Publié le 17 Oct 2024 - 16:22
TRANSHUMANCE AU SÉNÉGAL

C’est dans les gènes de certains politiciens

 

Détracteurs ou insulteurs hier de Pastef, aujourd’hui, ils se ruent vers le parti d’Ousmane Sonko dans l’espoir soit d’être à l’abri de poursuites judiciaires, soit de conserver leurs postes de maires ou autres privilèges, soit de trouver d’autres planques.

 

C’est une des facettes les plus viles du système : la transhumance. Avec l’arrivée au pouvoir de Pastef (Les patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), ils étaient nombreux à croire, parfois naïvement, que ce genre de pratique politique bien sénégalaise allait être rangée aux oubliettes. Mais c’était sans compter sur la détermination des transhumants et la nature opportuniste des hommes politiques, tous bords confondus, surtout quand ils viennent d’arriver au pouvoir avec des partis souvent très fragiles.

Après la ruée vers le Parti démocratique sénégalais en 2000, vers l’Alliance pour la République en 2012, c’est aujourd’hui la ruée vers Pastef, le parti qui tient aujourd’hui les manettes du pouvoir. ‘’Il ne faut pas se leurrer. Ces genres de pratiques ne disparaitront pas. Et cela va s’intensifier quand la campagne arrivera. Les choses se jouent généralement la nuit, parfois à coups de mallettes d’argent. Vous vous lèverez le jour et vous verrez des déclarations de soutien. C’est cela la réalité politique au Sénégal’’, confiait cet agent de l’État, ancien collaborateur d’un grand homme politique.

Déjà, le mercato, pour ne pas dire le foirail au bétail politique, semble avoir été lancé. Et souvent, c’est contre la volonté des militants de la première heure qui s’érigent en bouclier, pour ne pas avoir à partager le gâteau avec de nouveaux concurrents, membres de l’ancien pouvoir, souvent plus riches et plus célèbres, et qui ont plus de facilité à mobiliser les masses. Il y a quelques jours, des militants de Pastef à Madina Wandifa avaient saisi ‘’EnQuête’’ pour se plaindre vigoureusement des velléités de leur maire, Malang Séni Faty, de migrer vers les nouvelles prairies vertes. Très futé, ce dernier n’a pas attendu pour manifester sa volonté de travailler avec le nouveau pouvoir. Et il est loin d’être le seul.

Le modus operandi des nouveaux transhumants

Sachant que la pratique est bannie par une bonne partie de l’opinion, les nouveaux transhumants font généralement profil bas. Ils font tout pour ne pas aller au clash avec la base de Pastef, super mobilisée pour faire face à ces politiciens qui voguent au gré des changements de régime. Après avoir créé de pseudo-mouvements pour se donner une illusion de virginité, en s’écartant de l’ancien parti présidentiel, ils essaient de rencontrer les responsables au sommet. Ces derniers, soucieux d’étendre leurs tentacules dans les fins fonds du pays, n’hésitent pas parfois à parrainer certains candidats.

Dans le cas de Malang Faty, le point de contact a été le ministre de la Fonction publique Olivier Boucal. Mais la base s’est tout de suite mobilisée pour rappeler au ministre et à tous les responsables qu’il n’appartient pas aux responsables de décider pour la base.

Face à cette levée de boucliers, le maire a tenté de revoir sa stratégie. Lors d’une déclaration rapportée par ses détracteurs, il aurait dit qu’il reste à l’APR, mais que pour les élections législatives, il va soutenir la candidature du candidat de Diomaye.

Le même constat est aussi fait dans le département de Nioro avec plusieurs responsables soupçonnés de vouloir rejoindre le nouveau parti État. Parmi eux, Moustapha Jr Thiam. Poulain de l’ancien DG de la Sapco Souleymane Ndiaye, il a pris ses distances dès que le régime est tombé, pour mettre en place un mouvement dénommé ‘’Ensemble, c’est possible’’.

Dans la foulée, il entreprend des démarches pour rencontrer certains leaders au sommet. Junior Thiam ne s’en est pas limité. Il ne se passe presque pas un jour où il ne met pas des statuts de Sonko, qu’il ne cessait pourtant de caricaturer dans sa précédente vie.

La base dit niet et indexe le silence complice du sommet

Là aussi, la base n’a pas attendu pour mettre en garde les instances du parti et les candidats investis. Dans un communiqué signé par Moussa Diallo de la commune de Porokhane, le militant s’étonne de la posture de représentants au niveau local. ‘’Depuis un certain temps, peste-t-il, nous constatons une grande affluence de responsables politiques de l'APR (majoritairement des maires) qui se ruent vers *PASTEF LES PATRIOTES*. Cette transhumance déguisée en vogue est presque passée sous silence par les figures de proue de notre parti…’’.

À travers ce propos, dit-il, l’objectif est d’alerter les leaders, de leur faire comprendre ‘’qu'une telle alliance est nuisible au parti, ‘’car elle est aberrante et indigeste’’. ‘’Comment peut-on aujourd'hui s'allier avec ceux qui, dans un passé encore récent, insultaient à visage découvert le président Ousmane Sonko ? Ce dernier d'ailleurs n'avait-il pas dit que chacun reste là où il était le 24 mars 2024 ?’’, s’interroge le jeune leader, avant d’ajouter : ‘’S’allier avec le diable  ne nous fera pas gagner ces élections législatives qui sont d'une importance capitale pour asseoir le projet pour lequel nous avons beaucoup lutté.’’

Aux candidats investis, il demande ‘’de ne prendre aucune initiative allant dans ce sens. Vous devez travailler avec les 15 sections communales sans permettre une ingérence exotique d'un autre parti’’.

Plutôt mourir que de rejoindre l’opposition

Rejoindre l’opposition pour certains politiciens qui ont gouté aux délices du pouvoir, c’est hors de question. Certains n’hésitent pas à le clamer haut et fort, parfois sous le prétexte de vouloir servir leurs communautés, ‘’car, disent-ils souvent, quand on est maire, pour faire des choses il faut être avec le pouvoir’’. ‘’Cela ne passera pas”, disait Kouka Faty à l’encontre du maire de Madina Wandifa, qui aurait gouté à toutes les sauces depuis les années 2000.

Ancien militant de la LD, ce dernier s’était présenté aux locales de 2009 sous la bannière du Parti démocratique sénégalais. À la chute du régime de Wade, il rejoint l’Alliance pour la République de Macky Sall et a continué de conserver son poste de maire. Aujourd’hui, il tente le même coup pour préserver ses privilèges. Maire depuis 15 ans, il est aussi PCA dans un des services au niveau du ministère chargé des Mines. À Madina Wandifa, son maintien à son poste malgré le départ de plusieurs ténors suscite de plus en plus des questionnements. Certains militants sont convaincus qu’il bénéficie de soutiens de la part de certains ténors. “Ce qui est sûr, c’est que nous ne serons jamais avec lui en campagne ; nous ne tiendrons jamais une réunion avec lui ; nous ne ferons jamais une caravane avec lui. Maintenant, ce qu’il a dit concernant son soutien au candidat de Diomaye n’engage que lui”, a tenu à préciser Kouka Faty lors d’un entretien avec ‘’EnQuête’’.

La situation est presque la même un peu partout. Si certains avancent sans masque, d’autres ont préféré véhiculer un silence très assourdissant, sous le regard inquisiteur de la base de Pastef, prête à bondir sur les éventuels criquets pèlerins qui tenteraient de venir brouter dans leur périmètre.

Tous les chemins mènent vers Pastef

À Thiès, les états-majors de l'opposition se vident de leur crème en faveur du nouveau parti au pouvoir. Chef d’agence à la Lonase, Édouard Latouffe a, lui, acté sa transhumance depuis longtemps. À le croire, ce mouvement s’inscrit plutôt dans une démarche stratégique. Il s’expliquait : "Le Sénégal n'a pas besoin d'une confrontation politique permanente entre l'Assemblée nationale et l'Exécutif. Nous avons du pétrole, du gaz, des ressources essentielles. Il est impératif que ces questions soient traitées dans un climat de stabilité."

Le politicien ne s’est pas empêché, par ailleurs, de désigner les boucs émissaires parfaits. Avec la perte du pouvoir, il se rend enfin compte que Sall était certes un homme bon, mais son entourage était mauvais. "Macky Sall a réalisé de grandes choses, mais il a été mal entouré. On lui a menti sur beaucoup de dossiers’’. D’après lui, le contexte politique actuel suppose une analyse bien approfondie, afin de prendre les décisions qui s’imposent. "Il y a un changement de paradigme qui s’impose et cela nécessite une réaction adéquate de la part de nos dirigeants. Le peuple sénégalais a sanctionné l’ancien gouvernement. C’est une erreur de penser qu'une opinion publique peut changer radicalement en six mois’’.

Pour sa part, le président du Mouvement pour l'action sociale, la liberté et l’alternance (Masla), Massamba Diop, a fait aussi une déclaration lors d’une conférence de presse organisée à son siège situé dans le quartier Keur Mame El Hadj, à Thiès-Nord. Il a, à cette occasion, exprimé son soutien au parti Pastef. Un soutien qui, selon lui, répond à l’urgence d’un ‘’changement de cap’’ politique au Sénégal. ‘’Les débats parlementaires sont aujourd'hui gangrénés par des manifestations de violence verbale et parfois physique, par l’insolence dans les échanges ainsi que par une ingérence excessive dans les affaires de l'État’’, plaidait-il pour justifier son changement de trajectoire.  

Pendant ce temps, d’autres sont prompts à invoquer un sentiment de frustration et de manque de reconnaissance pour justifier leurs actes.

Femme active dans le développement local, Mme Sylla a, pour sa part, démissionné du parti d’Idrissa Seck. Adjointe au maire de la commune de Thiès-Est, son départ va à coup sûr faire du mal au parti Rewmi.

À côté de cette transhumance au sens strict du terme, avec des responsables politiques reconnus qui quittent l’ancienne mouvance présidentielle de Benno Bokk Yaakaar pour rejoindre les nouveaux maitres de Dakar, il est aussi noté un autre phénomène moins grave, certes, mais qui pose de sérieux problèmes d’éthique en politique. C’est toute cette race de politiciens qui abandonnent leurs partis en lutte pour rallier le Pastef, dans le seul but de pouvoir profiter des privilèges. Pour la plupart, l’objectif reste la conservation de leurs postes de maires.

Ndeye Diallo (Thiès)  

 

 

MOR AMAR

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