''Je ne peux pas être un porte-parole à la carte''
La presse a parlé d’un différend qui vous aurait opposé à la présidente du CNRA, Nancy Ngom Ndiaye, à propos de la voix d’Abdoulaye Mbaye Pekh sur un enregistrement du ''Journal de la campagne'' du candidat des FAL 2012, Abdoulaye Wade. Que s’est-il passé réellement ?
D’abord, je voudrais corriger qu’il n'y a pas de différend entre la présidente (du CNRA) et moi. C’est juste un groupe qui a pensé qu’il fallait interpréter le règlement d’une certaine manière et un autre qui avait un avis contraire. Cela s’inscrit dans notre procédure de travail ; à chaque fois qu’on est en face d’un élément, on échange très librement et très démocratiquement. En général, on arrive à un consensus. Cet élément dont il est question n’a pas échappé à la règle.
Quelle a été la position des uns et des autres ?
Je faisais partie de ceux qui pensaient que cette voix (de Mbaye Pekh), qui était juste là pour amplifier à haute voix, si je peux me répéter, la voix du candidat des FAL 2012, n’était pas de nature à changer quoi que ce soit dans le discours du candidat. Dans la mesure où il s’agit de dire à haute et intelligible voix ce que le candidat disait.
Qu'en pensaient les autres ?
Les autres pensaient qu’il ne devait pas y avoir une autre voix que celle du candidat dans le temps d’antenne. Nous, nous pensons que cela n'est valable que si cette voix ajoutait ou retranchait quelque chose, un commentaire ou quelque chose de ce genre. Tel n’est pas le cas.
Que disent les textes dans ce cas ?
D’abord, le Code électoral parle d’un traitement équilibré pour le service public de l’audiovisuel, un temps d’antenne égal. L’article 8 portant création du CNRA dit : ''Le CNRA arrête la durée et le temps d’antenne et les modalités de réalisation de l’émission''. Le CNRA a décidé, en vertu de ces deux articles, de mettre à la disposition de chaque candidat 7 minutes. Pour la jurisprudence, on a donné 5 minutes à chaque candidat au premier tour, 7 minutes pour le second tour. Et quelqu’un d’autre ne peut pas parler du candidat. Encore que là, les textes ne sont pas clairs parce que s’il est dit qu’il est mis à la disposition 7 minutes pour chaque candidat, il est libre pour les candidats d’utiliser les 7 minutes-là comme bon leur semble. Il peut mettre de la musique militante, parler durant 5 minutes et laisser les 2 minutes à son directeur de campagne ou quelqu'un de son directoire de campagne pour délivrer un message. Nous avons exclu ça par consensus.
Quelle est la différence ici entre ce que vous dites et la voix de Mbaye Pekh ?
Je ne voudrais pas citer de nom, mais le candidat des FAL 2012 a eu recours à une voix pour porter à haute et intelligible voix ce qu’il disait. Nous avons écouté les deux voix (celles de Wade et de Mbaye Pekh), c’était très clair. Ce que relayait la voix n’a dit rien de plus ou de moins que ce qu’a dit le candidat. Par conséquent, je pensais que l’élément pouvait être diffusé. Comme il y a souvent des différences d’interprétation, nous nous sommes rangés derrière cette perception d’exclure la voix qui relaie celle du candidat. L’élément a été diffusé et nous a engagé tous.
Pourquoi avez-vous alors démissionné de votre poste de porte-parole ?
J’étais le porte-parole du CNRA qui montait au créneau à chaque fois qu’il était nécessaire. Comme je ne voyais aucun article ou disposition qui confortait le fait qu’on puisse écarter l’amplification de la voix d’un candidat, même si la voix est humaine, je ne pouvais pas défendre cette thèse. Je ne peux pas être un porte-parole à la carte défendant ce que je crois et donnant ma langue au chat pour ce que je ne défendais pas. Alors j’ai renoncé à mon rôle de porte-parole ; c’est beaucoup plus simple.
Est-ce que votre démission n’est pas suspecte dès lors que vous aviez décidé de vous ranger sans contrainte derrière la position de la majorité ?
J’ai rallié la majorité parce que c’est démocratique. Il y a une différence entre accepter la décision de la majorité et pouvoir l’expliquer. Je l’ai acceptée, ça m’engage, mais j’ai dit devant les journalistes assez outillés que je ne pourrais pas valablement justifier cela.
Avez-vous été remplacé ?
Non pas à ma connaissance. Il faut savoir qu’il n’y a pas de décision qui nomme et qui remplace. Le CNRA n’est pas une administration, mais un collège.
Certains vous accusent d’être proche du ministre de l’Intérieur, Ousmane Ngom. Il se dit même que vous seriez apparentés. Qu’en est-il réellement ?
C’est absurde ! Lorsqu’un marabout (NLDR : Cheikh Béthio Thioune) s’en était pris à Macky Sall sur la RTS, j’étais monté au créneau pour dire que la RTS devait défendre la position de Macky. A l’époque, personne ne m’a dit que je suis parent de Macky. Pourquoi, cette fois-ci, on dit que je suis parent d’Ousmane Ngom. Je n’ai aucun lien de parenté avec Ousmane Ngom. Cela ne veut pas dire que je ne souhaite pas l’avoir. Si j’étais son parent, je l’aurais crié sur tous les toits parce qu’Ousmane Ngom est une personnalité dans ce pays. Moi, je suis un Ngom du Saloum, lui (Ousmane Ngom) vient de Saint-Louis. Je peux témoigner qu’au CNRA, il y a aucun membre d’obédience politique. Nous agissons sur la base des éléments que nous visionnons (…)
Qu’est-ce qui le prouve ? D'aucuns vous taxent même d’être un militant libéral...
C’est inexact ! Ceux qui disent cela veulent peut-être plaire à Macky. Ils ignorent que lors du vote controversé à Fatick de Macky Sall pendant les élections locales de 2002 (NDLR : Il avait voté à l’époque sans sa carte d’identité nationale), Ibrahima Wade, alors secrétaire général du gouvernement, m’avait demandé d’aider à arrêter la stigmatisation dont M. Sall faisait l’objet dans les médias. Quand nous avions réussi cette mission, M. Wade, qui était très satisfait, avait proposé de me faire rencontrer Macky Sall. Je lui ai répondu simplement que l’essentiel pour moi est qu’il soit satisfait, lui qui était mon supérieur hiérarchique. A l’époque, la Direction de la communication dépendait du secrétaire général de la Présidence. C’est la première fois que je fais cette confidence.
Comment aviez-vous réussi votre mission ?
Ça, je ne peux pas le dire parce que je suis encore dans la communication. Mais c’est des relations tissées depuis de très longues années avec des responsables de médias. Je n’ai pas dîné avec quelqu’un, il s’agit juste de relation réciproque. Ils connaissent mon intégrité, nous avons discuté, ils connaissent ma mission. S’ils sont mes amis, ils peuvent m’aider à remplir ma mission.
Le CNRA a servi des mises en demeure à plusieurs organes de presse. Pensez-vous que vous avez réussi votre mission ?
Le CNRA n’est pas un organe réglementaire comme le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) en France. Ce que nous pouvons, c’est interpréter. Dans le cadre des deux tours, nous avons écarté les propagandes déguisées et les appels au vote parce que nous ne faisons pas de différence entre les ndigël (consignes) qui viennent d’une autorité quelconque. Mais nous avions constaté qu’à un moment donné, un élément a incriminé un autre et il n’a pas été donné à ce candidat le droit de répondre, nous avons fait à la RTS une mise en demeure pour lui demander de permettre à ce candidat (Macky Sall) un droit de réponse. Mais le Dg (Babacar Diagne) a dit qu’il a reçu un mandataire de l’APR (Alliance pour la République) et qu’il a renoncé à son droit de réponse. Nous avons pris acte. Pour les autres chaînes de télé, je ne peux répondre parce que je n’étais plus porte-parole
Il y a aussi des journaux comme L’Observateur, EnQuête, Sud Quotidien, l’As qui avaient écopé d'amendes...
Ces journaux avaient fait une publicité interdite. Quand leurs responsables sont venus nous rencontrer et reconnaître qu’ils ont fauté au vu de la loi et de la réglementation et qu’ils seront plus vigilants la prochaine fois, et nous ont expliqué les difficultés qu’ils avaient pour couvrir la campagne, nous avons levé purement et simplement cette sanction.
Par rapport à ces sanctions, certains pensent qu’il y a deux poids deux mesures. Ils estiment que la RTS passe tout son temps à faire de la propagande déguisée sans être inquiétée.
La RTS ne fait aucune propagande déguisée pendant la campagne électorale. C’est une égalité mathématique entre les candidats. Ce qui s’est passé, c’est entre les deux tours.
Au regard de tout ce qui s’est passé, n’est-t-il pas urgent de réviser les textes qui régissent le fonctionnement du CNRA ?
Le Sénégalais est un éternel insatisfait. De tous les pays, celui qui a le plus révisé ses textes, c’est le Sénégal. Nous sommes allés dans beaucoup de pays, Bénin, Togo, France, etc., il n'y a pas de différence fondamentale entre nos textes. En 98, quand il s’est développé l’audiovisuel avec les radios, les textes ont été changés. C’est pourquoi on est passé du Haut conseil de la radio et de la télévision en 91 au Haut conseil de l’audiovisuel en 98. En 2006, avec la perspective de télévisons privées, les textes ont été changés pour donner le CNRA. Le CNRA ne légifère pas, c'est plutôt le Code électoral. S’il y a à changer, c’est sur le Code électoral. L’interdiction de la publicité, ça pénalise la presse, on fait un mauvais procès au CNRA. Vous me permettrez de dire ceci : à chaque fois qu’un journaliste est attaqué, c’est le CNRA ou le SYNPICS qui montent au créneau, mais les organes d’autorégulation ne sont sentis nulle part. C’est depuis le CRED au CORED. Les animateurs des instances savent qu’il n’est pas facile d’auto-réguler. Aucun organe d’autorégulation ne marche.