Publié le 30 Jun 2022 - 22:20
TENSION POLITIQUE

Yewwi Askan Wi sonne la désescalade

 

Annulation de sa manifestation, nouveau concert de casseroles, cap sur les élections législatives au 31 juillet 2022. La coalition leader de l’opposition change de stratégie, après avoir jugé quelques objectifs atteints.

 

C’est la nouvelle qui fait baisser la tension. La coalition Yewwi Askan Wi (Yaw) a finalement annulé la manifestation qu’elle comptait tenir hier, sur tout le territoire national, malgré les interdictions servies par les autorités administratives. Trois  personnes ont perdu la vie le 17 juin 2022, lorsque la même situation s’est produite et qu’aucun des protagonistes n’a reculé sur ses ambitions. A une dizaine de jours de la fête de Tabaski, cette décision est un vrai soulagement pour tous ceux qui profitent de cette période pour faire de bonnes affaires et qui vivaient dans la peur de subir les conséquences d’une nouvelle confrontation entre les forces de l’ordre et des citoyens déterminés à manifester leurs droits démocratiques.

C’est cette raison que les leaders de la coalition opposante ont évoquée pour justifier l’annulation de leur manifestation. Comme l’explique la députée Aïda Mbodj : ‘’Les chefs religieux, les imams, les dignitaires culturels, des banquiers, des fonctionnaires internationaux nous ont saisis pour l’annulation de cette manifestation. Nous avons pensé aux artisans (tailleurs, salons de coiffure, etc.), aux vendeurs de moutons qui nous ont envoyé des émissaires. Nous sommes dans la période d’examens scolaires et de préparation du pèlerinage à La Mecque. C’est tout cela qui nous pousse à reporter la manifestation de ce 29 juin jusqu’à une date plus appropriée.’’

Annoncée au lendemain du rassemblement interdit et violemment réprimé du 17 juin, cette manifestation était redoutée par les Sénégalais. Beaucoup de forces représentatives de la société appellent, depuis plusieurs jours, à la désescalade dans les tensions qui opposent le pouvoir et son opposition politique, à un mois de l’organisation des élections législatives du 31 juillet 2022. Ce qui amène l’ex-mairesse de Bambey à assurer que ‘’lorsque nous appelons les Sénégalais à sortir dans la rue, ils nous répondent. Nous devons, nous aussi, répondre lorsqu’ils nous demandent de reculer cette manifestation’’.  

Un dernier concert de casserole de 30 minutes aujourd’hui

Ces appels, ‘’par milliers’’, ont également été évoqués par Ousmane Sonko. Mais ils ne sont pas les raisons principales du report de la manifestation, avertit le maire de Ziguinchor.  ‘’Il y a de nouvelles options stratégiques que nous avons prises'', informe-t-il, satisfait de ce qu’a réussi Yewwi Askan Wi dans cette lutte avec le pouvoir. ‘’Nous avons déjà réussi tout ce qu’on voulait. Macky Sall ne croyait pas rencontrer une opposition aussi farouche à son projet d’élimination de candidatures. Il a l’habitude de faire sans problème (parrainage de 2019, cas Khalifa Sall et Karim Wade). Mais il n’éliminera plus de listes au Sénégal. Il fallait lui montrer que les choses ne sont plus aussi faciles à faire’’.

Une autre satisfaction est l’application du concert de casseroles du mercredi 22 juin dernier. ‘’Nous n’avons pas promis une récompense, ni menacé personne. Pourtant, les Sénégalais ont massivement appliqué la consigne. Cela montre que le peuple s’est détourné de Macky Sall’’, assure le député.

D’ailleurs, un autre concert va être organisé aujourd’hui, après l’annulation de la manifestation. Cette fois-ci, appelle Ousmane Sonko, ‘’nous voulons un concert de 30 minutes. Que l’on triple ce qu’on avait fait la dernière fois pour qu’on nous entende jusqu’en Mauritanie. Cette fois-ci, il s’agit d’un référendum pour deux choses : montrer que Macky Sall perdra l’Assemblée nationale le 31 juillet prochain et que le pays ne lui appartient pas pour qu’il choisisse ses adversaires’’.

Les opposants ont invoqué la tribune des universitaires sur les agressions contre la démocratie sénégalaise, mais aussi les artistes, comme Alpha Blondy, qui ont soutenu la lutte des nouveaux leaders africains comme Ousmane Sonko.

Yewwi Askan Wi participera aux élections

Le leader de Yewwi Askan Wi saisit cette occasion pour rassurer sur la participation de sa coalition aux élections. Un nouveau discours qui s’oppose à celui brandi lors de leur première manifestation du 8 juin dernier.

Désormais, Ousmane Sonko et Cie sont dans la logique de préparation du scrutin. Ceci, en rappelant que ‘’toutes nos listes sont en compétition. Nous avons une liste nationale (celle des suppléants) et des listes dans les 54 départements. Le seul souci de Macky était que Sonko, Déthié Fall, Aïda Mbodj, Khalifa Sall, etc.(présents sur la liste des titulaires) ne participent pas à l’élection. Et la défaite sera plus humiliante, une fois que nos remplaçants battront ses titulaires’’.

Alors que la perspective d’un report des élections est évoquée, face à l’impasse à la tension politique ambiante, le leader de Yewwi écarte cette hypothèse qui, selon lui, est un objectif inavoué du pouvoir. ‘’Macky Sall ne veut pas organiser les élections. Mais il ne veut pas que la cause du report vienne de son camp. Qu’il sache que nous ne lui donnerons pas de prétexte pour renvoyer le scrutin. Les élections auront lieu le 31 juillet’’. Ce sera l’occasion, selon lui, de sanctionner le leader de la coalition Benno Bokk Yaakaar en lui infligeant une défaite spectaculaire et en réglant par la même occasion la question d’un troisième mandat sans heurts, ni morts. ‘’S’il perd l’Assemblée nationale, il n’aura plus droit à la parole. Il se pourrait même qu’il quitte le pouvoir avant la fin de son mandat’’.

La rencontre avec la presse a permis de faire le débriefe de la manifestation avortée du 17 juin, avec un des principaux mis en cause. Fraîchement libéré après une condamnation avec sursis de 6 mois, le mandataire national de la coalition Yewwi Askan Wi a réaffirmé sa détermination à continuer la lutte démocratique. ’’Rien ne peut nous intimider. Je ne vais pas renier ce que j’ai dit aux Sénégalais, simplement parce que je suis devant le procureur. Il ne peut pas y avoir une épée de Damoclès sur ma tête. Même si c’était le cas, j'allais me transpercer la tête avec’’, assure Déthié Fall.

Ousmane Sonko : ‘’La justice est notre plus grand adversaire, avant Macky Sall’’

Dénonçant un kidnapping dont il a été victime, le député se demande ‘’pourquoi Macky Sall veut prendre tout ce que la Constitution lui donne et nous interdire tout ce qu’elle nous accorde ? Et venir nous dire : laissez-moi gouverner tranquillement. Les Sénégalais sont-ils assez faibles pour accepter cela ?’’.

Sur les condamnations et les non-poursuites décidées contre les personnes arrêtées dans le cadre de cette manifestation, Ousmane Sonko soutient qu’il s’agit d’un vrai camouflet pour Macky Sall. Sur la posture de la justice, le leader du Pastef n’applaudit pas pour le moment, ‘’car nous avons plusieurs autres rendez-vous avec la justice. Tant que le droit sera dit dans les normes, nous vivrons dans un pays apaisé. Je suis désolé de le dire, mais notre plus grand adversaire, au moment où nous parlons, n’est pas Macky Sall. C’est la justice ! C’est elle qui est utilisée pour annuler nos listes, nous rendre inéligibles ou nous arrêter de manière arbitraire. Ils doivent être au-dessus de la mêlée’’.

Estimant que Yewwi Askan Wi est devenu la plus grande force politique du Sénégal, l’opposant répond à Macky Sall qui avait promis de réduire l’opposition à sa plus simple expression : ‘’Maintenant, c’est le pouvoir qui est  réduit à sa plus simple expression, car c’est lui qui s’oppose.’’

Lamine Diouf  

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