Des grands travaux à l’“État providence”
La nomination de ce nouveau gouvernement engagé dans le combat contre la vie chère semble marquer un tournant dans la gestion de Macky II. Après le Fonds de relance anti-Covid, le gouvernement du Sénégal semble désormais avoir tourné le dos à la politique des infrastructures au profit de la satisfaction de la demande sociale.
C’est une bataille qui est désormais sociale. Le nouveau ‘’gouvernement de combat’’ dirigé par Amadou Ba s’est attaqué à sa première mission qui est de lutter contre la problématique de la vie chère, qui préoccupe tant le président Macky Sall. Ce dernier a présidé, le lundi 27 septembre, une réunion présidentielle de lancement des concertations sur la lutte contre la cherté de la vie. A l’issue de cette rencontre entre le gouvernement et les acteurs du secteur du commerce, de la consommation et des entreprises, Macky Sall a pris 15 mesures pour renforcer le pouvoir d’achat des Sénégalais.
Parmi ces mesures, on dénote le paiement des compensations financières évaluées à plus de 15 milliards F CFA dues aux meuniers à titre de subvention, paiement de la subvention au riz paddy de 30 F le kilogramme, suspension des taxes liées aux droits d'accise sur les corps gras appliqués aux importateurs, proposition d’un plan spécial de renforcement de la régulation des loyers d’ici le 20 octobre, entre autres… Un moyen pour le chef de l’État de joindre l’acte à la parole.
En effet, dans son discours à la Nation du 16 septembre dernier, Macky Sall a défini la nouvelle feuille route du nouveau gouvernement d’Amadou Ba, à travers des mesures d’allègement du coût de la vie, de soutien à l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes, la lutte contre les inondations, la cherté du loyer.
Un tournant social qui, selon les analyses, vise à maintenir une certaine paix sociale à travers l’attribution de plus de crédits et de subventions afin d’alléger le panier de la ménagère. Ce changement de cap du régime de Macky Sall semble être conditionné par les relents de la pandémie de la Covid-19 et les conséquences de la guerre russo-ukrainienne.
Dans cette optique, l’aide apportée aux ménages à travers le transfert via mobile des 83 milliards F CFA, depuis mai dernier, à chacune des quelque 543 000 familles vulnérables répertoriées entre dans cette dynamique. L’opération vise à soulager les plus démunis face à la hausse des prix, dans le contexte de forte inflation et de renchérissement des biens de première nécessité. Sans oublier l’augmentation des salaires dans la Fonction publique, les forces de sécurité pour redynamiser le pouvoir d’achat des classes populaires.
Dans la phase II du PSE (2019-2023), puis sa version revisitée PAP2A dans laquelle le Sénégal doit s’atteler sur la période à relever les défis relatifs à la stabilité du cadre macroéconomique, à l’amélioration de l’environnement des affaires et au développement du capital humain, la relance des activités socioéconomiques s’inscrit, dans la volonté de Macky Sall de miser sur les infrastructures pour redynamiser l’économie sénégalaise.
Une croissance exogène qui peine à endiguer la misère sociale
La première phase du PSE a connu la mise en place de projets structurants dans les différents secteurs (TER, BRT, ville nouvelle de Diamniadio, port de Sendou, Prodac), ainsi que les programmes structurants Puma et PUDC. Selon Amadou Hott, entre 2019 et 2022, plus de 5 000 milliards de F CFA de financements extérieurs en dons et en prêts concessionnels et semi-concessionnels pour financer des projets structurants ont été mobilisés par l’État du Sénégal. Des préoccupations qui répondent à des besoins de développement des infrastructures au Sénégal et d'équité territoriale, mais qui peinent à se convertir en emplois et gains en productivité pour beaucoup d’entités du secteur privé local.
D’autant plus qu’entre 2014 et 2019, la croissance moyenne de l’économie sénégalaise, qui était de 6 % et ne garantissait pas un fort impact sur l’économie locale, a fortement chuté jusqu’à 1,3 % en 2020. Les rares mesures sociales comme le PMU et les Bourses familiales avant la pandémie de la Covid-19, ont eu peu d’impact sur la vie des Sénégalais qui évoquent une croissance exogène portée par des multinationales actives dans les secteurs des BTP, Télécoms et transport. Cette croissance ne permet pas de développer une structure économique viable et compétitive au niveau local.
Les revers électoraux dans les grands centres urbains (Locales, puis Législatives) semblent acter cette rupture entre les réalités macroéconomiques et la conjoncture difficile vécue par les populations. Les couches populaires fortement impactées par la crise post-Covid 19 ont connu une forte dégradation de leurs conditions de vie.
Le dernier rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) publié le 13 septembre 2021, vient sonner comme un tocsin pour le régime de Macky Sall. Ce document fait état d’une augmentation du nombre de pauvres au Sénégal qui est passé de 5 832 008 en 2011, à 6 032 379 en 2018. L'enquête a porté sur un échantillon de 7 156 ménages et s’est faite en deux phases de trois mois entre décembre 2018 et juillet 2019.
Les limites de l’’’État providence’’ face à la réalité du déficit budgétaire et du surendettement
Concernant la problématique de l’emploi des jeunes, il y a le programme ‘’Xëyu Ndaw Ñi’’, dont le financement à hauteur de 450 milliards F CFA a été annoncé par le Président Macky Sall, lors du Conseil présidentiel sur l’insertion et l’emploi des jeunes, le 22 avril dernier. Ce programme a pour mission de recruter 65 000 jeunes dans les secteurs de l’éducation, de la reforestation, du reboisement, de l’hygiène publique, de la sécurité, de l’entretien routier, du pavage des villes, entre autres...
Toutefois, cette nouvelle volonté d’œuvrer cette sorte d’État providence (NDLR : L’intervention de l’État dans le domaine social, qui vise à assurer un niveau minimal de bien-être à la population, en particulier à travers le système de protection sociale) risque de rencontrer l’hostilité des bailleurs de fonds et les institutions de Bretton Woods inquiets de l’alourdissement du poids de la dette publique sénégalaise. Déjà que le gouvernement sénégalais a émis, le vendredi 23 septembre 2022, un emprunt obligataire sur le marché de l’UEMOA, d’un montant de 30 milliards F CFA. Le taux de rendement moyen des obligations émises qui est de 5,244 % et est jugé très satisfaisant, nonobstant le relèvement du taux directeur de la BCEAO de 0,25 %.
La situation alarmante de la dette qui constitue 73 % du PIB (2021) et du déficit budgétaire de 5,9 % du PIB en 2021, risque, à court terme, d’entraver les marges de manœuvre du gouvernement d’Amadou Ba. Ce dernier compte sur les estimations du FMI qui indiquent que l’activité devrait fortement augmenter en 2023-2024 (+10 % en moyenne, +6 % hors hydrocarbures) avec le démarrage de la production d’hydrocarbures en fin 2023. Ce regain d'activité pourrait conforter le régime de Macky Sall dans sa volonté de soutenir les ménages à tout prix, afin de se prémunir de tout bouleversement social ou émeutes populaires.
Makhfouz NGOM