Matador, la voix du peuple
Le rappeur Matador présente Vox Populi (la voix du peuple), un nouvel album qui se veut l’écho des préoccupations des Sénégalais. A Pikine, en banlieue dakaroise, Matador œuvre également pour la promotion des cultures urbaines. Rencontre avec un acteur de la vie artistique dakaroise.
Casquette rouge vissée sur la tête pour couvrir ses dread locks, Babacar Niang, alias Matador, se déplace d’un air nonchalant dans les locaux flambant neufs du centre Africulturban, complexe culturel qu’il a fondé il y a six ans, à Pikine, en banlieue dakaroise. Le rappeur a le nez plongé dans les préparatifs de la sortie de Vox Populi, le second album de sa carrière solo, qu’il présente après cinq ans de travail, nourri par plusieurs voyages. "Je ressens la fatigue liée aux derniers réglages techniques de la sortie de l’album", lâche-t-il. Car il lui faut quasiment tout faire, de A à Z, avec une équipe réduite : vérifier les affiches, les bandes-annonces, caler la sono pour ses avant-premières…
L’ancien leader du groupe Wa BMG 44, avec lequel il a produit deux albums dans les années 1990, veut se faire le porte-parole des préoccupations des Sénégalais. Matador a "conçu Vox Populi pour se mettre à la place des gens qui n’ont pas la chance d’être compris ou d’être écoutés", résume l’artiste. L’album qui mêle rap et funk, comprend quinze titres qui évoquent le quotidien des Sénégalais, le droit des femmes et des enfants de la rue. L’air réservé et calme, Matador faisait pourtant partie des avant-gardes de la contestation du régime d’Abdoulaye Wade. Près de six mois après l’élection d’un nouveau président, Matador veut maintenir la veille sur les éventuelles dérives du gouvernement. Son album est surtout emprunt de messages politiques forts.
En témoigne le titre éponyme de l’album, dans lequel l’artiste s’insurge contre l’impunité, les passe-droits, et prône la bonne gouvernance. Avec les featuring des rappeurs Didier Awadi, Xuman, et le pionnier du DJing, Dj Geebayss, cette chanson met en garde les nouveaux dirigeants : eux aussi devront rendre des comptes auprès de la société. "Ce qu’on attend du président, c’est un changement, radical, clair dans vos comportements, plus de tactique, servir et non se servir", clame Awadi dans ce morceau. Et d’insister : "Le but est clair. Le président, c’est l’employé du peuple, donc obligation de rendre compte à tout moment au peuple".
Plus terre à terre, Matador demande au nouveau régime où est ce qu’on en est. "Dans l’album, je parle de l’après élection : les audits contre les personnalités politiques, l’arrestation de Cheikh Bethio Thioune (marabout influent à Dakar, ndlr), les violences pré-électorales… cela fait vingt ans que nous vivons dans les inondations. Qu’en est-il de la baisse des prix des denrées ?"… interroge pêle-mêle le rappeur Matador. L’artiste, qui excelle dans le slam et le hip hop, est également porteur de projets sociaux. Son centre a été créé suite aux inondations de 2005. Tout est parti d’un concert en faveur des habitants sinistrés. Le rappeur se fait remarquer par le directeur d’un centre culturel, qui accepte de l’écouter et lui offre les infrastructures pour monter un centre pour la culture hip hop.
Aujourd’hui, huit personnes travaillent bénévolement, en permanence, pour Africulturban, son association qui organise notamment le Festa2h, un festival de hip hop. Depuis un an, Matador a lancé la Hip Hop Akademy, qui encadre et forme les jeunes au graphisme, au DJing, au management, à la musique assistée par ordinateur. "Nous avons des jeunes qui ont la fibre artistique, qui ont fait un peu l’école, mais qui n’ont pas eu les moyens de continuer", explique Amadou Fall Ba, le bras droit de Matador. Choix pragmatique : "la vidéo et le graphisme sont des formations d’élite", l’idée étant de les rendre accessible aux jeunes. Derrière ce projet, Matador veut former des professionnels de la culture et que les jeunes puissent vivre de leur art.
Dans le hall d’accueil du centre, la Hip Hop Academy affiche un petit centre de documentation : derrière une vitrine, figurent une collection de livres en anglais, de DVDs, de CDs des pionniers du hip hop dans le monde. Signe d’ouverture. Mais aussi souci de conservation : ces jeunes espèrent transmettre des références aux futures générations de rappeurs. Matador et sa petite bande fourmillent de multiples projets autour de ce centre. Ils viennent de nouer un partenariat avec une entreprise japonaise, pour vendre de la musique hip hop sénégalaise au Japon…
RFI