Le service à 1 000 francs imposé pour 2 000 francs
Du fait de l'absence concrète sur le marché des timbres de 1000 francs, les populations désirant d’obtenir une carte nationale d’identité nationale sont contraints de débourser 2 000 francs et même souvent 2 500 francs pour le même service. La pratique est en cours dans certains commissariats comme celui de Grand- Yoff. Entre fausse rupture de stocks et pénurie organisée, on s'interroge. Et la Direction générale des impôts et domaines n'aide pas à éclairer les usagers. Au grand bonheur des spéculateurs.
Pour obtenir à nouveau une carte nationale d’identité, Babacar* se pointe au commissariat de Grand-Yoff dès l’aube. Le visage bouffi, cet enseignant en langue arabe semble n’avoir pas fermé l’œil de la nuit de peur d’être forclos. «Je suis arrivé ici après la prière du Fadjr, dit-il. Puisque je dois retourner sur Kaolack demain, c’est la seule façon pour moi d'avoir une carte d’identité». Ici, le nombre de personnes à enregistrer est très limité. Pas plus de 20 par jour, informe-t-on. D’où la présence de cette foule compacte massée devant le bureau où les documents sont reçus.
Il est 9h. Les usagers attendent l’arrivée des agents préposés à cette tâche. A mesure que les minutes passent, la cour se remplit. «Qui est le dernier sur la liste ?», s’informe un jeune homme qui vient de débarquer. «Va t’inscrire sur la liste», lui répond Martin*, «deuxième» sur la liste. Assis sur une chaise, Martin tient entre ses mains les documents nécessaires à la confection d'une carte nationale d'identité. Soit un extrait de naissance, un certificat de domicile et un timbre.
Seulement, le timbre dont dispose Martin est plus cher que celui dont le prix est affiché devant le bureau : 1 000 francs Cfa. Introuvable sur le marché, ce même timbre se monnaye 100% plus cher sur le marché parallèle : 2 000 francs Cfa. C'est l'alternative que les autorités policières proposent aux populations de Grand-Yoff. Martin en est indigné : «Je ne peux pas comprendre qu’on nous fasse payer un timbre de 2 000 sous prétexte que le timbre de 1 000 francs est introuvable. C’en est trop !»
La pénurie, réelle ou organisée, est devenue une réalité, mais pourquoi la police n'essaye-t-elle pas de trouver une solution moins onéreuse pour les usagers ? se demandent beaucoup de personnes. Martin, lui, en a des idées. «Elle pouvait à la limite nous demander de payer cinq timbres de 200 francs l'unité, ce qui reviendrait à 1 000 francs».
L’occasion faisant le larron, le revendeur d’à côté a vu son chiffre d’affaires croître de manière exponentielle : il ne se gêne pas pour vendre le timbre à...2500 francs Cfa. A prendre ou à laisser, d'après son attitude arrogante ! Une marge bénéficiaire «exorbitant» que le propriétaire du magasin, la trentaine, tente de justifier sans convaincre. «Je vais jusqu’en ville pour payer les timbres. Il faudrait bien que j’en tire mon bénéfice», dit-il comme pour se déculpabiliser.
Situé face au poste de Police, ce magasin multiservice (photocopie, plastification, etc.), ne désemplit pas. Pendant ce temps, un homme d’une cinquantaine d’années se présente. Il veut une carte d’identité, mais sans aucune chance de se faire enregistrer aujourd’hui vu le rush. Impatient, il rebrousse chemin non sans lancer cette pique à l’endroit des policiers. «Au Sénégal, les gens ne travaillent pas. Comment des agents du service public peuvent-ils rester jusqu’à cette heure sans venir au bureau ?» s'interroge-t-il. C'est à 9 h 20 qu'un homme en civil, grand de taille, déboule. Il fait partie des agents de la police commis pour la confection des cartes nationales d’identité. La liste des candidats entre ses mains, il procède à l’appel, jusqu'à épuisement du nombreux prévu. Les autres peuvent toujours revenir demain. «Mais très tôt».
Poussant loin les investigations, EnQuête s’est rendu au siège des Impôts et domaines, au centre-ville. Renseignement pris au guichet où les timbres sont vendus, on nous annonce la mauvaise nouvelle pour les usagers : il n'y a plus de timbre de 500 ou de 1000 francs. Aucune explication avancée.
*Noms d’emprunt
ALASSANE SALL (COMMISSAIRE DU POSTE DE POLICE DE GRAND-YOFF)
«Les populations ne doivent pas être victimes des manquements de l’administration»
Interpellé sur les complaintes des populations, le commandant Alassane Sall, chef du poste de police de Grand-Yoff, recevant EnQuête dans son bureau, impute la responsabilité de cette «pénurie» aux services compétents des Impôts et domaines. «Depuis plusieurs mois, on a arrêté la fabrication des timbres de 500 francs et 1 000 francs. Et puisque nous ne pouvons pas renvoyer les usagers, nous leur demandons de payer le timbre de 2 000 francs... La carte d’identité nationale est un document très précieux, donc on ne peut pas ne pas en produire», explique le Commandant Sall. «S’il y a rupture de timbres, les autorités des Impôts doivent prendre leurs dispositions. Les populations ne doivent pas être victimes des manquements de l’administration», dit-il.
ANGE MANCABOU, CHARGÉ DE LA COMMUNICATION DE LA DGID
«il n'y a pas de rupture»
Du côté des Impôts et domaines, on semble vouloir jouer au chat et à la souris. Difficile de trouver un interlocuteur qui puisse apporter des réponses précises à la situation. Joint par téléphone, Ange Mankabou, le chargé de communication, est formel : «il n'y a pas de rupture» des timbres. Ce qu’il y a, dit-il, «c’est que les quotités de 100 francs et 200 francs n’existent plus depuis la réforme du code des impôts. Ces quotités n’existant plus, les timbres dédiés à ça doivent être enregistrés gratuitement».
Quid des timbres de 1 000 francs, le vrai casse-tête des usagers citoyens en quête de pièce d'identité ? M. Mancabou insiste pour nous dire encore qu’ils sont toujours en circulation... Puis il nous demande de le rappeler «dans 48 heures», le temps pour lui de se renseigner davantage. Relancé par nos soins le samedi 21 septembre, il nous met en rapport avec un certain El Hadji Ibrahima Diop, directeur de la Législation, des études et des affaires juridiques. Ce dernier, «sur le point de voyager», nous renvoie à son collègue Baye Moussa Ndiaye, chef du Bureau des relations internationales qui promet de réagir. Il ne donnera plus signe de vie...