Excusable, la gaffe du Proc' ?
Pour avoir déclaré que la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) ne file que le train de milliards présumés mal acquis, le magistrat Alioune Ndao a fait sensation. Y aurait-il amnistie pour les voleurs de millions, alors que des chapardeurs de poule croupissent en taule ?
''Nous sommes à la chasse de milliards. Notre attention est portée sur ceux qui ont détourné des milliards. Quand on recherche 1000 milliards et qu'on nous parle de 100 millions, il y a vraiment de quoi se poser des questions''. Pour avoir tenu ces propos, avant-hier en conférence de presse, le Procureur spécial près de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), Alioune Ndao a fait tilt. Laisser ainsi entendre que le menu fretin n'intéresse pas la justice laisse d'autant songeur qu'un sous vaillant n'est pas de trop pour le Trésor public.
Pourtant demandeurs à souhait de la traque des biens mal acquis, des acteurs de la société civile n'en font pas un tasse de thé de ce ''lapsus'' du procureur. On le met sur le compte d'une erreur de communication. De sorte que président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (Raddho), Alioune Tine prône ainsi l'indulgence pour un magistrat qui n'est pas habitué à animer des conférences de presse. ''Je ne voudrai pas polémiquer sur cette sortie. J'ose croire que sa langue a fourchu. Car, quand on détourne, qu'importe la somme, on a violé la loi. On parle dans ce cas d'enrichissement illicite, qu'il y ait une présomption de milliards ou millions de FCfa'', pense M. Tine. Il ajoute qu'il faut ''faire preuve de compréhension à l'égard du Procureur qui rencontrait la presse pour la première fois. Les membres de la Cour ont intérêt à lui trouver un chargé de communication''. L'avocat, par ailleurs, président d'une association consumériste (SOS Consommateur), Me Massokhna Kane, abonde dans le même sens. ''Je considère que c'est une boutade ; les magistrats sont toujours tenus au devoir de réserve. Je connais l'homme, je puis vous dire, avec certitude, qu'il est de bonne foi. Il n'a pas su dégager une bonne stratégie de communication'', confie Me Kane.
''L'essentiel, la Cour est en mouvement''
De même, son confrère Me Mame Adama Guèye pense qu'''il ne faut pas se focaliser sur l'aspect communication. L'ancien patron du Forum civil (section sénégalaise d'Amnesty International) ajoute qu'il serait plus judicieux de s'appesantir sur le côté positif de cette initiative du nouveau régime qui traduirait une ferme volonté politique d'instaurer la bonne gouvernance. ''L'essentiel, pour moi, c'est de constater que la CREI est en mouvement. C'est une nouvelle qui répond aux attentes légitimes des populations pressées de retrouver les biens mal acquis. Nous espérons qu'elle ne soit pas simplement un effet d'annonces. Il est fondamental que les personnes qui ont pillé les ressources du pays soient poursuivies. Mais, c'est le lieu de souligner qu'on ne doit pas raisonner en termes de montant. La loi prévoit une qualification pénale, et toute personne poursuivie sur la base de cette qualification doit être sanctionnée'', argue Me Guèye.
Seulement, en entendant le procureur Alioune Ndao, beaucoup de Sénégalais ne sont pas loin de crier à une politique de deux poids deux mesures. ''C'est trop tôt d'en juger. Mais c'est normal de sonner l'alerte, d'anticiper en disant qu'il n'est pas souhaitable qu'il y ait une démarche sélective. Tous les acteurs, notamment ceux de la société civile, doivent refuser cet état de fait''.
Matel BOCOUM
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