La véritable histoire de l'incendie des manuscrits de Tombouctou
Mercredi 23 janvier, les hommes d'Abou Zeid, encore présents à Tombouctou, mettent le feu aux manuscrits de l'un des centres Ahmed Baba, en représailles au soutien de la population à l'offensive franco-malienne.
Une semaine plus tard, les informations parcellaires qui arrivent de Tombouctou font état de destructions moins importantes que redouté.
Jeudi 24 janvier, vers 9 heures du matin, Bilal, l'attaché de communication du maire de Tombouctou, et l'un de ses amis s’infiltrent discrètement dans le nouveau centre Ahmed Baba. La veille, en fin d’après-midi, des islamistes radicaux ont incendié de précieux manuscrits, trésors de la « cité aux 333 saints » inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Bilal découvre avec effroi l’étendue des dégâts. Au sol, dans la bibliothèque principale, des documents vieux de plusieurs centaines d’années sont réduits à un tas de cendre. « C’était vraiment une scène de désolation, se rappelle-t-il. Les manuscrits avaient été brûlés, les vitres brisées, les armoires démolies… » Équipés d’une caméra, les deux compères prennent rapidement quelques images et quittent les lieux avant d’être repérés.
D’après lui, les auteurs de ce crime culturel sont les hommes d’Abou Zeid, émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) installé dans la ville depuis plusieurs mois. « Ils ont fait ça pour punir la population de Tombouctou qui saluait l’offensive des forces françaises et maliennes », affirme Bilal. Puisque le réseau téléphonique est coupé, le jeune homme décide de descendre vers Bamako pour annoncer la triste nouvelle. Samedi matin, de bonne heure, il s’éclipse prudemment de chez lui pour gagner les bords du fleuve Niger.
« À ce moment-là, Abou Zeid, son fils et une trentaine d’islamistes - surtout des Maghrébins - étaient toujours en ville, précise notre témoin. Ils ont du quitter Tombouctou dans la nuit de samedi à dimanche, juste avant l’arrivée des soldats français et maliens dimanche soir. » Bilal parvient ensuite à embarquer à bord d’une pirogue à moteur et vogue jusqu’à Mopti. De là, il gagne Bamako et alerte Hallé Ousmane, le maire de Tombouctou en exil dans la capitale malienne depuis plusieurs mois.
Trésor culturel
Lundi 28 janvier, en moins de quelques heures, l’information fait le tour de la planète. Tous les médias rapportent que les partisans de la charia ont mis le feu aux célèbres manuscrits avant de prendre la fuite. Mais le flou domine et aucun bilan précis n’est établi. Mardi, Shamil Jeppie, directeur du projet sud-africain de conservation de ces manuscrits, met fin aux craintes. Il annonce que plus de 90 % des ouvrages ont été sauvés : « En fait, on a beaucoup exagéré. Il y a eu des dégâts et certains objets ont été détruits ou volés, mais beaucoup moins que ce qu'on a dit dans un premier temps. » Selon lui, la grande majorité des documents avait été mis à l'abri avant l'arrivée des islamistes à Tombouctou. Une partie avait été transférée à Bamako et l’autre soigneusement cachée par les habitants de la ville.
Les ouvrages restants étaient partagés entre l’ancien et le nouveau centre Ahmed Baba, construit en 2009 par les Sud-Africains. Seul le nouvel édifice a été incendié par les islamistes. Les manuscrits qui n’avaient pas encore été transférés depuis l’ancien bâtiment ont donc été préservés. Sur les 200 000 (certains évoquent 300 000) pièces répertoriées dans la région de la boucle du Niger, environ 30 000 étaient conservés dans les centres Ahmed Baba de Tombouctou. Le reste est entre les mains des familles locales, qui se transmettent leur patrimoine de génération en génération. Si aucun bilan officiel n’a encore été dressé, des sources maliennes évoquent aujourd’hui le chiffre de 2000 écrits brûlés par les islamistes, la semaine dernière.
Les manuscrits de Tombouctou représentent un véritable trésor culturel, qui remonte à l'époque où la cité mythique était la capitale intellectuelle et spirituelle de l'Islam en Afrique, aux XVè et XVIè siècles. Certains sont encore plus anciens, datant du XIIè siècle ou de l'ère pré-islamique. Essentiellement rédigés en arabe et en ajami, mais aussi en peul, ils traitent d'astronomie, de musique, de botanique, de pharmacie, de droit, d'histoire ou encore de politique. Leurs supports sont variés : parchemin, papier d'Orient, peaux de moutons, et parfois même omoplates de chameaux.
JeuneAfrique