Au delà du cas Bachir, renier la CPI…
Hier il y a eu la Lybie. Sous prétexte de se débarrasser d’un « dictateur », on a refusé systématiquement d’écouter les voix de l’Afrique, portées par l’Union africaine. Quoi qu’on puisse reprocher à cette organisation panafricaine, sur ce cas précis de la Libye, l’histoire et le chaos actuel dans ce pays – et le Sahel tout entier - lui ont donné raison. Nul n’osera le nier.
Aujourd’hui, c’est le cas du président Omar EL-Bachir du Soudan. Sous le prétexte de vouloir juger un « génocidaire » et un « criminel de guerre », la très controversée Cour pénale internationale ((CPI) et ses alliés ont perturbé le 25è sommet de l’Union africaine. Du coup, le premier sujet d’attraction des médias à cette rencontre qui se tient en Afrique du Sud n’est plus Boko Haram au Nigeria, la crise qui couve au Burundi, les difficiles pourparlers de paix au Mali, encore moins le rôle des femmes dans le développement du continent ou le premier plan décennal de l’Agenda Afrique 2063 (que les chefs d’Etats devaient discuter et adopter).
Il faut dire que la patate qu’on a mise entre les mains des autorités sud africaines est bien chaude. Arrêter un chef d’Etat en exercice en plein sommet ! Qu’El Bachir soit coupable ou pas est une autre affaire. Diplomatiquement, l’initiative met l’Afrique du Sud en mal avec le reste de l’Afrique. C’est peut-être là le but recherché. Diviser pour régner, après l’annonce de « l’accord Tripartite » de libre échange : 26 pays d’Afrique de l’Est et Australe (dont justement le Soudan et l’Afrique du sud). Un PIB combiné estimé à 1,3 trillion de dollars US, et un marché total de 625 millions de personnes. Il faut dire qu’au plan économique, ça peut faire peur à ceux qui veulent confiner l’Afrique à la périphérie et à tous ceux qui veulent retarder le « réveil » imminent de l’Afrique.
Au plan médiatique aussi, que c’est bien calculé tout cela ! Car on
aurait voulu réduire l’histoire et la marche de l’Afrique au ridicule, aux dictatures et aux assassins, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Distraire les Africains
Enfin stratégiquement, il n’y a pas meilleure façon de détourner l’attention des Africains des vrais problèmes auxquels ils ont décidé de donner la priorité. Ils savent donc bien ce qu’ils font ceux qui ont toujours vécu aux basques d’une Afrique volontairement maintenue dans la « dépendance», ceux qui se sont enrichis et vivent encore sur le dos de l’Afrique et de ses ressources naturelles. Ceux qui profitant de vieux clichés d’une Afrique « incapable », perpétuent le même discours, en plus subtil et en plus pernicieux, sur les « sauvages » à civiliser. Discours qui avait justement servi à justifier la colonisation.
Petite question au passage, si Omar El Bachir était un allié des Etats-Unis, de la France ou de la Grande Bretagne (et non celui des Chinois), y aurait-il eu autant d’acharnement contre lui ? J’en doute. Le point n’est pas ici de défendre El Bachir. Plutôt de réfléchir sur l’Afrique face à son avenir. L’Afrique et son rêve de liberté maintes fois trahi. L’Afrique et la nécessité de laisser les Africains s’inventer leur chemin. L’Afrique et ce besoin pressant de trouver en interne des solutions africaines aux équations qui se posent au continent. L’Afrique et ce désir ardent de sa jeunesse de se sortir des contorsions actuelles, aussi douloureuses et handicapantes, soient-elles.
En un mot, il faut laisser l’Afrique et les Africains s’assumer et assumer leur destin, leurs succès et leurs échecs.
Il est vrai que sur ce continent (ailleurs aussi, du reste), les chefs d’Etats ne sont pas des modèles de vertu. Loin s’en faut. Certains d’entre eux ont commis des crimes et causé du tort au continent. C’est indéniable. Sous leurs ordres, une partie de l’Afrique reste engluée dans la corruption, la mal-gouvernance, les conflits, la restriction des libertés dans certains cas. C’est injuste et indéfendable. Nous ne le défendrons pas.
L’Afrique mérite de tracer sa trajectoire
Mais en même temps, il faut reconnaître que, face à toutes ces forfaitures, les peuples africains ne restent pas les bras croisés. Ils ont tous décidé d’agir et agissent. Avec des succès et des échecs. Comme ailleurs dans le monde, chaque peuple se débat pour se choisir son destin et se forger sa propre trajectoire (Indignés espagnols, 99 % contre Wall Street, etc.). Pourquoi alors refuse-t-on aux Africains cette démarche « souveraine» dans le choix de leur trajectoire ?
Comme dans toute entreprise humaine, parfois ça échoue, mais parfois ça réussit. Laissons donc à l’Afrique le temps de porter ses échecs, de tomber, de se relever, de se retrouver et de se construire ses succès, en dehors de toute interférence.
N’est ce pas les Sud-Africains qui ont fini par démanteler l’apartheid à l’issue d’une longue lutte contre les forces obscures du racisme et de tous leurs alliés (y compris ces mêmes Occidentaux qui se font passer pour les grands moralisateurs du monde)?
N’est ce pas les Nigériens qui ont mis fin tout seul au régime de Mamadou Tandja au Niger lorsque celui-ci voulut s’éterniser au pouvoir ? Qui a, plus récemment, chassé Blaise Compaoré du pouvoir? Qui a empêché Abdoulaye Wade d’installer une dynastie familiale au Sénégal ? Ce ne sont là que quelques exemples pour dire que les peuples africains ne croisent pas les bras devant la fourberie des gouvernants. Qu’on laisse à chaque peuple le temps de trouver et de mûrir ses propres solutions et (excusez le langage cru), au diable la CPI, son racisme affiché, son arrogance insoutenable et ses alliés à l’agenda douteux !
Au niveau continental, si le rythme des changements nécessaires est lent, il faut dire qu’ici aussi des efforts existent. Pas seulement ni forcément parce que les chefs d’Etat le veulent. Mais surtout parce qu’ils se savent tous désormais surveillés par leurs peuples qui demandent des comptes : sur la gestion des fonds publics, sur la transparence des élections, sur la gouvernance, sur les décisions prises, les accords signés, les voyages, et tutti quanti... D’où le changement, aussi timide soit-il, noté jusque dans le fonctionnement et les décisions de l’Union africaine.
Les Chevaux de Troie
Pour les ennemis de l’Afrique, c’est justement tout ce qu’il faut stopper et à tout prix. Anéantir tout résultat positif qui serait à mettre au compte des Africains. Rejeter toute initiative qui aiderait à lever de vieilles inhibitions. Masquer toute solution et tout succès permettant de balayer des complexes héritées d’un passé colonial encore pesant et douloureux.
Les nombreux « Chevaux de Troie » utilisés pour cette entreprise machiavélique et funeste d’infantilisation et de culpabilisation permanente de l’Afrique sont connus : les Nations unies, et leur système corrompu, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, prédateurs reconnus, bras armés des puissances occidentales et surtout alliés inconditionnels des grandes sociétés minières qui pillent le continent. Et aujourd’hui la controversée CPI.
Leurs agissements coupables sont connus des milieux les mieux informés. Mais dotés d’une puissance financière sans égal et contrôlant les grands médias du monde, ils manipulent les opinions mondiales sous un vernis de beaux mots, de belles intentions et de bien fallacieux prétextes.
Gouvernance économique mondiale
Quid de l’injustice caractérisée dans la gouvernance économique mondiale, qui prive l’Afrique non seulement de voix sur la scène internationale, mais aussi de l’essentiel de ses richesses ? Des richesses qui auraient pu servir pour retenir dans leur pays ceux qui meurent en Méditerranée sans qu’ils n’aient à traverser les mers. Voilà une injustice manifeste et un génocide planifié qui n’émeut pourtant point la CPI. Justice pour justice, pourquoi la CPI n’attaquerait-t-elle pas les puissants de ce monde à l’origine de ce système inique qui plaide la « mondialisation » lorsqu’il faut s’emparer des ressources et ferme vite ses frontières lorsqu’il faut accueillir des migrants à la recherche de travail là où leurs ressources sont transportées et transformées ?
L’Afrique et les Africains doivent réfléchir et prendre leur courage à deux mains. Il y a un combat urgent à mener et à ajouter au plus vite à la liste de ses priorités, c’est celui du parachèvement de la lutte pour l’indépendance du continent. Cela passe par une Union africaine forte et indépendante financée par des Etats africains. Cela passe par des Etats qui comptent sur leurs propres ressources humaines et financières au lieu de toujours tendre la main.
Il est grand temps de laisser l’Afrique et les Africains chercher et trouver leurs voies par eux-mêmes, sans interférence aucune : que ce soit par de petites soubresauts, des révoltes populaires, des négociations voulues, des réformes audacieuses ou de grandes révolutions. Ce ne sera pas facile, mais Il y va de l’avenir de ce continent. Et cela commence par en finir au plus vite avec le fameux « complexe du colonisé ». Un des vecteurs bien identifié de la survivance de ce complexe, c’est la CPI. Sortir collectivement de la CPI devient alors un impératif et un signal fort pour les Etats membres de l’Union africaine.
*Hamadou Tidiane Sy, journaliste sénégalais, fondateur Ouestaf News, Fellow Ashoka & Knight, Fulbright New Century Scholar