La mouvance Al-Qaïda toujours en expansion en Afrique
Au cours des dernières années, surtout en 2012, l’activité terroriste des groupes affiliés à la mouvance Al-Qaïda n’a cessé de se développer et de prendre de l’ampleur à travers le monde, notamment dans les pays du Maghreb et en Afrique occidentale.
La situation actuelle au Mali constitue un exemple frappant de ce développement du terrorisme islamiste, et montre combien il peut être difficile pour un Etat de faire face à l’expansion des groupes extrémistes armés sur son territoire. La prise en compte de la crise malienne au niveau régional et international indique aussi combien les Etats sont conscients des implications et des répercussions potentielles qui peuvent découler du renforcement des groupes terroristes dans un territoire donné. Consciente des dangers que pose l’internationalisation du terrorisme, la communauté internationale s’efforce de réagir et de faire front commun, malgré les divergences sur les meilleurs moyens de répondre à la menace de l’extrémisme.
LIENS ENTRE AQMI ET AL-QAIDA
A l’heure actuelle, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) compterait dans ses rangs plus de 500 hommes déployés entre l’Algérie et le nord du Mali. Le recrutement de combattants est facilité par les conditions de vie difficiles des populations dans cette zone. Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, une organisation terroriste, a intégré l’internationale djihadiste et pris le nom d’AQMI en janvier 2007. Dans une vidéo diffusée sur un site fréquemment utilisé par des mouvements extrémistes islamistes, l’émir du GSPC de l’époque, Abou Moussa Abdelouadoud, fait allégeance à Oussama ben Laden.
Selon Atef Kedadra, expert algérien spécialiste de la lutte contre le terrorisme dans la région, le principal lien entre AQMI et Al-Qaïda est idéologique, et il n’y a aucune relation structurelle ou organique entre les deux organisations, du moins dans la situation actuelle, marquée par une scission au niveau décisionnel entre les dirigeants d’Al-Qaïda basés dans la région pakistano-afghane. Mais cela n’exclut pas les relations établies préalablement, après que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a été converti en une branche d’Al-Qaïda dans la région du Maghreb. Aujourd’hui, le Mouvement unicité et jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO, apparu en décembre 2011) et Ansar Dine se sont joints à AQMI, avec de sombres desseins. L’objectif principal du MUJAO est l’établissement de la charia dans toute l’Afrique de l’Ouest avec une pratique "rigoriste" de l’islam. C’est la même ambition qu’affiche Ansar Dine pour le Mali.
LE SAHEL, UNE BASE INTERNATIONALE DU TERRORISME
Le Mali, soulignent de nombreux diplomates, est devenu une "base internationale" à cause de la frilosité du régime en place. "Pour AQMI, le Mali était avant tout une zone de captivité pour les otages enlevés au Sahel", estime un diplomate qui a requis l’anonymat. Selon Serge Daniel, auteur d’un livre sur la question, "les prises d’otages sont une vraie manne financière pour les salafistes. Il n’y a qu’à voir les montants des rançons : les Espagnols ont versé entre 8 et 15 millions d’euros pour la libération de leurs ressortissants, l’Italie 3,5 millions, l’Autriche entre 1,5 et 3 millions".
Selon un rapport d’experts français, la première prise d’otage à l’encontre de ressortissants étrangers a été l’enlèvement de 32 otages européens, dans le Tassili, en février 2003. Trente-et-un d’entre eux avaient été libérés contre une rançon de 5 millions de dollars. Pour Abdelhamid Barakat, professeur et chercheur à l’Université Ibn Toufail de Kénitra au Maroc, c’est une source financière importante pour les islamistes du Sahel, et cela a permis à Al-Qaïda de résister dans la région. Cet apport financier vient s’ajouter aux recettes liées à la contrebande d’armes et au transport de drogue, des trafics empruntant les mêmes routes que l’immigration clandestine, depuis le Sahel vers le nord de l’Afrique. Il faut souligner qu’il s’agit d’une région hautement stratégique et en même temps marginalisée par tous les pays environnants. C’était donc la région idéale pour les petit groupes d’Al-Qaïda, qui pouvaient facilement s’y installer et s’entraîner.
"Il semble que le quotidien de ces groupes islamistes est plus devenu celui de réseaux criminels portés sur le rapt, le blanchiment d’argent, le trafic de cigarettes, d’armes légères, d’essence, de drogue et les filières d’immigration clandestine", estime le Sénégalais Babacar Ndiaye, un expert international en la matière. Par ailleurs, la dissémination de l’armement de l’ancien régime libyen conduite par des groupes liés à Al-Qaïda à travers les pays de la région, en particulier en Afrique occidentale, a largement contribué à renforcer la nébuleuse terroriste, dont les groupes occupent le nord du Mali depuis plusieurs mois.
Les salafistes de Bellawar ont trouvé refuge sur ce vaste territoire, incontrôlé par le pouvoir central de Bamako. Cela ne s’est pas passé sans la bénédiction de Bamako qui a ainsi trouvé le moyen de faire taire les rébellions du nord. En occupant le nord du Mali, les groupes terroristes se sont implantés dans une zone stratégique, qui leur permet d’établir des ramifications et de continuer les prises d’otages, source de richesses indispensables pour continuer à sévir dans toute la zone sahélienne. Comme une tache d’huile, le terrorisme de la nébuleuse Al-Qaïda s’étend progressivement : les groupes sont actifs au Nigeria, au Sahel, dans la corne de l’Afrique, au Yémen ainsi que dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Asie. Certains entrevoient à travers cette expansion la réalisation du rêve de la Oumma (nation) islamique, s’étendant sur un croissant allant de l’Atlantique jusqu’aux littoraux orientaux de l’océan Indien.
FACE AU TERRORISME AU MALI, OSCILLATIONS ENTRE GUERRE ET DIALOGUE
"Une lutte efficace contre le terrorisme passe non seulement par une détermination individuelle de chaque Etat, mais aussi et surtout, par une politique sécuritaire commune au plan international et sous-régional", a affirmé Soumeylou Boubèye Maïga, ancien ministre malien des Affaires étrangères et consultant international sur les questions de sécurité. Le 20 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution autorisant le déploiement d’une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), chargée, entre autres, d’"aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de son territoire qui sont contrôlées par des groupes armés terroristes et extrémistes."
Depuis quelques semaines, malgré la réticence de certains pays, l’Union Africaine et la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’étaient prononcées en faveur de l’intervention au Mali d’une force africaine sous l’égide des Nations Unies. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Maroc s’étaient récemment exprimés, par la voix de leurs ministres des Affaires étrangères, sur l’urgence d’autoriser le déploiement de MISMA et les soutiens logistiques et financiers nécessaires pour cette opération. "Nulle part au monde on a vaincu le terrorisme et le banditisme par le dialogue", a affirmé de son côté Kader Toé, chroniqueur politique dans la presse malienne. Néanmoins, certains pays voisins du Mali, notamment les pays frontaliers, prônent le dialogue plutôt que la logique de confrontation. L’Algérie et la Mauritanie par exemple ne sont pas favorables à une intervention au Mali avant l’échec du dialogue. Ce positionnement jette, parfois, des ombres sur la démarche, fortement appuyée par la France, qui a consisté à faire voter une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU.
Selon les premières estimations des agences d’aide humanitaire, plus de 700 000 personnes pourraient être contraintes de se déplacer vers la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal et l’Algérie en cas d’intervention militaire dans le nord du Mali l’année prochaine, a souligné Abdelhamid Barakat. L’expert Babacar Ndiaye met également en garde sur le fait qu’une intervention militaire n’est "pas forcément un gage de succès". Tout au plus une telle intervention réduira l’influence dans le temps des groupes terroristes, car elle permettra sans doute à l’Etat malien de reconquérir le nord, mais l’éradication du phénomène islamiste paraît plus complexe, prévient-il.
Afriscoop