La grande pollution sonore du Grand Théâtre
A chaque fois qu’il y a une prestation sur l’esplanade du Grand Théâtre, les riverains ne dorment pas. Le son n’est pas maitrisé et dérange jusqu’au palais présidentiel.
Il fut un moment où remplir les 1 800 places de la grande salle du Grand Théâtre était un challenge pour les artistes sénégalais. Ce qui paraissait énorme pour ces derniers qui n’avaient jusque-là qu’une salle de spectacle disposant d’un peu plus de 1 000 places, Sorano, est devenu minime pour certains. Ayant l’habitude de jouer un peu partout dans le monde, Youssou Ndour a compris très tôt que les 1 800 places ne constituaient pas grand-chose. A part des soirées de gala avec des tickets d’entrée de pas moins de 25 mille F Cfa, le Roi du mbalax n’a jamais joué dans cette salle. Il a préféré, très tôt, pour ses concerts, l’esplanade de ce bijou culturel.
Après différentes prestations à problèmes au Grand Théâtre, parce qu’à chaque fois tous ceux qui avaient acheté un ticket n’ont pu accéder à la salle, Wally Ballago Seck a décidé, pour son dernier concert, de tenir son show sur l’esplanade.
Chez les artistes sénégalais, dès que l’un commence une chose, les autres suivent. Donc, on s’attend à une série de prestations sur l’esplanade du Grand Théâtre, très prochainement. Ce qui ne sera nullement du goût des riverains rencontrés par ‘’EnQuête’’. Les prestations dans la cour du Grand Théâtre ne les agréent pas du tout. Quand il y a des concerts dehors, le son indispose énormément le voisinage. Ce n’est pas que le proche voisinage qui est concerné. Le son dérange jusqu’au palais présidentiel.
‘’Cela nous dérange énormément’’, indique un monsieur trouvé chez le chef de quartier de la rue Fleurus. ‘’Le chef de quartier est sorti. Il est plus habilité à vous en parler. Mais je peux vous assurer que ce son dérange vraiment’’, affirme-t-il. Trouvé chez lui, juste en face du Grand Théâtre, Atoumane Mbengue confirme : ‘’Cela nous dérange énormément. On ne peut même pas prier correctement’’, se désole-t-il. Ce que confirme un autre jeune habitant en face de l’hôtel Pacha. ‘’Il y a ici une mosquée’’, dit-il en pointant son doigt vers un endroit. ‘’On ne peut même pas entendre l’appel du muezzin. C’est vraiment dommage. Même quand on est côte à côte dans nos maisons, il est difficile de s’entendre. Donc, comment tenir une conversation dans ces conditions ?’’, regrette-t-il.
A ce dommage, s’ajoute l’impossibilité de dormir paisiblement, à cause des décibels. ‘’Quand il y a un spectacle, on peut rester des jours sans dormir. La dernière fois, quand Wally Seck devait jouer ici, on n’a pas dormi les mercredi, jeudi, vendredi et samedi. Je me suis réveillé le dimanche avec des maux de tête. Ce n’est pas du tout supportable pour quelqu’un qui a mon âge’’, dit un monsieur, la soixantaine bien entamée, l’air contrit. ‘’On n’arrive pas à dormir, quand un artiste doit jouer dehors. Ils commencent trois jours avant le concert les répétitions à 18 h et terminent à 21 h. Le jour du concert, ils commencent à mettre généralement de la musique à 18 h et ce jusqu’au petit matin’’, se plaint le jeune homme trouvé chez le chef de quartier.
‘’Quand on dénonce cette situation, certains trouvent qu’on est méchant’’
Chez Atoumane Mbengue, une jeune fille qui ne faisait au début que suivre les échanges, décide de participer au débat. Elle témoigne : ‘’Mon lit est jusque à côté de la fenêtre de ma chambre. Quand on joue dehors, c’est comme si c’était dans ma chambre. Mon lit même vibre à cause de la puissance du son’’, se lamente-t-elle. ‘’Nul n’oserait faire cela en Europe’’, croit savoir un riverain. ‘’Quand on dénonce cette situation, certains trouvent qu’on est méchant, parce que ces gens ne font que travailler. On veut bien les laisser travailler, mais qu’ils respectent notre quiétude aussi’’, demande une jeune fille sous le couvert de l’anonymat.
‘’Il faut réorganiser les choses’’
‘’Il faut réorganiser les choses’’, suggère un d’entre eux. ‘’Abdoulaye Wade aurait dû choisir un autre site. Le Grand Théâtre ne nous apporte que de la pollution sonore et des embouteillages monstres. Nos jeunes, ici, ne bénéficient d’aucune faveur. Même pour le nettoyage du Grand Théâtre, on est allé chercher le personnel ailleurs’’, regrette Atoumane Mbengue. Très énervé et comme s’il n’attendait qu’une occasion de sortir tout ce qu’il avait sur le cœur, il a saisi l’occasion pour dénoncer la débauche aux alentours du Grand Théâtre qu’occasionne la tenue de grands évènements. ‘’Dans cette étroite ruelle qui ressemble à un couloir, on a chassé un couple ici, très tôt le matin. On les a trouvés dans une posture pas du tout catholique. On trouve ici également le matin, plein de bouteilles de bière vides’’, révèle-t-il.
‘’EnQuête’’ a tenté, à plusieurs reprises, de joindre le directeur du Grand Théâtre, Keyssi Bousso, en vain, afin qu’il explique pourquoi le son n’est pas maitrisé, lors des prestations sur l’esplanade. Un message lui a même été envoyé en exposant clairement l’objet de l’appel. Message auquel il n’a pas donné suite.
L’avis d’un professionnel Dans cette affaire, tout est question d’installation, selon un professionnel du son joint par ‘’EnQuête’’. Il explique qu’il n’y a pas de matériel de sonorisation pour les intérieurs ou les extérieurs, de manière générale. Pour diminuer l’accent des tonalités, il faut mettre en place des enceintes de rappel. L’enceinte est un ensemble composé d’une boîte et de haut-parleurs. En faire des rappels consiste à en placer de part et d’autre dans l’espace qui reçoit le concert. ‘’Si c’est sur l’esplanade du Grand Théâtre, par exemple, on peut en mettre sur la scène, mettre une autre à 200 m, etc. Tout dépend de l’espace qu’on compte occuper. C’est avec ces rappels que le son va être réglé. Cela permettra de diminuer la tonalité des baffles, en permettant à tout le monde de bien entendre, de jouir du spectacle sans déranger les voisins’’, explique-t-il. Car, lorsqu’on met des baffles juste sur la scène, on est alors obligé de les mettre en hauteur. C’est cela qui propage le son, selon le spécialiste joint par ‘’EnQuête’’. On ne peut diminuer le son, quand on installe ainsi les baffles, au risque qu’une partie du public n’entende pas la musique. Ainsi installées, on ne peut maitriser les choses. ‘’Il y a une vitesse du son qui est de 300 mille mètres par seconde. C’est ce qui fait, quand il y a un spectacle au stade Léopold Sédar Senghor, par exemple, qu’on entende le son jusqu’à Grand-Yoff’’, dit-il. Par ailleurs, vu que ceux qui prestent au Grand Théâtre n’ont pas les moyens d’installer des rappels ou de faire appel à des ingénieurs de son qualifiés, qu’ils retournent alors dans la grande salle. |
BIGUE BOB