Un an de perdu, mais la fin d'une aventure (très) ambiguë
Personne n'a jamais compris pourquoi et comment le président de la République est parvenu à mettre à la Primature un homme aussi peu préoccupé par le sort social de plusieurs millions de sénégalais abattus par le régime précédent. On espère que l'histoire éclaircisse un jour ce rayon d'histoire qui aura fait perdre un an à notre pays.
A dire vrai, la nomination de Abdoul Mbaye le 2 avril 2012 avait surpris le Sénégal tout entier, le monde politique en particulier, et les observateurs avertis. En sortant de sa poche un banquier totalement inconnu du grand public pour diriger le premier gouvernement post-Wade, le Président Macky Sall semblait peut-être (mais peut-être seulement) sûr de coup et des résultats escomptés. Mais il n'a jamais répondu (le pouvait-il ?) aux interrogations nombreuses qui ont entouré une nomination pour le moins mystérieuse. Eu égard à la situation extrêmement difficile dont il avait hérité du régime précédent, aux défis gigantesques à relever dans un pays déstructuré à maints égards, comment le chef de l'Etat en était-il venu à choisir un homme à l'expérience politique nulle, au parcours si éloigné des préoccupations sociales fondamentales des Sénégalais ? Nous étions là, très tôt, trop tôt même, face à la première grande contradiction stratégique de Macky Sall avec ses ambitions déclarées de redressement national. Le mauvais casting était évident à beaucoup, mais c'était le choix de l'élu des sénégalais.
A plusieurs reprises, et face aux critiques de plus en plus fortes contre un gouvernement qui a toujours eu du mal à prouver qu'il avait un vrai cap, contre un Premier ministre dont les casseroles étaient sur la place publique, le président de la République a fait part de sa satisfaction à l'égard de Abdoul Mbaye, du travail qu'il accomplissait, de son désintéressement... Aujourd'hui, on doit bien se demander ce qui a changé pour que les vérités d'hier n'en soient plus.
Dépositaire de la volonté présidentielle, l'ex-PM n'a donné à l'action gouvernementale ni cohérence, ni rigueur, ni visibilité, encore moins un brin d'imagination devant l'ampleur des corrections et réformes à entreprendre, devant surtout la détresse sociale vécue par de larges couches de la population. Son dada à la Primature n'a jamais varié du reste, il s'appelait rigueur ! C'était un père-la-rigueur qui pensait que les méthodes de gestion bancaire dont pouvait user un top management réduit à quelques chefs étaient facilement transposables au sommet d'un Etat. Dans ce registre, une nature conflictogène l'a mis en brouille avec un large panel d'autorités dans l'Etat et dans la République réfractaires à son dirigisme et sa vision carrée des réalités du pays. Une propension à tout administrer contre laquelle s'était du reste rebellé son successeur désigné...Aminata Touré. Ces deux là ne s'appréciaient guère, pour dire le moins.
Organisateur invétéré de «conseils interministériels» au pas de charge, Abdoul Mbaye a donné l'impression de vouloir s'occuper à tout prix ! Jusqu'aux championnats navétanes, jusqu'au tirage au sort de la Coupe de la ligue de football ! La clameur sociale globale contre la cherté de la vie n'a jamais semblé le déranger, il restait droit dans ses bottes.
En occupant les fonctions de Premier ministre de la République, cet homme-là n'avait absolument rien à perdre. S'étant déjà fait dans le privé, la Primature ne semblait représenter pour lui qu'un violon d'Ingres avec lequel il fallait ruser pour poser les jalons d'une carrière politique tardive qui ne se ferait qu'au sommet de l'Etat. Macky Sall ne lui en a pas donné le temps. Et c'est mieux ainsi. Le constat a été fait : une bonne frange du gouvernement sortant brillait par son incompétence. Abdoul Mbaye en était le lien ombilical.