Publié le 24 Jun 2020 - 05:22
STATUE DE FAIDHERBE, RETRAIT DES SYMBOLES DE LA COLONISATION

Des spécialistes appellent à ne pas se tromper de combat 

 

La lutte contre le racisme et les discriminations dont sont victimes les Noirs à travers le mouvement Black Lives Matter (La vie des Noirs compte) est un combat qui ne devrait pas, selon quelques acteurs culturels, occasionner le retrait des symboles de la période difficile qu’a constitué la colonisation de l’Afrique. 

 

Dans un entretien récemment publié par ‘’EnQuête’’ (le 10 juin 2020), le Pr. Ousmane Sène, Directeur du Centre de recherche ouest-africain (Warc, sigle en anglais) soutenait, à propos du déboulonnement ou non de la statue du général Louis Faidherbe, dans la ville au Nord du Sénégal, qu’il s’agit d’une ‘’question nationale, soit, mais elle interpelle d'abord Ndar (Saint-Louis) et ses enfants. Si Faidherbe fâche, la municipalité de cette ville ainsi que les habitants n'ont qu’à prendre la décision et les mesures idoines. Les Sénégalais sont libres de donner l'image qu'ils souhaitent d'eux-mêmes et la tolérance n'est pas nécessairement faiblesse ou infériorité’’.

Deux semaines plus tard, l’onde de choc qui traverse le monde depuis la mort de George Floyd aux Etats-Unis, avec le déboulonnement de figures du colonialisme et du racisme un peu partout, a aussi atteint la ville tricentenaire. Le weekend a vu l’imam de la grande mosquée de Saint-Louis ainsi que les activistes du collectif Faidherbe doit tomber, réclamer le retrait de l’édifice de la place symbolique qui porte le même nom.

Trois années après une première opposition sur cette question, le professeur Babacar Mbaye Diop, spécialiste d’esthétique, de philosophie de l’art et de la culture, appelle les Sénégalais et les Africains à ne point se tromper de combat, avec le retour sous le feu des projecteurs de cette polémique. ‘’Le débat doit être constructif et non passionné. Notre combat, celui des Noirs, n’est pas de déboulonner des statues, mais de lutter pour éliminer définitivement le racisme et la discrimination des Blancs... et même des Arabes’’, éveille le chargé d’enseignements à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). Loin de justifier la colonisation et tout système racial, le Pr. Diop est d’avis que l’on ne peut pas nier que Faidherbe fait partie de l’histoire du pays. Et ‘’contrairement à la majorité des Sénégalais’’, il est ‘’de ceux qui pensent que nous devons conserver les preuves et les traces des agressions et violences coloniales. Les détruire, c’est vouloir les effacer de notre histoire’’.

Ces preuves que le philosophe ne souhaite pas voir détruites concernent les bâtiments coloniaux à Gorée, Saint-Louis, Rufisque, Dakar-Plateau, la Maison des esclaves, le palais de la République, le musée Théodore Monod de l'Ifan-Cheikh Anta Diop. Mais aussi le pont Faidherbe de Saint-Louis, les anciens bâtiments coloniaux devenus des préfectures et des gouvernances à Dakar et à l'intérieur du pays, les anciennes gares, la langue française. Pour tous ces bâtiments sur lesquels plane le spectre de l'esclavage et la colonisation, ‘’ne pas les détruire, c'est aussi une manière de se rappeler ce passé douloureux et de regarder devant pour construire notre propre avenir’’.

‘’Si l’on déboulonne la statue de Faidherbe, rasons le palais de la République ainsi que le chemin de fer qu’il a construits’’

Une vision de l’histoire que partage Abdoulaye Gaye, gestionnaire du Patrimoine culturel au ministère de la Culture et de la Communication. L’homme de culture explique ses réserves : ‘’Je suis tout à fait d’accord que l’on déboulonne la statue. Cependant, pas de demi-mesure : rasons tout ce qui est lié à la présence française au Sénégal, autrement dit la colonisation (palais de la République, chemin de fer, port de Dakar créés par Faidherbe…). Vouloir effacer tout cela signifierait faire un lavage de cerveau en quelque sorte, effacé définitivement une partie de notre histoire, si douloureuse soit-elle. Sur le côté patrimonial, nous dirons qu’un pan de notre histoire nous sera enlevé, il y aura un trou, un vide que nous assumerons, bien sûr.’’

Ces spécialistes sont unanimes. Il ne s'agit pas de célébrer Faidherbe, mais de ne pas l’effacer définitivement de l’histoire qu’il faudra raconter non seulement dans les textes, mais aussi avec des images. Et comme le suggère le Pr. Diop, si les autorités décidaient de déboulonner ces statues, il leur ‘’conseillerait de ne pas les détruire et de les placer dans nos musées avec une documentation précise sur ‘ces tristes faits historiques’’’. Cependant, précise Abdoulaye Gaye, cela ne sera pas au détriment des figures historiques du Sénégal, ces dernières ne jouant pas le même rôle ou la même fonction. ‘’Pour plus de présence de nos figures historiques, ajoute-t-il, il nous faut les inscrire davantage dans nos programmes scolaires et durant tout notre cursus. Nous avons de valeureux et vaillants résistants qui ont donné leur vie, qui se sont sacrifiés. Ceux-là devraient avoir leurs noms pérennisés. Ils doivent avoir une place privilégiée dans notre vécu’’.

Contrairement aux autorités municipales de l’ancienne capitale du Sénégal et de l’Afrique occidentale française (AOF), qui ont décidé de remettre en place la statue de Faidherbe, lorsqu’elle avait été endommagée en 2018, le maire de Dakar-Plateau, la commune abritant le centre-ville de Dakar, a annoncé, il y a deux jours sur sa page Facebook, son intention d’engager des réflexions sur le changement des rues qui portent, pour la plupart, des noms de colons et de figures historiques français.

Si les mêmes revendications concernent Saint-Louis et notamment le pont Faidherbe, l’agent du ministère de la Culture considère que les contextes sont bien différents. ‘’Saint-Louis est classée patrimoine mondial de l’Unesco, selon des critères bien définis. Donc, n’appartient pas seulement au Sénégal. Et si nous voulons changer certaines choses, cela pourrait avoir des impacts sur ce classement et le site pourrait être classé sur la liste du patrimoine mondial en péril. N’oublions pas que c’est une ville touristique. Donc, il pourrait y avoir beaucoup de conséquences’’, prévient-il.

Lamine Diouf

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