle implique la transparence et le respect des droits et la dignité des citoyens. La paix est la résultante de la culture démocratique. Ce processus prend du temps et cette culture se construit à travers les régimes politiques. Chaque régime apporte une pierre à la construction de cette valeur éthique.
Tant qu’en Afrique nous ne visons la paix et ensuite le développement comme objectifs ultimes des peuples, nous aurons toujours des crises ; nous vivrons la violence de façon récurrentes et le monde extérieur rira toujours de nous. Nous resterons ridicules. Nous nous détruirons et l’extérieur viendra nous apprendre comment nous reconstruire et vivre en paix.
La violence que notre pays vient de traverser risque de se répéter. Cependant, la probabilité et l’impact des prochaines crises dépendront de la veille rigoureuse des régulateurs sociaux (religieux et acteurs des droits de l’Homme) qui ont réussi à temps leur médiation. Ils dépendront aussi de la capacité d’influence des acteurs politiques protagonistes et leur pouvoir de manipulation, de l’état de l’opinion, surtout la jeunesse. Ainsi, on pourrait espérer une certaine modération des prochaines crises découlant de la logique des contradictions politiques, si nous prenons tous conscience en tant que peuple et ses dirigeants, que la paix est la base de tout développement et que nous devons œuvrer en conséquence pour la préserver.
Chers compatriotes,
Je disais que la raison de la paix est supérieure à celle de la loi. Heureux de voir la décrispation de la situation politico-sécuritaire dans notre pays, avec l’arrêt des violences et la fin du chaos. A mon avis, la crise ne sera terminée que si la rivalité politique en cours et qui risque de nous trainer jusqu’en 2024, enregistre la sérénité et la sagesse des acteurs, ce qui est d’une probabilité relative car la logique des acteurs politiques est souvent sombre .
La crise a fait trop de morts et des blessés qui vont hanter la mémoire collective. Tout porte à croire que nous sommes dans une période de pause dont le délai reste imprévisible. Pendant cette période, les principaux acteurs tenteront de donner des gages de bonne foi ou d’être plus agressifs pour acculer et déstabiliser l’adversaire. L’opinion habituellement manipulable, mesure rarement son intérêt.
Les acteurs concernés sont certainement en train de se préparer pour les prochaines batailles où personne n’aura droit à l’erreur. Celui qui fera un faux pas, sera « guillotiné » et éliminé de toutes courses, à jamais. En effet, la politique dans nos pays, est faite de croc-en-jambe, de coups bas, de leurres, de rapport des forces, surtout quand des positions stratégiques voire suprêmes sont en jeu.
Comme corolaire de la crise, le Président de la république a dit avoir compris les préoccupations de la jeunesse. Il a décidé de mettre fin à l’état de catastrophe sanitaire avec son corolaire de restrictions. La visée de cette décision est certainement de permettre aux travailleurs nocturnes de retrouver la liberté et la sérénité ainsi qu’une dignité financière, le couvre-feu ayant été levé ; les tensions dans les familles vont s’estompées. Les jeunes vont retrouver une certaine liberté d’épanouissement, se distraire, aller aux night-clubs, aux stades, assister aux matchs de foot, les lutteurs reprendront du service, la vie publique reprend son cours normal. Le Président a promis la mobilisation d’un fonds de plus de 300 milliards visant à donner des opportunités d’emploi à la jeunesse même si certains analystes se demandent pourquoi maintenant. Enfin, un deuil national est décrété le jeudi 11 mars 2021 en la mémoire des morts. Ces mesures sont louables si elles reçoivent une bonne écoute de l’opinion et contribuent à la paix.
Pour sa part, la partie adverse a aussi observé un deuil national le 12 mars. Une mobilisation prévue pour exiger entre autres, la libération de tous les « prisonniers politiques », mais aussi pour capitaliser sur les retombées de la mobilisation exceptionnelle, est reportée à la demande du Khalife général des Mourides. Malgré tout il faudra s’attendre à la confrontation si la censure de part et d’autre était relâchée. En effet, tous savent qu’aucun gouvernement au monde ne peut être à l’aise face au soulèvement de la masse, or cette arme est la favorite de ceux qui s’opposent aussi longtemps qu’ils réussiront à en disposer.
Il faut aussi remarquer certains discours un peu trop extrémistes demandant le départ du Président de la république, celui qui est quand même l’élu à ce poste. Et s’il partait, a-t-on mesuré les conséquences politiques et sécuritaires, certainement plus graves, ou bien s’agit-il d’une stratégie consistant à demander le plus pour obtenir le minimum acceptable ?
Les acteurs politiques utilisent des moyens de combat contradictoires. Si les uns comptent sur les mobilisations massives, l’intimidation à travers une certaine agressivité du discours, les autres, ceux du côté du pouvoir ont le privilège d’avoir les ressources financières, la disposition de la force publique, la justice et l’Administration, à priori pour faire régner l’ordre public, mais ils sont souvent accusés par leurs adversaires d’utiliser les moyens d’état pour les réprimer. La politique en Afrique est faite de ces contradictions.
La paix durable dépendra des actes juridiques et politiques que les acteurs présents et futurs vont poser. Pourtant avec un esprit de dépassement et de désintéressement, le Sénégal pourrait sortir grandi et définitivement de ces tensions, si les uns et les autres agissaient pour l’intérêt général, et que la justice appliquât des règles de sagesse, en restant impartiale. La raison de la paix étant supérieure à celle de la loi, la nation devrait bien être à l’aise par rapport au prix à payer pour garder la cohésion nationale.
Chers compatriotes,
Nous avons un pays formidable, mais atypique du fait qu’après les avancées, nous reculons souvent. Nous avons un pays rare où nous avons des régulateurs sociaux qui n’existent pas ailleurs ; on doit les valoriser. Nous avons un pays qui doit être un exemple pour le reste du monde pour ses valeurs de paix et de cohésion nationale. Nous n’avons pas de contradictions ethniques, sociales ou culturelles. Nous sommes une nation au vrai sens du mot. Nos problèmes dépendent de comment notre leadership politique nous gère. Mos propos n’est pas d’accuser quelqu’un, mais de construire. Nous avons tous le même niveau de responsabilité en tant que citoyens d’une même nation. A cet effet, nous devons regarder le film des évènements passés, les décortiquer et en tirer des enseignements.
LA CRISE
En une semaine, le Sénégal a connu un niveau de violence, de dégâts matériels et de chaos jamais vu dans l’histoire de ce pays. Juste une semaine et après, c’est terminé, du moins pour le moment, grâce au génie de ce peuple et son leadership moral qui a permis l’assouplissement des positions étatiques et les décisions judiciaires prises pour calmer le jeu. Nous saluons ce courage.
La crise a fait une dizaine de morts, plus de 500 blessés, des attaques et destruction de postes de gendarmerie, d’infrastructures du TER et du BRT ; des incendies de commerces et résidences privées ainsi que des bureaux administratifs, sans compter le pillage des intérêts français. Quel est le message qui est derrière ? On doit le décortiquer sans gêne avec l’aide d’experts.
Un seul mort est de trop et l’une des dernières qui a été très douloureuse symboliquement, a été celle de ce garçon, la vingtaine, qui a reçu une balle d’un élément de la police (dit-on), le drapeau du Sénégal entre les mains, manifestant. C’était le 8 mars 2021, aux parcelles assainies de Dakar. La police nationale qui est une institution de grande valeur et très respectable ne va jamais se reconnaitre dans ce meurtre car cela ne fait pas partie de ses principes et règles d’engagement. Son intervention vise en principe à préserver l’ordre et la tranquillité des populations et non à être citée dans des incidents de cette nature du fait d’un de ses éléments ; des cas isolés certainement. La police et la justice mèneront les enquêtes nécessaires au nom de la vérité, pour sanctionner les coupables et protéger leur image.
Nous rendons hommage aux forces de sécurité, notamment l’Armée nationale en premier, la Gendarmerie et la police sans qui la nation pourrait être en danger. Hommage aussi aux organisations des Droits de l’Homme qui veillent au respect de la dignité de tous. Dans certains pays africains, des crises pareilles auraient fait des carnages sans aucun procès. Il faut reconnaitre le professionnalisme de nos forces qui globalement se sont bien comportées en ces temps difficiles, même si nous déplorons sérieusement les pertes injustifiées en vies humaines. La vérité sur ces morts est une obligation. En attendant, la douleur des familles éplorées doit être prise en compte par l’Etat.
Chers compatriotes,
La crise que nous venons de traverser et qui est parti d’une plainte pour viol a connu plusieurs dimensions qui méritent une analyse. Sans prétendre cerner tout le problème, je partage ici, en tant qu’observateur neutre et apolitique, ma lecture en espérant qu’elle pourrait contribuer au débat pour nous enrichir.
1. Il y a la dimension jeunesse avec une mobilisation jamais égalée ; des jeunes d’une combativité et une témérité jamais vues. Tous ces jeunes ne sont pas forcément politiques, mais ils ont en commun un idéal révolutionnaire, contestataire, une volonté de liberté, de justice sociale et d’épanouissement et surtout un souci de développement et de reconnaissance sociale personnelle. Les jeunes sont victimes de chômage, de l’émigration risquée et autres frustrations aggravées par le contexte économique ainsi que celui du COVID. L’occasion était belle pour ceux-ci de s’exprimer en faveur de celui qu’ils considèrent comme l’incarnation de ses idéaux.
2. La campagne de communication des supporters du leader politique objet de la plainte, ainsi que le nombre d’informations sur les faits incriminés ainsi que sur le contenu de l’enquête mis à la disposition du public, ont fini par gagner une adhésion populaire accréditant la thèse du complot. La mobilisation qui s’en est suivi pour soutenir à mort le leader du PASTEF, ne pouvait qu’aboutir à un compromis pour permettre de sauver les faces et la paix, sinon ce serait la mort de la nation sénégalaise. Le pays allait sérieusement bruler.
3. La crise a une dimension nationale car les manifestations et violences ont eu lieu partout dans le pays, du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est, avec quelques variables dans certaines localités, et de façon spontanée faisant dire à certains commentateurs politiques qu’il y avait un plan préétabli, ce que les concernés contestent. La plupart des sénégalais pris au dépourvu et craignant de subir les conséquences de la violence, se sont terrés ou bien ils se sont éloignés, en voyageant.
4. Il y a eu un accent régional évident avec la mise en avant des bois sacrés ainsi que le caractère mystique et mythique du soutien de cette région à son fils. Nous avons vu les processions de femmes et des jeunes en prière, et une certaine colère s’exprimer par rapport à la « discrimination » de la région Sud du pays. Cette région a connu le premier mort des évènements. La crise a connu une dimension identitaire, non au sens péjoratif, mais pour faire référence à la singularité culturelle casamançaise et ses velléités historiques de refus de ce que ses populations ont souvent considéré comme arbitraire, qui, au cours du passé de cette région, rappellent à notre mémoire, le symbole de refus que représente Aline Sitoé Diatta face au colon et la rébellion du MFDC qui a duré plus de 35 ans et qui était parti d’un fait que certains pourraient caractériser de « banal », sans mesurer la gravité et la portée de certains détails dans certaines circonstances. Pourtant le Sénégal peut aussi se vanter d’avoir eu dans son histoire des résistants valeureux avec des approches différentes. Si certains rois ont été combatifs, d’autres personnalités historiques ont plutôt marqué l’histoire de notre nation grâce à leur approche intellectuelle et pacifiste de la résistance, on peut en citer entre autres, Thierno Souleymane Baal, Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Anta Diop et les références de la Tijâniyya Sénégalaise; de vrais héros nationaux qui devraient inspirer notre orgueil national. Ces lumières nous ont légué des enseignements qui auraient pu aujourd’hui, fondé les bases de notre nation et les politiques futuristes de ce pays.
5. Il convient de rappeler que la crise a eu lieu deux semaines après le démantèlement des bases du Front Sud du MFDC par l’Armée, une victoire historique ! A la suite, lors de son discours du 2 mars, le Leader du PASTEF, proposait à l’Etat, sa disponibilité sans frais, pour une paix définitive en Casamance. Aussi, dans son discours d’après sa mise sous control judiciaire, le 8 Mars 2021, a-t-il réitéré sa position vis-à-vis de la Casamance en demandant à tous les rebelles de rendre les armes et se mettre à la disposition de l’Armée en vue du déminage ; un appel qui dit-on, aurait été bien entendu par les rebelles même si une au moins une voix plutôt critique aurait été entendue. A travers ces faits et propos, le leader du PASTEF aurait certainement tenté de montrer qu’il tient cette région dont il ne faut pas négliger le poids et surtout sa capacité d’influencer le cours des évènements.
6. Au plan juridique, le contrôle judiciaire a juste été une solution opportune et opportuniste qui a permis la liberté de la personnalité incriminée, sachant que la réquisition du procureur était assortie d’un mandat de dépôt. C’est heureux de voir que le chaos est ainsi évité en évitant l’arrestation de cette personnalité politique.
L’instruction se poursuit. Le juge d’instruction prendra, en un moment donné, une décision ou garder l'epée de Damoclès , sans que l’on puisse apprécier de façon objective sa bonne foi. Tout dépendra de quel bord on est. Si sa décision est perçue comme porter atteinte à l’intégrité physique et moral de la personnalité incriminée, elle risquerait d’avoir une tournure politique, et de nouveau, sombrer le pays dans la violence. Cependant toute décision judiciaire favorable serait appréciée par les partisans du leader de l’opposition politique comme une victoire sur le chemin de 2024. Comment ceci serait-elle perçue par le camp du pouvoir qui, selon la logique politique aspire elle aussi à garder le pouvoir le plus longtemps possible. Voila des contradictions de plus en vue.
7. Un capitaine, officier de police judiciaire partie de l’enquête de Gendarmerie, parle de l’enquête au public et dénonce, en dehors de la Grande Muette. Il n’est pas habituel de voir ce phénomène au sein des Armées. Souffre-t-il de remord ? est-il révolté ? est-il juste véridique et courageux ? jouit-il de ses sens ? nous avons entendu tous ces commentaires et même vu une certaine instrumentalisation, de bonne guerre. Encore une leçon à tirer de ce comportement inédit.
8. Le discours du Président est fait sur un ton de sagesse. S’il y a une bonne foi et une détermination de matérialiser les promesses tout en lâchant du lest en satisfaisant certaines demandes de ses adversaires, on pourrait voir la paix et la sécurité se consolider à l’actif de l’autorité suprême car le sénégalais est très sensible aux gestes de paix comme il l’est également à l’endroit des gens perçues comme victimes de persécution.
9. Il faut noter que la politique n’est pas mathématique, rien n’y est prévisible. Elle est fortement influencée par le discours, le contexte socioéconomique, les moyens de propagande, les réalisations du pouvoir, l’état de droit, et surtout la perception de l’opinion sur le fonctionnement des institutions et sur le respect de ses droits.
Pour conclure, chers compatriotes,
La crise éphémère et très violente de la première semaine du mois de mars 2021 et son aboutissement très louable, nous met malgré tout, devant un couloir où les acteurs politiques de premier plan pourraient avoir à jouer leur va-tout pour sauver la face, gagner ou perdre devant l’histoire.
Nous ne sommes pas à l’abris de la répétition de la crise, mais la clé de sa gestion dépendra du niveau de préparation de l’état à faire face à ses responsabilités dans le respect des droits de l’Homme, en ayant gagné par avance le cœur de l’opinion. Le succès de l’opposition ou du moins des « anti-pouvoir » qui n’a pas les moyens de l’Etat, dépendra de sa capacité de mobilisation et à chauffer l’opinion, la jeunesse en particulier, pour avoir le poids de la masse. Leurs atouts sont les frustrations manifestées par cette jeunesse.
La paix définitive dépendra de comment les acteurs politiques présents et futurs prendront en compte l’avenir de la jeunesse et démontreront de façon juste et transparente leur volonté de développer ce pays dans l’égalité des chances et la justice tout en valorisant les régulateurs sociaux et la singularité sénégalaise incarnée par les enseignements de ses héros historiques. En entendant la suite des évènements, le baromètre de la justice sera un élément déterminant.
Pour cette crise: la raison de la paix est supérieure a celle de la loi.
#BiromeDiouf