Un bijoutier et un commerçant dans la panade

Ils n’avaient sans doute pas imaginé un jour devoir raconter leur goût pour le haschich devant un tribunal. Et pourtant, hier, Rudy John Bienvenu Goumbeti Zambia et El Hadj Thiam ont défilé à la barre de la Chambre criminelle du tribunal de Dakar. Accusés d’association de malfaiteurs, de trafic international de drogue et de blanchiment de capitaux, ils ont contesté les faits avec véhémence, jurant n’être que des consommateurs de drogue.
Rudy John Goumbeti, né en 1984 en France, est installé à la Sicap Amitié. Commerçant de son état, il a déjà eu affaire à la justice dans le passé et a été condamné à six mois ferme de prison, dit-il. S’agissant de l’affaire qui lui a valu sa comparution devant la barre de la Chambre criminelle hier, les choses ont mal commencé pour lui.
Un beau matin, des policiers ont débarqué chez lui, ont défoncé la porte de son appartement, fouillé sa chambre et ont trouvé 180 g de haschich dans une pochette. Il n’a pas nié la paternité du produit prohibé. Mais il a avoué que la drogue était destinée à sa consommation personnelle tout en niant être un vendeur. Il avait acheté 300 g de drogue auprès d’un certain Mouhamed Nazayi, un Marocain qu’il a dit bien connaître et qui ferait la navette entre le Maroc et le Sénégal.
À la barre, Rudy n’a pas cherché à se faire passer pour un saint. Il a assumé avoir une balance à la maison pour mieux doser ce qu’il fume. Il a dit se droguer à cause de sa fatigue ; parfois, a-t-il fait savoir, il fume avec fierté même. Il a réfuté, en revanche, une partie importante de l’enquête, en ce qui concerne la drogue qu’il aurait jetée du balcon. À l’en croire, il n’a rien jeté et n’est pas le fournisseur de Thiam qu’il connaît à peine.
D’ailleurs, El Hadj Thiam est le second accusé. Bijoutier et polygame, ce père de famille vit entre Rufisque et son atelier à la Patte d’Oie. Le regard un peu fuyant, mais le ton posé, il a raconté sa rencontre avec Rudy. Un client l’avait mis en contact avec lui pour une commande de bracelets. Petit à petit, une complicité s’est installée. Thiam a découvert que Rudy fumait. Lui aussi fumait, mais évitait de le faire chez lui, car fuyant les regards de sa femme, de ses enfants et de ses voisins.
C’est sur ces entrefaites, a-t-il souligné, qu’il a demandé à Rudy s’il pouvait venir fumer chez lui. Rudy l’a accepté. Et c’est devenu une habitude. Ce qu’il ne savait pas, c’est que ce simple arrangement allait un jour le conduire derrière les barreaux.
Le jour de son interpellation, il était simplement venu livrer des bracelets à Rudy. Après avoir tenté de le joindre vainement, il s’est rendu sur place. La police l’a arrêté dans la foulée.
Selon le juge, il aurait déclaré à l’enquête être vendeur de haschich depuis six mois. Ce qu’il a nié catégoriquement à la barre. Il a maintenu qu’il s’agissait de 15 g achetés à ce fameux Nazayi. ‘’Je suis bijoutier, pas dealer’’, a-t-il dit presque en chuchotant.
Leurs avocats ont plaidé avec constance, mais surtout avec beaucoup d’humanité. Maitre Abdoulaye Tall, pour M. Thiam, a rappelé que l’homme est un consommateur, pas un trafiquant. ‘’Il a simplement voulu préserver sa dignité. Ne pas fumer devant ses femmes, devant ses enfants. C’était la veille du ramadan, il voulait marquer une pause. Il a commis une erreur, mais ce n’est pas un malfaiteur’’, a plaidé Me Tall. Maitre Emmanuel Padonou, lui aussi pour Thiam, a insisté : ‘’Aucun lien avec l’international. Aucun contact avec un quelconque réseau. Il n’a pas été pris avec du matériel de conditionnement. C’est un consommateur, c’est tout.’’
Pour Rudy, Maitre Arona Basse a lui aussi plaidé la disqualification des faits : ‘’Ce n’est pas un dossier criminel. C’est un dossier de flagrant délit. Ne criminalisez pas des hommes pour une consommation, aussi maladroite soit-elle.’’
Le maitre des poursuites, plus discret que d’habitude, a simplement requis l’application de la loi. Le tribunal rendra son verdict le 3 juin prochain.
MAGUETTE NDAO