Publié le 22 Mar 2013 - 09:35
LETTRE OUVERTE A SON EXCELLENCE LE PRESIDENT MACKY SALL

Excellence, gouverner rime avec prudence !

 

Excellence,

Deux faits majeurs m’ont convaincu de vous adresser ces quelques mots émanant certes d’un citoyen ordinaire mais qui compte énormément sur votre haut sens de la responsabilité pour éviter à notre peuple d’éventuels troubles à l’instar du Mali. Le premier fait concerne le cas des maîtres coraniques qui ont été mêlés à un incident malheureux ayant conduit à la perte des jeunes talibés de la médina. Devant cette catastrophe, toute la Nation a été consternée et choquée et votre gouvernement a pris les mesures idoines pour mener une enquête afin de situer les responsabilités et de punir les fautifs.

 

 

Mais au delà des mesures urgentes prises et qui emportent l’adhésion d’une bonne frange de la population, il importe d’analyser les causes profondes du phénomène de la mendicité des jeunes talibés afin d’en déterminer les remèdes définitifs. Le seul fait d’interdire la mendicité des jeunes élèves coraniques au motif qu’ils font l’objet d’une exploitation sauvage de la part de leurs maîtres n’est pas à mon avis une réponse suffisante, adéquate et responsable. D’ailleurs sous le magistère de votre prédécesseur Me Abdoulaye Wade, des mesures similaires ont été prises mais n’ont pas éradiqué ce phénomène.

 

Je pense qu’au-delà de la concertation plus que nécessaire avec les maîtres coraniques, le Gouvernement ne devrait pas prendre de mesure générale d’interdiction sans pour autant se donner les moyens de proposer d’autres alternatives aux concernés. C’est cette idée qui fait la jonction entre les deux faits marquants faisant l’objet de mon adresse et dont le second concerne le plan de désencombrement de la ville de Dakar sur lequel je reviendrai plus loin.

 

L’enseignement coranique occupe une place très importante dans l’éducation des citoyens sénégalais. Nous qui avons eu la chance de fréquenter l’école de la république, avons tendance à considérer avec mépris l’enseignement coranique comme étant un système dégradant et qui ne respecte pas la dignité humaine. Or, il est important de souligner que tout citoyen qui réussit sa vie privée et professionnelle le doit en grande partie à sa solide formation religieuse qu’elle soit de courant chrétien, juif ou musulman. La formation cultuelle est le terreau de la paix civile au Sénégal. Car toute personne peut commettre des faits criminels ou délictuels tout en échappant à la justice de la République ; mais si cette personne a conscience qu’un jour elle aura rendez-vous avec la mort et qu’elle ne pourra pas échapper à la justice divine, elle aura tendance à se conformer aux règles morales établies par la société.

 

D’ailleurs il faut remarquer que la plupart de ces règles de bonne conduite auxquelles la société nous astreint, tirent leur substance des enseignements religieux. Il s’agit du respect de soi et de son prochain, de la sauvegarde de sa vie et de ses biens, de la compassion pour les faibles et les pauvres. Notre droit positif s’articule d’ailleurs autour de ces grands idéaux et qui sont le lot quotidien de nos juges.

Excellence, je sais que je ne vous apprends rien au vu de votre parcours exceptionnel mais mes propos ne constituent qu’un rappel pour que vous vous souveniez du sens de la prudence nécessaire à tout grand homme d’Etat.

 

Les professeurs ont tendance à nous rappeler que la répétition a des vertus pédagogiques et il est important de vous mettre à la place des faibles pour comprendre leur souffrance et leur préoccupation si vous avez réellement envie de les aider et de réussir votre mandat.

Nous avons hérité après les indépendances d’une jeune république laïque qui n’a pas pris la pleine mesure des besoins en formation de sa population. L’Eglise ayant bénéficié d’une longue expérience en matière de formation a pu s’organiser. Elle arrive à obtenir de la part de l’Etat quoique laïc, des attributions de parcelles et des subventions de tout genre, à obtenir du Vatican des prêts pour construire des écoles modernes et à former des élèves et étudiants d’un haut niveau.

 

Pourtant au 17ème siècle, l’Eglise n’avait pas les mêmes aptitudes et elle s’apparentait plus à nos maîtres coraniques et vivait du sang de ses élèves et de l’aumône de ses adeptes. C’est avec la révolution que l’Eglise a entrepris sa mue pour offrir le visage civilisé que nous lui connaissons aujourd’hui. La chance du Sénégal réside dans le respect de sa population envers toutes les religions révélées et dont les représentants concourent chacun à sa manière, à former des citoyens modèle.

 

Avec une population à plus de 90% musulmane, le gouvernement a l’obligation d’organiser l’enseignement islamique en construisant des écoles, en mettant en place des systèmes d’évaluation des connaissances des maîtres coraniques, au besoin en leur délivrant un diplôme d’enseignant. La création d’un ministère ou d’une agence chargé des affaires de cultes (musulman ou chrétien) ne peut être considéré comme un renoncement de l’Etat à son caractère laïc car les religions contribuent au Sénégal à la consolidation de l’Etat de droit. Pour preuve, lors des grandes joutes électorales, l’Eglise, Touba et Tivaouane sont constamment sollicitées et deviennent les arbitres et les modérateurs des aspirations des différents acteurs politiques. Dans ces conditions, ça serait une aberration que de ne pas leur reconnaître la place qui leur revient dans la société.

 

Excellence, la prudence s’impose à votre Gouvernement car le bon Dieu auquel nous croyons est Audient et il ne rejette jamais l’invocation des gens qui lisent ses livres et se conforment à ses prescriptions qu’ils soient juifs, catholiques ou musulmans. Au Mali, lorsque le régime d’Amadou Toumani Touré (ATT) a voulu interdire l’excision sans pour autant trouver un consensus avec les religieux, ces derniers se sont retirés dans les mosquées pour maudire son gouvernement ; leur prière a certes été exaucée mais le malheur ne venant jamais seul, aujourd’hui c’est toute la sous-région qui est en train de payer un lourd tribut suite à la déliquescence de l’Etat malien.

 

J’en viens au second fait qui concerne le plan de désencombrement de la ville de Dakar. Monsieur Khalifa Sall, Maire de Dakar, a certainement raison d’engager le bras de fer contre tous ceux qui occupent illégalement l’espace public tant Dakar présente une face hideuse au reste du monde. Tout honnête citoyen est obligé de saluer la détermination et le courage qui animent l’édile de la ville de Dakar. Les sénégalais sont plus que convaincus de la justesse de son action.

Mais là aussi, il y a lieu de situer les responsabilités. Pourquoi les représentants de l’Etat ont-ils tolérés l’occupation sans titre du domaine public pendant des années durant au risque d’y laisser prospérer des fonds de commerce qui aujourd’hui, nourrissent des milliers de sénégalais. Que faisaient les Préfets et sous-préfets lorsque certains maires imprudents autorisaient ou toléraient l’occupation anarchique du domaine public ?

 

Pourtant, ces représentants de l’administration territoriale sont cosignataires des autorisations d’occuper et auraient pu exercer leur pouvoir de contrôle et de sanction au moment opportun. Combien de fois se désole-t-on du manque d’encadrement des marchés hebdomadaires à Dakar et sa banlieue qui finissent par entraver la circulation et la mobilité urbaine ?

Pour toutes ces raisons, le déguerpissement des populations ne devrait être envisagé sans un plan de recasement car malgré tout, la tolérance complice des autorités a permis à de pauvres citoyens de faire prospérer leur commerce et de nourrir leurs familles. L’une des missions de votre gouvernement étant de lutter contre la pauvreté, l’Etat de devrait pas prendre de mesures ayant pour incidence de supprimer des emplois sans pour autant proposer aux personnes impactées d’autres alternatives.

 

C’est pour ces raisons que j’invite les autorités de mon pays et au premier chef, vous, Excellence, à mener cette politique de désencombrement avec humanisme et raison pour éviter d’exacerber le courroux d’une population, plus qu’excédée par des décennies de famine, de déception et de tristesse.

Excellence, dans ce domaine aussi la prudence s’impose à votre Gouvernement car le bon Dieu auquel nous croyons est Audient et il ne rejette jamais l’invocation des gens pauvres et faibles qui lui réclament protection contre un Chef impétueux.

Tout en invoquant pour vous et votre équipe la protection divine pour que vous puissiez réussir votre mandat et hisser le Sénégal à un rang inespéré,

Je vous prie d’agréer, Excellence, l’expression de ma très haute et distinguée considération.

 

 

Me Thierno Mamadou Kane

Conseiller Juridique

thierno.mamadou.kane@gmail.com

 

 

Section: