Le pari de l’endogénéisation

Pour le financement du Plan national de redressement ¨Jubbanti Koom’´, le Gouvernement mise sur les solutions endogènes. Selon le Premier ministre, les solutions doivent provenir des efforts produits par les Sénégalais. L’objectif, selon Ousmane Sonko, c’est de sortir de ce trou sans aggraver la dette publique ; sans brader les ressources naturelles et foncières ; sans mettre trop de taxes pour les investisseurs ; en renforçant la souveraineté bancaire…
Le Premier ministre s’est réjoui, hier, que le Sénégal puisse compter sur lui-même pour financer son plan, contrairement aux habitudes. Ainsi, pour financer son Plan national de redressement, le Gouvernement mise sur les solutions endogènes. Alors que le programme de résilience économique et social était financé à hauteur de 84,5 % par les partenaires ; le PAP 2A à environ 60 %, le nouveau plan est financé à 90 % sur « ressources endogènes sans endettement ». Le Premier ministre d'ajouter : « Nous ne solliciterons les partenaires extérieurs que sur la partie recyclage des actifs, tout en conservant la propriété de ces actifs. »
Le Gouvernement compte sur trois leviers essentiels pour atteindre son objectif. Le premier, c’est la réduction maîtrisée des dépenses publiques ; le deuxième volet concerne la mobilisation des ressources domestiques, et enfin vient le financement endogène complémentaire hors endettement.
Relativement à la mobilisation des ressources domestiques additionnelles, le Gouvernement envisage des recettes de l’ordre de 2 111 milliards. En ce qui concerne le recyclage d’actifs, 1 091 milliards. Quant aux économies sur le train de vie de l’État, plusieurs mesures sont envisagées dont la rationalisation des agences qui va générer à elle seule 50 milliards. Pour le financement endogène complémentaire hors endettement, il est prévu 1 352 milliards. « Le tout, souligne le Premier ministre Ousmane Sonko, va rapporter 4 605 milliards pour le moment, en attendant les autres mesures importantes à évaluer. Selon mes estimations, ces dernières pourraient nous permettre d’ajouter 2 000 à 2 600 milliards à ce tableau. Et l’injection de ces ressources doit générer à peu près 1 062 milliards supplémentaires de recettes fiscales. Ce qui donne un total de ressources projeté de 5 667 milliards provisoirement », a souligné le Premier ministre.
Qui va payer la note ?
Ousmane Sonko a donné dans le détail les différentes sources de recettes prévues par son Gouvernement. Selon ses chiffres, la renégociation des contrats stratégiques va rapporter au minimum 884 milliards ; l’épargne nationale et de la diaspora 135 milliards ; le financement participatif et solidaire 300 milliards ; l’approvisionnement en gaz par GTA environ 435 milliards ; les actifs de la Sogepa 341 milliards….
Il faut noter que le Gouvernement envisage aussi de mobiliser 200 milliards au titre de la régularisation du renouvellement de concession des opérateurs téléphoniques. À noter que dernièrement, des décrets permettant à Yas d’opérer la 5G et à Expresso le prolongement de son bail qui arrive à échéance en 2027 ont été abrogés par le président de la République. Dans le même sillage, le Gouvernement compte sur les frais de visas pour mobiliser 60 milliards.
Les consommateurs ne sont pas non plus épargnés par la batterie de mesures. Outre les mesures déjà relevées, le Gouvernement compte taxer davantage le mobile money pour mobiliser 130 milliards sur les trois ans ; 90 milliards sur les transactions marchandes. Le carburant, les véhicules âgés et l’importation de téléphones portables ne seront pas non plus épargnés. Le gouvernement espère en effet 200 milliards sur les importations de téléphones portables, autant pour les véhicules, compte non tenu de la surtaxe sur les véhicules âgés. Des taxes importantes sont également envisagées pour les jeux de hasard et le tabac.
Aux pessimistes, le Premier ministre a tenu à préciser : « Tous les chiffres sont minorés. Nous avons pris les chiffres les plus minimalistes possibles pour nous aménager une marge d’erreur substantielle. »
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DETTE CACHÉE
Confusion autour du taux de 119%
La présentation, hier, du Plan national de redressement ¨Jubbanti Koom’´ a été une occasion de raviver la polémique autour de la paternité de la dette cachée. Le régime du Président Sall a-t-il laissé un taux d’endettement de 119% ? Éléments de réponses.
Le Premier ministre Ousmane Sonko a présenté hier le plan de redressement mis en place par le Gouvernement pour inverser la mauvaise pente des finances publiques. Il est revenu sur l’héritage laissé par le défunt régime du président Macky Sall. « Aujourd’hui, les différents audits aboutissent à un constat sans appel. Qu’il s’agisse du rapport réalisé par l’Inspection Générale des Finances qui est aggravé par l’audit de la Cour des Comptes, du rapport du cabinet Forvis Mazars, tous ces différents audits ont débouché sur un constat très difficile, avec un déficit qui se cumule à 14 % contre plus de 4 % déclarés par le défunt régime et d’un encours de la dette publique estimé à 119 % du PIB contre 74 % déclarés par le défunt régime… », a annoncé Ousmane Sonko à l’entame de son propos. Plus loin dans son discours, Ousmane Sonko a souligné que le taux de 119 % d’endettement relève du legs de l’ancien régime.
D’où viennent donc ces nouveaux ratios annoncés par le chef du Gouvernement ? Pour rappel, dans son audit publié au mois de février, la Cour des comptes avait fixé à 99,6 % le taux d’endettement en fin décembre 2023 contre 12,30 % pour le déficit budgétaire de l’État central. Est-ce que les chiffres de la Cour ont été corrigés ? Ou bien l’encours de la dette sous Sall s’est creusé de 20 points supplémentaires entre le 31 décembre 2023 et le 2 avril (date de départ de Sall) ? Le Premier ministre impute-t-il une partie de la dette contractée par son régime à leurs prédécesseurs ? EnQuête fait le point.
Dysharmonie au sommet du Gouvernement
D’abord, il faut relever un vrai problème d’harmonisation des déclarations chez les membres de l’actuel Gouvernement. Le même jour, hier, à la présentation du plan de redressement, le ministre Abdourahmane Sarr a parlé d’un taux d’endettement de 119 % mais pour fin 2024. « La dette de l’État central est estimée à 119 % du PIB à fin 2024… », a souligné le ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération. La dysharmonie ne se limite pas à l’encours de la dette. Elle porte également sur le déficit budgétaire. Selon Abdourahmane Sarr, la dynamique d’endettement sous l’ancien régime a conduit à des déséquilibres macroéconomiques persistants, « notamment des déficits budgétaires cachés de l’ordre de 13 % du PIB entre 2019 et 2023 ».
Ces chiffres viennent ainsi en rajouter à la confusion dont nous parlions déjà dans nos éditions précédentes. Il faut noter que ce taux de 119 % pour l’encours de la dette a été pour la première fois révélé par la Banque Barclays, citée par plusieurs médias internationaux. Reuters avait précisé : « En juin (2025), des chiffres provisoires ont établi la dette de l'administration centrale à environ 23 200 milliards de francs CFA (41,7 milliards de dollars) à la fin de 2024, soit une augmentation de plus de 27 % par rapport à la fin de 2023… Cela se traduit par un ratio dette/PIB de 119 %, selon Michael Kafe, économiste chez Barclay's ». Pour ce qui concerne le déficit budgétaire, Barclays s’était plutôt référé aux chiffres de la Cour des comptes.
Plusieurs sources concordantes renseignent que le taux de 119% est celui enregistré en décembre 2024
Dans son dernier rapport sur la situation économique et financière, la Direction générale de la planification et des politiques économiques (DGPPE) avait donné des chiffres plus proches de ceux de son ministre de tutelle pour ce qui concerne le taux d’endettement. Le document l'évalue à 118,3 % mais pour 2024 et non pour 2023. « L’encours de la dette publique de l’Administration centrale budgétaire est évalué provisoirement à 23 535,9 milliards en 2024 contre 20 674 milliards un an auparavant, soit une hausse de 13,8 %. Le ratio de l’encours de la dette rapporté au PIB est ressorti à 118,3 % en 2024 contre 111 % en 2023 », indique en effet la Direction en charge de la planification et des politiques économiques au ministère de l’Économie.
En ce qui concerne le déficit budgétaire, le document l’évaluait à 2 668,9 milliards, soit 13,4 % du Produit Intérieur Brut (PIB) à fin 2024 contre 2 749,3 milliards (14,8 % du PIB) en 2023, soit une amélioration de 1,5 point de pourcentage.
Interpellé sur ces évolutions dans les statistiques, le Directeur général de la planification et des politiques économiques avait évoqué l’audit réalisé par le cabinet Mazars qui a livré les derniers chiffres. « Les chiffres de la SEF (situation économique et financière de la DGPPE) tiennent compte des dernières informations. Il y a le rapport Mazars qui fait état des dernières informations », avait-il laissé entendre.
Verdict
Les déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko attribuant le taux d’endettement de 119 % à l’ancien régime manquent de précision.
Plusieurs sources concordantes laissent croire que le taux d’endettement de 119 % est celui noté au 31 décembre 2024. Il y a quelques jours, la banque Barclays reprise par plusieurs médias internationaux avait révélé ce chiffre, qui a été confirmé par plusieurs sources gouvernementales.
Dans son intervention hier à la présentation du plan de redressement, le ministre de l’Économie a affirmé que le taux de 119 % est celui enregistré à fin 2024.
À ce jour, nous n’avons pas de chiffre sur le niveau exact de la dette cachée au 2 avril 2024, pour pouvoir dire avec exactitude quelle est la part de l’ancien régime dans le déficit.
Mor AMAR