Publié le 19 Aug 2013 - 22:09
LIBRE PAROLE

Inondations : Macky Sall sauvé des eaux ?

« Je n’ai pas été élu pour faire des routes ! » Voilà ce que le Président Macky Sall avait déclaré récemment à Ouagadougou. Ce qui ne l’a pas empêché, quelques jours plus tard, de s’auto-glorifier d’inaugurer en grande pompe l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio initiée et mise en œuvre par son prédécesseur, le Président Abdoulaye Wade.

D’ailleurs, tout laisse croire que le Président Macky Sall va, dans les mois à venir, devoir encore sacrifier au rituel d’organiser le même cérémonial à l’occasion des inaugurations prochaines de l’hôpital pédiatrique de Diamniadio ou de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass.

Ce qui va ajouter à sa hantise d’étrenner « SES » propres infrastructures car – c’est un secret de Polichinelle – le Président Macky Sall veut, coûte que coûte et vaille que vaille, réaliser quelque chose de très consistant et qui sera gravé, pour longtemps, dans la mémoire collective des Sénégalais, comme l’a fait son prédécesseur dont l’œuvre en matière d’édification d’infrastructures, est partie pour durer « pendant 50 ans au moins ».

Des réalisations qui sautent aux yeux, (« Weddi gis bokku ci »), disent fièrement les Libéraux.

Ce faisant, le Président Macky Sall fait une course contre la montre, au regard de l’écoulement inexorable de son mandat dont il regrette amèrement d’en avoir réduit la durée à 5 si petites années.

Peu regardant sur la manière de procéder, le Président Macky Sall, s’érige en champion de la signature des décrets d’avance, synonyme de manque de vision et de planification rigoureuse, et met une pression terrible sur les entrepreneurs afin qu’ils accélèrent la cadence des travaux.

Pire, le Chef de l’Etat ne se gêne pas de violer les dispositions réglementaires du Code des marchés publics dont les procédures supposées longues et obsolètes retarderaient l’exécution des programmes du gouvernement.

Foulant au pied les principes de « gouvernance sobre et vertueuse » chantés a cor et a cri sur tous les toits, le Président Macky Sall autorise, de fait, et sans coup férir, la conclusion de marchés de gré à gré tous azimuts par ses collaborateurs. Pourvu que les choses bougent. La fin justifie les moyens.

C’est dans ce contexte que les inondations sont revenues, encore une fois, pour semer la désolation chez certaines populations, mais tout en offrant au Président Macky Sall une belle occasion de (dé)montrer aux Sénégalais que lui aussi, il a initié des chantiers qui valent leur pesant d’or.

 

«Gouvernance sobre et vertueuse»

Du côté du Pouvoir, ils disent avoir injecté pas moins de 66 milliards dans la gestion des inondations. Sauf qu’il y a des retards dans l’exécution des travaux de curage des égouts et des caniveaux, mais aussi beaucoup de lenteurs dans la réalisation des canalisations et des stations de pompage des eaux pluviales. Résultat : dès les premières pluies, Dakar et ses environs ont renoué avec la furie des eaux.

Après un moment de cafouillage, comme c’est toujours le cas, le gouvernement décide de se grouiller pour faire du « médecin après la mort ».

Une visite des installations en cours d’ouvrage est programmée, malgré les risques encourus, mais avec comme ligne de mire des retombées politiques positives non négligeables.

Comme d’habitude, à chaque fois que le Chef de l’Etat se déplace, on constate une forte mobilisation de « militants Ndiaga Ndiaye » transportés, nourris, habillés et financièrement intéressés par les responsables politiques locaux des zones visitées, dans le but de se livrer à une guerre fratricide des tendances rivales et à des luttes de positionnement, oubliant du coup, l’objet même de la visite.

A l’image des vautours qui se précipitent sur la charogne dont ils se nourrissent, les politiciens en mal de popularité et de crédibilité exploitent le malheur d’autrui pour leurs intérêts et profits personnels.

Ce cynisme, les populations sinistrées des inondations l’ont toujours appris à leurs dépens, et ce n’est pas la présente saison des pluies et son lot de sans-abris qui va faire exception à la règle.

Passent encore si les politiciens ne daignent pas compatir sincèrement aux souffrances des populations inondées, mais qu’ils utilisent et exploitent le sort de ces derniers à des fins politiques, illustre à quel point l’élévation et l’adoption de contre-valeurs prend de plus en plus des proportions inquiétantes aujourd’hui dans notre pays.

Ce folklore indécent, pas plus que tout le ramdam qui l’accompagne, ne sied avec le contexte si particulier. Car il est question ici de la mise en œuvre d’actions de l’Etat du Sénégal qui doit apporter des réponses viables et durables à des populations en détresse.

Des populations qui sont désormais habituées à vivre avec les eaux saumâtres, fétides et nauséabondes des inondations et qui guettent tous les jours, avec une angoisse terrible, les formations nuageuses annonciatrices de pluies torrentielles charriant morts et larmes.

Chassées de leurs domiciles par les eaux de pluie, les populations sinistrées ont, les vacances scolaires aidant, remplacé les élèves, au pied levé, en allant squatter les salles de classe des écoles transformées, pour la circonstance, en camps de concentration de la misère, dans une promiscuité innommable.

 

«Opération politicienne»

Pendant ce temps, le ministre en charge de inondations, Khadim Diop, puissance 3, était occupé ailleurs, car ayant d’autres chats à fouetter. Suivez mon regard…     

Maintenant qu’on fasse tout ce cinéma autour de la visite du collecteur de drainage des eaux pluviales sis au CICES et d’autres ouvrages à Grand-Yoff et à Dalifort, pour finir par les logements des sinistrés à Tivaouane-Peulh, ne peut émouvoir personne.

Les gens ne sont pas dupes. Derrière cette fausse empathie envers les sinistrés, se cache une funeste opération politicienne dans le dessein de reprendre l’initiative et du poil de la bête dans un contexte où les Sénégalais ont commencé à prendre en grippe leur Président, seize mois seulement après l’avoir pourtant si bien élu.

Pour ce qui devait tout juste être une visite du Chef de l’Etat pour constater le niveau d’avancement de travaux d’endiguement des eaux pluviales ainsi que la construction de logements pour les sinistrés, le déploiement impressionnant d’une escouade des forces de l’ordre armées jusqu’aux dents, fait vraiment désordre.

Le cortège présidentiel qui laissait pantois et éberlués tous les Sénégalais qu’il croisait sur son parcours, avait des allures d’un contingent armé qui montait au front pour livrer combat.

Déjà que le Président a soigneusement évité de fouler le sol (de patauger dans les eaux) de quartiers « chauds » comme Guédiawaye, Pikine, Médina Gounass, Djeddah Thiaroye Kaw, Baghdad, Yeumbeul, etc. où, déclaré persona non grata, les populations arborant des foulards et des brassards rouges, mais surtout fous de rage, l’attendaient de pied ferme, avec…une pluie de pierres.

Mais, que Macky Sall maintienne tout de même ce dispositif composé de véhicules blindés dont le fameux « Dragon » qui « crache » de l’eau chaude, même les éléments encagoulés de la BIP et du GIGN étaient de sortie, alors que les zones visitées étaient « sans danger », renseigne sur les dérives et délires sécuritaires d’un régime décidément impopulaire.

Sur le site de recasement des sinistrés de Tivaouane-Peulh, baptisé « Cité Tawfeekh-Yaakaar », la mise en scène, en trois temps, était visible comme le nez sur le visage.

D’abord, on constate que les 200 maisons achevées sur les 2200 qui étaient pourtant annoncées, ont été peintes aux couleurs de l’APR (marron et beige), comme l’avait d’ailleurs fait le Président Wade avec la réception des autobus de « Dakar Dem Dikk », une société née des cendres de la SOTRAC, et qui étaient ostensiblement peints en jaune et bleu, couleurs du PDS.

Qu’à cela ne tienne, les usagers étaient surtout soulagés de voir des autobus circuler de nouveau dans les artères de la capitale car, au moment de quitter le pouvoir, le Parti Socialiste avait laissé aux Dakarois un secteur de transport en commun en lambeaux après avoir mis à genoux la SOTRAC.

Ensuite, il y a eu la séance de remise des clefs de quelques maisons à des bénéficiaires triés sur le volet et invités à se confondre en remerciements au Président Macky Sall, sous l’œil de la caméra et avec le savant montage de « La télé des grands moments ».

Enfin, il y a eu les discours, dont celui du Chef de l’Etat, les uns plus empreints de vanité que les autres, et où la mauvaise foi le disputait à l’hypocrisie, mais avec une autre promesse, celle de livrer 2000 logements d’ici à 5 mois. On verra bien!

De la communication politique, me direz-vous. C’est de bonne guerre.

Le Président Macky Sall en a cruellement besoin afin de redorer son blason et de polir son image écornée et ternie par les récents scandales à répétitions dont celui sur le trafic de drogue dans la Police et dans la Gendarmerie, les augmentations de salaires « mackyllés » en indemnités de logement et le « soukeurou Koor » à l’Assemblée nationale, les esclandres de l’administration provisoire des sociétés Dakar Port World et AHS (Aviation Handling Service), son aveu d’impuissance fait en terre marocaine sur l’absence de solutions au problème de l’emploi des jeunes, les marchés de gré à gré dont son « goro », l’envahissant Mansour Faye, alias « le Beau-frère national » est le champion toutes catégories, etc.

Pour ne rien arranger aux choses, la crise au sein de la coalition « Macky 2012 » tombe au plus mauvais moment pour un Macky Sall qui n’avait pas besoin de ça.

Les inondations, c’est connu, peuvent être une arme politique. L’on se rappelle, en 2012, au lendemain d’un retour précipité de vacances en Afrique du Sud où il faisait la farniente, pendant que le Sénégal était pratiquement sous les eaux, le Président Macky Sall avait, sous la pression populaire et pour faire bonne mesure, à son corps défendant, à contre-cœur, la mort dans l’âme, contre son gré et sans conviction ni gaieté de cœur, décidé d’engloutir le Sénat dans les eaux des inondations.

 

«Une pierre deux coups»

Par cette décision on ne peut plus opportuniste, le Chef de l’Etat avait fait d’une pierre deux coups :

1° Calmer les populations sénégalaises furieuses en faisant semblant de les écouter en affectant à la lutte contre les inondations le budget initialement destiné au Sénat ;

2° Différer le différend avec les « Assisards » qui avaient fait de la dissolution du Sénat un cheval de bataille de tout premier ordre.

Toujours pour les amnésiques (et non… « amnésiaques ». Coucou, honorable député Awa Guèye !), on se rappelle aussi qu’il y a un an seulement que le Groupe de presse D-Media était venu au secours d’un Etat trop attentiste, tatillon et irresponsable devant le déchainement des éléments.

A travers un téléthon historique, on a eu droit à un formidable élan de solidarité agissante qui a permis d’amasser plus d’un milliard de nos pauvres francs ainsi que des vivres et de la logistique d’aide aux sinistrés.

Seulement, on n’a pas encore souvenance, à ce jour, du moindre bilan détaillé et exhaustif de cette opération intégrée au Plan ORSEC piloté à l’époque par Mbaye Ndiaye, ministre de l’Intérieur au moment des faits. Or, il y a une exigence de transparence dans l’utilisation finale de cette Contribution ayant revêtu le cachet d’Effort national contre les inondations de 2012.

Aujourd’hui encore, il est difficile de dire où on peut noter, du côté du gouvernement, une volonté réelle de se pencher sérieusement sur le problème des inondations pour l’éradiquer dans un délai raisonnable.

Cette politique de « par à coups », bien connue des « Mackyavel » de la politique, consiste à entretenir une situation « politiquement rentable » car maintenant des populations dans des conditions de dépendance continue, pour ensuite venir chaque fois à leur secours, avec un fort tapage médiatique, pour en tirer les dividendes politiques.

A l’instar du SIDA, par exemple, une maladie qui ferait vivre plus de personnes qu’elle n’en tue, les inondations constituent elles également ou une caisse de résonnance ou un exutoire pour les politiciens pêcheurs en eaux troubles qui n’ont aucun scrupule pour politiser ce fléau. Chaque camp politique y trouve son compte.

Si du côté de l’Opposition, la moindre faille à ce niveau est exploitée comme une aubaine pour canarder le Pouvoir, ce dernier, pour sa part, n’en mène pas large car investissant dans les actions d’éclat et parcellaires mais sans lendemain.

L’un dans l’autre, ce sont toujours les sinistrés, éternels dindons de la farce, qui vont trinquer.

Cette tragi-comédie, entre politiciens, qui n’amuse personne et qui n’a que trop duré, continuera-t-elle à prospérer ?

Le Président Macky Sall qui semble s’en être tiré à bon compte vendredi dernier, sera-t-il pour autant sauvé des eaux par son programme de lutte contre les inondations ?

Rien n’est moins sûr.

 

Pape SAMB

papeasamb@hotmail.com

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