Au Gabon, la psychose des crimes rituels ravivée par les réseaux sociaux
La jeune fille avait disparu alors qu'elle se baignait et son corps meurtri n'a été retrouvé que le lendemain à quelques centaines de mètres de là, avait alors constaté un journaliste de l'AFP.
Pratiqués par des cercles secrets adeptes de sorcellerie, les crimes rituels consistent à prélever le sang de la victime et certaines parties du corps - yeux, sourcils, oreilles, sexe, langue, lèvres, bouts de peau, cerveau - censées offrir santé, richesse, réussite et pouvoir.
"C'est de pire en pire. On a déjà compté 19 cas depuis le début de l'année", parmi lesquels 10 enfants, soupire Jean-Elvis Ebang Ondo, président-fondateur de l'Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), dont le fils de 12 ans a été enlevé, tué et mutilé en mars 2005.
Le dernier rapport de l'association, qui porte sur quatre provinces, a dénombré 34 cas en 2010, et 62 en 2011. En majorité des enfants, cibles les plus recherchées.
La police ne reconnaît toutefois pas la validité de ces statistiques, estimant que certains des décès n'ont aucun rapport avec des crimes rituels. Plusieurs morts inexpliquées ont été attribuées à des crimes rituels sous prétexte que les corps étaient abîmés.
La peur de la "voiture noire"
S'il est impossible de prouver qu'il s'agit de crimes rituels, faute d'autopsie, ces meurtres font régulièrement la Une des journaux gabonais et provoquent la colère des habitants contre l'inaction des pouvoirs publics.
A Libreville, la crainte des crimes rituels a même engendré des légendes urbaines, comme celle de la "voiture noire", qui attendrait à la sortie des écoles pour kidnapper des enfants.
La polémique a encore enflé ces derniers jours après l'interdiction d'une marche de protestation pacifique qui devait se tenir samedi.
"Je juge inopportune l'organisation d'une marche tendant à dénoncer la recrudescence des crimes" rituels, a déclaré le ministre de l'Intérieur Jean François Ndongou dans une correspondance à l'ALCR du 10 avril, tout en reconnaissant que la manifestation était "saluée par la population gabonaise dans son ensemble".
Le lendemain, des pirates informatiques se réclamant du groupe Anonymous ont voulu interpeller le gouvernement gabonais, en publiant une vidéo où s'enchaînent des images choquantes de corps mutilés et d'organes.
La campagne, baptisée Opération Gabon, se poursuit sur le réseau social Twitter où les internautes utilisent les mots clés #OpGabon ou #SOSGabon pour dénoncer les crimes rituels.
Le site du collectif militant Avaaz.org a également lancé une pétition +Stop aux crimes rituels au Gabon!+, demandant que "la justice véritable soit appliquée".
Inédite, cette mobilisation sur les réseaux sociaux embarrasse les responsables politiques gabonais et a poussé le président Bongo à réagir.
Aucune condamnation
Il a exprimé "la préoccupation de la Haute Institution (la présidence) face au phénomène combien ignoble des crimes", selon un communiqué du 11 avril. Toutefois, l'expression de "crime rituel" n'apparaît jamais. Sans doute pour ne pas ternir l'image du "Gabon émergent" mise en avant par le pouvoir.
L'association ALCR dénonce elle "l'impunité" dont bénéficieraient les bourreaux et les commanditaires de ces crimes. "On divertit les gens avec des semblants de procès, mais personne n'a jamais été condamné", assure son responsable, M. Ebang Ondo.
Selon lui, de nombreux hommes politiques et personnalités ont recours aux crimes rituels pour en tirer, selon leurs croyances, leur puissance.
"L'Etat ne veut pas qu'on en parle, parce que ce sont des hautes personnalités qui font perdurer ces pratiques, qui se nourrissent de ça", affirme-t-il.
En octobre, l'ONG Reporters sans frontières avait déjà tiré la sonnette d'alarme, dénonçant "la multiplication des pressions sur les journalistes" gabonais qui enquêtent sur les crimes rituels et leurs liens avec les milieux politiques.
Un pas a cependant été franchi avec la récente levée de l'immunité parlementaire d'un sénateur accusé d'avoir commandité un crime rituel à des fins fétichistes. La justice est aujourd'hui libre de le convoquer pour éclaircir le meurtre d'une fillette de 12 ans en 2009.
"On attend toujours qu'il passe à la barre", rappelle M. Ebang Ondo.
AFP