Publié le 5 Jun 2013 - 17:18
Libre Parole - SANTÉ

Déliquescence des districts et imbroglio hospitalier

 

Au moment où le système hospitalier végète dans une crise qui perdure, les districts sanitaires qui peinent à recevoir des Collectivités locales, les ressources de leurs fonds de dotation sont sinon laissés à eux-mêmes, tout au moins jetés en pâture aux Partenaires Techniques et Financiers ou autres organisations non gouvernementales. C'est dans ce contexte, dont la nouvelle équipe du Yoonu Yokkuté ne semble pas encore prendre la pleine mesure, que certains professionnels de la santé s’inquiètent de l’orientation prise depuis quelques années par le système de santé de notre pays, dans l’optique de mise en œuvre de la couverture maladie universelle et d’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), notamment par la réduction des mortalités maternelle, infanto-juvénile ou celle due aux affections courantes (paludisme, tuberculose, affections à VIH).

Affaiblissement des districts et ″boulimie″ hospitalière !

Premièrement, on assiste à une prolifération de districts «fictifs» tels que Coki ou Sakal dont les postes de santé sont «transformés» en centres de santé, occasionnant d’innombrables conflits entre techniciens de santé. Même si les arrière-pensées politiciennes sautent aux yeux, n’aurait-il pas été plus pertinent de construire d’abord le centre de santé de référence, avec le plateau technique requis pour la mise en œuvre d’un paquet complémentaire d’activités (hospitalisation, analyses de laboratoires…) venant en appoint à celui minimal des postes de santé ?

Deuxièmement, on assiste à une tendance à renforcer le parc hospitalier national au détriment du système de santé de district. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le décret présidentiel n°2010-774 du 15 juin 2010, érigeant les centres de santé de référence de dix districts sanitaires en établissement publics de santé de niveau I (EPS1). Les centres de santé suivants étaient concernés : Roi Baudoin de Guédiawaye, Youssou Mbargane de Rufisque, l’IHS ou ex-Polyclinique, Ndamatou de Touba ainsi que ceux de Tivaouane, Mbour, Linguère, Kaffrine, Richard-Toll et Sédhiou.

Si le prétexte de la satisfaction d’une revendication syndicale exigeant l’érection des centres de santé en hôpital de niveau 1 a été avancé, il faut bien comprendre qu’il s’agissait essentiellement pour la plupart des syndicalistes d’améliorer la gouvernance sanitaire, par l’adoption d’une comptabilité plus moderne ainsi que par une implication accrue des travailleurs et des usagers dans la gestion de la structure, notamment celle des comités de santé. En réalité, ce décret a été le fruit du lobbying intense d’une cohorte massive d’administrateurs des services de santé ayant des relais au niveau de certaines directions syndicales. Sinon comment expliquer, que le comité de pilotage de l’implantation des EPS1 mis en place par note de service n°007570/MSP/DES du 23 juillet 2010 n’ait jamais réellement fonctionné ?

Pourquoi les commissions mises sur pied (organisation du district, administration et législation, ressources humaines, infrastructures et équipements, finances) n’ont-elles jamais rendu leurs conclusions ?

C’est dans la plus grande précipitation que le décret présidentiel n°2011-261 du 21 février 2011 portant nomination des directeurs d’hôpitaux sera publié après le limogeage du Directeur des Etablissements Publics de Santé d’alors, qui s’était beaucoup investi pour que des mesures soient prises pour accompagner le décret. Il va de soi que, sans la passivité des médecins de district et des syndicats, tout cela n’aurait pas pu se faire, du moins pas de cette manière. Au moment où le ″lobby hospitalier″, bien positionné dans le nouvel attelage ministériel et ayant l’avantage de la longévité à des postes stratégiques, s’apprête à exiger que de nouveaux centres de santé parmi les plus performants soient érigés en EPS1, il importe de marquer un temps d’arrêt et de procéder à une évaluation de la première génération d’EPS1.

Érection des centres de santé en EPS1 : bilan d’étape

Pendant plus de deux ans, les premiers EPS1 ont dû vivoter sans budget propre ni conseil d’administration réellement fonctionnel. Dans la plupart des districts concernés par ce décret, d’innombrables difficultés sont apparues, surtout dans ceux ne disposant pas d’un centre de santé secondaire, pour y transférer l’activité dite de santé publique.

L’exemple le plus emblématique est constitué par le district de Guédiawaye, site reconnu pour la formation et la recherche médicales, qui faisait la fierté des usagers, des professionnels et du monde universitaire, autant par son accessibilité et sa capacité d’accueil que sa contribution émérite à la lutte contre la mortalité maternelle et celle contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH. Ne disposant d’aucun autre centre de santé secondaire, les populations de Guédiawaye ont été les premières à revendiquer la création d’une nouvelle structure de référence en lieu et en place de celle qui venait d’être érigée en EPS1.

A l’occasion de la fête du 1er mai 2013, les travailleurs de l’hôpital Youssou Mbargane Diop de Rufisque ont attiré l’attention de l’opinion sur les difficultés énormes rencontrées par leur nouvel EPS1, qui malgré son changement de statut, ne disposait toujours pas de moyens conséquents, notamment en termes de ressources humaines et d’équipements pour permettre à la structure de jouer pleinement son rôle.

Dans la deuxième semaine du mois de Mai, les OCB du district de Dakar-Sud ont saisi le Préfet du Département de Dakar et informé l’opinion nationale de la situation de déliquescence  de leur district, en proie à de graves difficultés suite à l’érection du centre de santé de l’IHS en EPS1. Des problèmes similaires sont rapportés à Kaffrine, Sédhiou, etc.
Dans la plupart de ces nouveaux EPS, en partie à cause de l’absence de budgets, on a noté une réduction de l’accessibilité financière, dans le même temps où on observait une détérioration de la qualité des soins. Occupés à mettre en place l’appareil administratif de ces embryons d’hôpitaux, auxquels le Ministère n’avait pas encore octroyé de subventions, les nouveaux directeurs avaient très peu de temps et de moyens pour se préoccuper d’enjeux sanitaires.

C’est ainsi que les gestionnaires de programmes rattachés au Ministère de la Santé seront les premiers à se rendre compte des incidences négatives de la désarticulation du système de santé des districts concernés sur la coordination des activités et même sur les indicateurs (flambée de tuberculose à Guédiawaye mise en évidence lors d’une réunion de l’ONG PLAN, chute des performances de l’hôpital Roi de Baudouin en matière de lutte contre la mortalité maternelle, fermeture de centre de dépistage volontaire et anonyme au district sud…etc.). Aussi est-il légitime de remettre sur la table, la notion d’hôpital de district, quand on sait qu’un arrêté de juillet 2007 faisait déjà de tous les centres de santé des hôpitaux de district.

Hôpital de district ou EPS de niveau 1 ?

Cet «hôpital de district» est considéré comme un établissement faisant partie d’un système complet de soins, le district sanitaire. Les éléments constitutifs du district sont les suivants : une zone géographique déterminée, une population précise, des structures de santé et des structures de la participation communautaire : comité de santé, comité de gestion, réseaux communautaires (organisations communautaires de base dont ASC, GPF, associations de quartiers/ villages, relais communautaires, badjenou gox).

Le district de santé reste et demeure l’unité géographique opérationnelle pour l’offre des services de santé de base aux populations. C’est le niveau opérationnel, le niveau de mise en œuvre de la politique sanitaire de notre pays, lieu de prédilection pour la mesure des indicateurs sanitaires rapportés à une population-cible (les deux autres niveaux, central et intermédiaire, n’apportant qu’un appui à la viabilisation du district de santé).

Les soins de santé primaires contiennent huit éléments : éducation sanitaire, approvisionnement en denrées alimentaires, approvisionnement en eau potable et assainissement, soins de santé maternelle et infantile, y compris la planification familiale, vaccinations, maladies endémiques, autres maladies et lésions diverses et approvisionnement en médicaments essentiels. La stratégie des soins de santé primaires a été mise en place lors de la conférence d’Alma Ata en 1978 pour la protection et la promotion de la santé des populations. Elle prend la famille comme noyau de base et met l’accent sur les éléments suivants : l’approche communautaire, l’équité, droit pour chaque citoyen de participer à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés, la multisectorialité, une prédominance du préventif sur le curatif, dans le cadre de soins de santé de proximité. Malgré les difficultés de mise en pratique de cette stratégie, liée au contexte socioéconomique, on n’a pas encore pu leur trouver d'ersatz valable pour fournir des soins de santé de base à la population rurale, mais aussi aux couches défavorisées en zone urbaine.

La responsabilité des pouvoirs publics

Le système de santé de district considéré avec méfiance par les collectivités locales, qui lui préfèrent les centres et postes de santé, subit les coups de boutoir du lobby hospitalier très puissant au niveau du Ministère de la Santé et de l’Action Sociale. En effet cette volonté de renforcement du parc hospitalier national au détriment des centres de santé de référence des districts se déroule dans un contexte de crise du système hospitalier,  qui a fait l’objet d’une grande concertation nationale en octobre 2006, présidée par Mr Macky Sall, à l’époque, Premier ministre. Depuis lors, aucune mesure de redressement significative n’a été prise.

Personne ne remet en cause l’utilité du système hospitalier à cause de la part croissante occupée par les affections non transmissibles et autres maladies à soins coûteux dans la morbidité et la mortalité de notre pays.

Il importe, cependant, d’aller au-delà du tout curatif, qui ne se justifie dans aucune structure sanitaire, quel que puisse être le niveau de son plateau technique. Et cela, d’autant que la prévention des affections chroniques non transmissibles et autres maladies à soins coûteux est autrement plus complexe (interpellant des processus cognitifs en vue d’un changement de comportement) que la prophylaxie des maladies transmissibles aiguës, qui subit davantage  la contrainte des facteurs socio-économiques (revenus, niveau de scolarité, disponibilité alimentaire, eau potable, habitat et assainissement) si difficiles à juguler !

C’est pourquoi, au-delà des tiraillements entre hospitaliers et tenants de la santé publique, il s’agit de trouver un juste équilibre entre offres de soins curatifs, préventifs et promotionnels à tous les niveaux. C’est à ce prix que l’atteinte des OMD pourra devenir une réalité dans un avenir pas trop lointain !

Cela est particulièrement vrai pour les EPS1 ou hôpitaux de district censés être plus proches des populations, pour qu’ils aillent au-delà de leur mission très restrictive, telle qu’elle est encore perçue par une Direction des Établissements de Santé, empêtrée dans l’imbroglio hospitalier !

 

Dr Mohamed Lamine LY
Médina-Rasmission

http://www.nioxor.com

 

 

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