Publié le 14 Feb 2013 - 20:25
SOULEYMANE GUENGUENG, VICTIME DU RÉGIME DE HABRÉ

‘’J’avais une infection en prison, du sang et de la pue suintaient de mon opération’’

Il a frôlé la mort dans les geôles tchadiennes sous le régime d’Hissène Habré. Deux années et demie de lutte farouche contre une mort programmée. Miracle : Il a survécu ! Le Président fondateur de l’association des victimes des crimes et répressions politiques au Tchad raconte dans cet entretien les supplices vécus en prison. Voici son histoire !

 

 

On vous a vu pleurer à la diffusion du film Hissène Habré, la traque d’un dictateur. Qu’est-ce que ce film a réveillé en vous ?

 

Ce film fait revivre un pan important de notre histoire. C’est l’image des souffrances, des cellules, des tortures qui reviennent en moi. Cela me choque et je me demande toujours si ce ce sont des êtres humains comme moi qui m’ont infligé toutes ces souffrances ? Je me demande également pourquoi depuis plus de 20 ans, les gens n’essaient pas de nous comprendre afin que justice nous soit faite. Ce sont des trucs pareils qui me tapent au cerveau et je suis directement touché par l’émotion. A chaque fois que je suis appelé à témoigner sur ce que j’ai vécu en prison, je ne peux m’empêcher de verser des larmes. Il m’est impossible de me retenir. C’est le summum de la cruauté que j’ai vécu du mercredi 3 août 1988, date de mon arrestation, au 1er décembre 1990, date de ma libération. Plusieurs ont vécu pire, tandis que d’autres n’ont malheureusement pas survécu.

 

Dans quelles conditions viviez-vous en prison ?

 

Je vous parlerai simplement de la première phase de ma détention. Dès mon arrestation, on m’a amené dans une cellule de 2 mètres de long et 1,20 mètre de large. J’y ai trouvé 7 personnes et j’étais la huitième ; il n’y avait pas de possibilité d’étaler ses jambes, il n’y avait pas de possibilité aussi de s’allonger. Au bout de 2 à 3 semaines, les prisonniers étaient paralysés. Ils marchaient sur leurs fesses lorsqu’il s’agissait d’ouvrir un peu la porte pour laisser l’air entrer. J’ai eu la chance de ne pas être paralysé, parce qu’avant de faire 2 semaines, on m’avait changé de cellule, il y avait beaucoup de nouveaux arrivants et les gardes étaient tous convaincus que j’allais mourir et attendaient juste que je crève, tellement j’étais mourant. Pendant les 11 derniers jours du 7e mois de mon incarcération, ma respiration était devenue imperceptible à trois reprises. Mon unique chance, c’est que lorsque j’étais dans cette situation, personne ne venait ramasser le corps des morts. Un ramassage qui se faisait régulièrement pourtant dans cette prison où les gens mourraient comme des rats. Vous savez, lorsque l’être humain est dans la souffrance, il est beaucoup plus proche de son Dieu. En tant que chrétien ferme dans ma foi, on m’empêchait même de prier. Je me rappelle une fois, j’étais agenouillé dans ma cellule pour prier. Un gardien de la prison m’a sévèrement donné un coup avec ces chaussures ‘’rangers’’, il a failli me casser le derrière. C’était trop choquant et c’est par miracle que je suis toujours vivant.

 

Comment vous organisiez-vous dans ces cellules étroites pour tenir le coup ?

 

Quand l’être humain est en difficulté, il cherche toute sorte de solutions pour s’en sortir. Chacun parmi nous mettait son dos contre le mur et on se faisait face. Les uns se serraient tellement fort qu’ils permettaient aux autres amis d’en face de mettre leurs jambes sur leurs épaules pendant un temps qu’ils pouvaient supporter. Et vice-versa. C’était pour nous une manière d’étendre un peu nos jambes. Le pire, c’est que le sol était craché de ciment et ceux qui parvenaient par extraordinaire à se coucher, le regrettaient trop vite, car les petits blocs de ciment tranchants les blessaient aux moindres mouvements. J’ai vécu dans ces conditions, alors que je venais juste de subir une opération.

 

Ah bon ! Racontez-nous !

 

Ils sont venus directement chez moi m’arrêter, alors que je revenais de l’hôpital. Ils avaient refusé de m’accorder des soins. Par la suite, j’ai fait une infection en prison, du sang et de la pue sortaient de mon opération. Cela a créé d’autres problèmes, j’avais des œdèmes aggravés par la nourriture qu’on nous donnait qui était composée de riz avarié, de poissons rejetés et le comble, ils mettaient du sable dedans. A un moment, j’avais la grippe, le paludisme et le corps plein d’œdèmes. Rien qu’à sentir l’odeur des repas, je vomissais jusqu’à m’évanouir souvent. Je prenais juste de l’eau. Il en a été ainsi jusqu’à ce qu’un garde soit appelé par mes codétenus pour lui notifier que j’étais en train de mourir. Il a demandé que l’on me déplace aux grands locaux où vivaient les anciens prisonniers et où il y avait une petite infirmerie. On m’y a amené et il y avait une cuisine. C’est là-bas que j’ai trouvé Clément (NDLR : actuel président de l’association des victimes). Sur place, on s’est occupé de moi, en chauffant de l’eau et en me donnant de l’oignon et des soins. Après m’être senti mieux, on m’a amené dans une autre prison. Au total, j’ai fait 2 ans et demi dans les prisons sous le régime de Habré. Malgré tout, j’ai choisi de ne pas me venger, car il fallait chercher la voie de la justice pour savoir pourquoi on nous a fait tant souffrir. Est-ce que donner son avis sur la manière dont son pays est géré mérite une telle répression.

 

Comment vous en êtes-vous sorti?

 

Nous nous en sommes sortis, grâce au coup d’État de Idriss Déby qui a sorti du pouvoir Hissène Habré. Lorsque RFI a annoncé l'arrivée des militaires à N’Djamena, les gens ont pris la fuite, en abandonnant leurs tenues et leurs fusils. A 2 heures du matin, les prisonniers qui étaient dehors, qui ont entendu les coups de fusils, sont venus nous dire que Habré avait déjà quitté le pouvoir et qu'il fallait qu'on casse les portes pour sortir. Mais nous n'avions pas de force. Heureusement, les gardes pénitentiaires ont abandonné les clés qui étaient restées accrochées au grand arbre où ils jouaient souvent aux cartes. C'est le chef des cuisiniers qui a demandé au lieutenant de nous faire parvenir les clés par la petite fenêtre. C'est ce cuisinier qui s’appelait Barnabé, qui nous a ouvert les portes après s'être libéré lui-même.

 

Qu'espérez-vous, avec l'ouverture de la Chambre africaine pour juger Habré?

 

La vérité et la justice appartiennent à Dieu. Nous n'avons rien fait. Les gens ont voulu nous tuer. Si Dieu a préservé nos vies, c'est pour cette mission. Je me disais que tôt ou tard, la vérité allait triompher un jour. Vous avez vu ce que l'ancien régime a fait. Tout ce que les dictateurs ont conjugué comme efforts pour qu’Abdoulaye Wade ne juge pas Habré. Le moment est venu. Grâce à la Cour internationale de justice, le Sénégal avait l'obligation soit de juger ou d'extrader Hissène Habré. Dieu a fait que le nouveau Président Macky Sall a pris l'engagement de le juger. Notre seul souhait maintenant, c’est que le Sénégal fasse un procès équitable. On veut la vérité. C'est nous les victimes de la dictature de Habré qui avons saisi la justice. Nous savons que cette justice peut réparer beaucoup de dommages du point de vue psychologique. Et si demain, Habré et ses souteneurs se retrouvent emprisonnés, s’ils nous demandent pardon, nous leur accorderons. Ce qui installera une vraie paix dans notre pays.

 

 

Par Amadou NDIAYE

 

 

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