Publié le 1 Apr 2013 - 15:08
EN PRIVÉ AVEC CLAUDY SIAR

''Aïda Samb a un truc...''

 

 

Animateur, producteur, patron de radio et chanteur, Claudy Siar est l'un des meilleurs de sa génération. Ce dénicheur de talents musicaux force le respect et l'admiration par son flow oral mais aussi pour son engagement dans le combat pour l'égalité des chances des Français d'Outre-mer dans la République de Marianne. En séjour à Dakar jusqu'à dimanche, il s'est confié à EnQuête.

 

 

Quel est l'objet de votre séjour à Dakar?

 

Je suis à Dakar pour le Prix Découvertes RFI/ France 24 de 2012. C'est ici, dans la capitale sénégalaise, que nous allons honorer le lauréat originaire de Namibie et qui s'appelle Elemotho. Le concert du samedi 30 mars (Ndlr: Elemotho se produit aujourd'hui à l'Institut culturel français de Dakar) est très important. Il y a toujours deux temps dans le Prix Découvertes une fois que le lauréat a été sélectionné. Il y a le concert en Afrique et le concert à Paris. Ce dernier aura lieu le 3 avril. Après, il sera en tournée, et dans plusieurs médias du monde.

 

Pourquoi le choix du Sénégal, cette année, pour la remise de ce prix ?

 

Nous sommes là parce que le Sénégal est un pays important pour le Prix Découvertes RFI. Dès 1981, un artiste sénégalais (Ndlr: Abou Sy) a été récompensé et bon nombre d'artistes du Sénégal (Ndlr : Naby en 2009, Awadi en 2003 et Abdou Guité Seck avec le groupe Wock en 2000) ont reçu ce prestigieux prix qui les a plus qu'aidés dans leur carrière. Aussi, il y a l'opportunité d'être dans cette dynamique de Tandem [Dakar-Paris ce jeudi 28 mars], dynamique culturelle. Et par ce qu'il est et ce qu'il représente, le Prix Découvertes RFI s'inscrit dans cette dynamique très logique de cette manifestation. J'ai envie de dire: ''C'est un bon tandem''.

 

 

Quels sont les artistes sénégalais dont vous aimez la musique?

 

Il y a beaucoup de chanteurs sénégalais dont j'aime la musique. Volontairement, je ne vais pas citer les grands noms. On les aime tous. Ce que je regarde le plus, ce sont les jeunes générations, comment elles fonctionnent. Moi, je suis fan de Aïda Samb, je suis fan de cette fille. Elle a un truc ! Voilà, j'ai une passion pour ce qu'elle fait. J'aime beaucoup Numukunda Cissokho, par exemple. Pape Diouf est quelqu'un dont je suis proche. N'oubliez pas que son groupe s'appelle ''Génération consciente''. C'est quelqu'un de généreux. Il est important d'avoir des artistes généreux. Beaucoup de gens ne le sont pas. Moi, je juge un artiste sur ce qu'il est sur scène et ce qu'il est en tant qu'être humain. Je trouve que quelqu'un comme Pape Diouf est quelqu'un de bien.

 

Et que pensez-vous du mbalax?

 

C'est compliqué de parler d'une musique. A la limite, on dit si on l'aime ou pas. Alors moi j'aime le mbalax. Après, il y a des individualités. Il y a des gens qui travaillent, certains me semblent plus talentueux que d'autres. Moi, je suis comme n'importe quelle personne du public, je réagis en fonction de ce que j'entends, de l'émotion que suscite l'artiste à travers ses chansons. J'ai envie d’écouter un artiste parce que j'aime ses textes ou parce que ça me fait danser, etc. Je suis à la fois un mélomane et une éponge. Je suis quelqu'un qui a un regard critique et puis il y a le professionnel. Je ne juge pas plus sévèrement la musique que le public. J'essaie à la fois d'être indulgent sur certaines choses et par sur d'autres. Je ne suis pas indulgent en ce qui concerne la composition ou les textes. Je suis indulgent par exemple quand je n'ai pas le son le plus extraordinaire. Je vais faire avec parce que je sais parfois les conditions dans lesquelles l'artiste peut enregistrer. Je crois qu'il y a une vraie création qui continue dans le mbalax. Ceux qui disent le contraire, je les appelle les grincheux et les conservateurs. Certains disent que le mbalax était mieux mais cela ne veut rien dire. Une musique est consommée au présent, elle est vécue au présent. Il y a de jeunes artistes qui arrivent et qui rencontrent un public de la même génération. Les vieux critiquent ces jeunes-là en disant que c'était mieux avant.

 

Où en êtes-vous aujourd'hui avec l'organisation d'Africastar ?

 

Africastar a connu dans sa deuxième saison des déboires; que cela soit à Dakar ou en Côte d'Ivoire. La première saison a été exceptionnelle au Gabon. Là, avec ce qui reste des équipes, on est en train de tout reconstruire. Le Africastar que vous avez connu ne sera pas pareil au prochain Africastar. On a vu qu'un peu partout en Afrique, tout le monde a voulu faire de petits Africastar. Beaucoup avec de grandes déconfitures, parce qu'ils ont compris que ce n'était pas facile à faire. Nous, le problème qu'on a eu était d'ordre financier. D'autres qui avaient les moyens n'ont pas eu de programmes qui plaisent vraiment au public. Nous, nous y étions arrivés. Le prochain Africastar sera totalement différent. Il n'y aura pas que de la musique. Ce sera vraiment quelque chose de différent. On va renouveler le genre et donner envie à beaucoup de copier Africastar.

 

Quelles sont les nouveautés dans la nouvelle formule d'Africastar?

 

Je ne veux pas en parler parce qu'on pourrait se faire devancer par d'autres. Mais ce sera un vrai programme de divertissement qui va surprendre les téléspectateurs. La prochaine saison est pour 2014. On aura des candidats de haut, des candidats officiels et d'autres types de candidats. On sera dans plusieurs domaines.

 

Quel pays va accueillir la prochaine saison?

 

On est en discussion. Ce sera peut-être un pays d'Afrique de l'Ouest ou un pays d'Afrique centrale. C'est un pays d’Afrique centrale qui est plus qu'intéressé au terme des dernières négociations.

 

Lequel ?

 

Alors ça, je ne vous le dirai pas (rire). Malheureusement, tant que ce n'est pas signé, je ne peux pas en parler. Les négociations sont très très avancées. On pourra en parler en juin. Volontairement, on n'en parlera pas avant.

 

Parlez-nous maintenant de votre engagement pour l'égalité en France. Qu'est-ce qui explique ce militantisme?

 

C'est le pays dans lequel je suis né. Malheureusement, au regard de son histoire, c'est-à-dire un passé esclavagiste et colonialiste, la France n'a pas su offrir une vraie égalité de traitement à ses enfants non blancs. Lorsque vous naissez les yeux ouverts sur ces réalités-là, vous pouvez vous mentir à vous-même et ne pas rentrer dans ces combats-là. Ou vous pouvez vous dire : ''Moi, je n'ai qu'une vie et elle doit me servir à faire ce que je crois être juste.'' C'est pourquoi j'ai accepté d'être délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'Outre-mer. Ce n'était pas un ralliement politique puisque je l'ai dit au moment où j'ai été délégué et je l'ai toujours dit : je n'appartenais à aucun parti. Je ne suis ni du parti majoritaire de la Droite (UMP) ni du parti majoritaire de la Gauche (PS) qui est aujourd’hui au pouvoir.

 

Il se dit que vous étiez de la Gauche

 

Oui, parce qu'on a toujours dit que les idées révolutionnaires sont de Gauche. Sauf que pour moi, avec le temps et ma culture politique, ça ne voulait plus rien dire. Je fais très attention car je ne veux pas me laisser enfermer. Je suis comme n'importe quel citoyen du monde qui vit dans une démocratie et qui, à un moment donné, a voté pour un homme ou une femme. Et qui, à un autre moment, parce qu'il a été déçu, a voté pour quelqu'un d'autre. Je peux être comme tout le monde sauf qu'en termes d'idées politiques, personne ne sait si je suis quelqu'un qui vote à Gauche, à Droite ou qui ne vote pas. Je suis quelqu'un qui veut voir son pays, la France, changer de comportement, évoluer dans le regard qu'il a sur l'autre et accepter pleinement, totalement son histoire et sa diversité.

 

Vous avez été très critiqué après votre nomination comme délégué interministériel. Comment l'avez-vous vécu ?

 

J'ai été critiqué parce que j'ai accepté. Et c'étaient mes amis. Des gens que je comptais parmi mes amis et qui ne le sont plus aujourd'hui. Il y avait beaucoup de jalousie. En étant délégué interministériel, j'ai appris que certains, qui m'avaient critiqué, avaient supplié un jour des gens de l’Élysée (Présidence française) pour obtenir un poste. Moi, je n'ai rien demandé, on est venu me chercher. J'ai fini par accepter parce que j'ai vu qu'il y avait du sens. Il faut qu'on arrête de critiquer le système et le pouvoir ; et lorsqu'on vous propose d'entrer dans le système, on dit non parce qu'on a peur pour son image. Aujourd'hui, c'est génial qu'on fasse cette interview maintenant, avec le recul. On a dit que je soutiendrais Nicolas Sarkozy sur la campagne présidentielle. Je ne l'ai pas soutenu. On a dit que ma radio serait au service de Nicolas Sarkozy, ce qui n'a pas été fait. Les gens de l'UMP (Union pour la majorité présidentielle) m'ont contacté et m'ont dit: ''Oui, tu as dit que ta radio ne serait pas au service d'un parti mais il y a plus de gens de Gauche qui passent sur ta radio que de gens de Droite.'' A aucun moment, dans mes actions, je n'ai dit que c'est pour Nicolas Sarkozy. Dès le départ, j'ai posé mes trois conditions: ''Je ne veux pas faire de campagne, ma radio ne sera pas engagée dans la campagne et je veux choisir ma feuille de route.'' Je peux vous dire que tout cela a été respecté. Ce qu'il faut regarder aujourd'hui, ce sont mes actions.

 

Justement, quel bilan en tirez-vous ?

 

Je vais vous dire une chose. Beaucoup de gens, qui ne comprenaient pas pourquoi j'ai accepté ce poste, m'ont dit : ''Écoute Claudy, on a regardé ce que tu as fait, on t'a suivi et, respect. Parce que tu as été le même. Tu as dit les choses de façon très dure.'' Vous savez, lorsque vous dites ''Délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'Outre-mer au sein de l'appareil d’État français'' et que vous écrivez des rapports en disant que la France traite l'Outre-mer comme les confettis de son ancienne empire coloniale... je ne connais aucun haut fonctionnaire qui se soit permis ce genre de choses. Moi, je l'ai fait. J'ai expliqué les inégalités de traitement. J'ai permis de régler les téléphonies mobiles. J'ai permis de régler beaucoup de choses parce que j'étais pragmatique. Je disais ce qui n'allait pas. J'ai fait ce que je devais faire. Je ne me suis pas renié. J'étais le même avant d'entrer dans la fonction, dans la fonction et après la fonction. Et comme on dit: ''Les jaloux vont maigrir.''

 

Vous avez confié dans une interview avoir été influencé par votre maman. Comment ?

 

Ma mère s'est sacrifiée pour ses enfants. Elle travaillait la nuit à l'hôpital Saint Antoine et la journée à la clinique des Martinais en banlieue parisienne. Elle a sacrifié sa santé pour élever ses enfants. Ma mère est partie le 17 mars 2001 à l'âge de 69 ans. Elle était hémiplégique. Elle avait fait deux arrêts cardiaux vasculaires et était sous dialyse. Elle était physiquement, extrêmement diminuée. Elle était une femme exceptionnelle. Elle nous disait: ''Les sacrifices que je suis en train de faire, vous n'aurez pas à les faire pour vos enfants.'' Lorsque j'ai refusé au départ d'être Délégué, j'ai beaucoup pensé à ma mère. Elle ne voulait pas que je touche à la politique. Elle me disait que je suis fragile et trop sensible pour aller dans ces combats car la politique est un monde trop méchant et trop mauvais. Lorsque j'ai accepté, j'ai aussi pensé à ma mère. Je me suis dit que les coups vont pleuvoir et je verrai bien si je suis capable de les supporter.

 

Et avez-vous supporté?

 

Des coups j'en ai pris. Il y a eu des moments qui ont été difficiles. On a dit des choses sur moi qui étaient évidemment éminemment fausses. Je ne pensais pas que l'on soit peu mature face à la chose politique pour comprendre que nous devons être à l'intérieur comme à l'extérieur. Nous devons comprendre pour arriver à résoudre les problèmes. C'est Cheikh Anta Diop qui disait que nous devons ensemble bâtir une autre civilisation que de sombrer dans la barbarie. Le monde dans lequel nous vivons est celui de la barbarie même s'il y a le verni de la bonne éducation.

 

Vous ne vous dites pas que n'eût été votre militantisme, vous gagneriez beaucoup plus ?

 

Certainement. Beaucoup de mes amis m'ont dit : ''Ouais, tu ne te rends pas compte mais si tu étais moins militant, ce serait plus simple.'' Moi j'ai toujours bien gagné ma vie. J'ai toujours fait en sorte d'avoir les moyens de ma politique. Il y a des choses certainement que j'ai loupées. Mais ce n'est pas grave. Je ne transige pas sur certaines choses.

 

Chanteur, animateur, producteur et patron de radio, comment faites-vous pour allier toutes ces casquettes ?

 

Je suis un boulimique de travail et c'est la seule façon pour moi d’échapper à la possibilité qu'économiquement on fasse taire le militant que je suis. J'ai toujours eu plusieurs cordes à mon arc. Je travaille énormément. Je suis très fatigué.

 

Vous travaillez beaucoup, vous êtes fatigué mais vous paraissez plus jeune que votre âge. C'est quoi votre secret ?

 

Il paraît que je ne fais pas mon âge. Mais je sens que j'ai cet âge-là. Je n'ai pas d'excès, je ne bois pas, je ne fume pas, je ne me drogue pas. J'ai plutôt une bonne santé. Si j'avais eu trop d'excès, je ne serais pas dans cet état-là. J'ai le sentiment d'avoir 30 ans, ça c'est un problème (rire). J'ai toujours le sentiment d'être un grand adolescent. C'est pourquoi je pense que, quand je vois le danger, je ne recule pas. Parce qu'il ne me fait pas peur.

 

 

 

 

PAR BIGUÉ BOB

 

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