Publié le 2 Sep 2013 - 16:10
LIBRE PAROLE - MALAISE SOCIAL AU SÉNÉGAL

Si vous croisez le président de la République ou son nouveau Premier ministre, dites-leur…

Je reviens de « vacances »  du Sénégal marqué par un ressenti d’un malaise social presque généralisé dans toutes les sphères de la société. De Parents et amis vivant à Guédiawaye, dans la banlieue de Dakar ou à l’intérieur du pays à Touba notamment, de collègues du secteur privé ou de la haute administration, de camarades de promotion encore à la recherche de stabilité professionnelle et auprès du vendeur de café Touba ou de carte de recharge crédit, hasardeusement croisés dans les rues de Dakar, j’ai pu mesurer la réalité et tout le sens du concept «Deuk bi dafa Macky». La subjective perception que j’ai eu du discours particulièrement pessimiste de ces Sénégalais de différentes catégories sociales concernant la situation du pays n’a malheureusement pas manqué d’évoquer auprès de moi le souvenir du climat social de grande déception à la veille des élections de 2012.

Au delà de toute orientation politique ou critique politicienne et avec toute l’objectivité républicaine qui sied quand il s’agit de se préoccuper de l’intérêt supérieur du Sénégal, je voudrais, en toute humilité, vous prier de bien vouloir dire au Président de la République et à son prochain Premier Ministre que les Sénégalais doutent…

«Deuk bi dafa Macky...»

En toute bonne foi et avec un esprit citoyen, certainement le même que celui qui anime certains de mes amis de l’APR, dites au Président Macky Sall de prendre plus de hauteur pour visualiser le reflet de l’image du Sénégal et en apprécier la réalité. Au besoin, rappelez-lui donc que pendant de longues années, une dichotomie a semblé exister entre un Sénégal tel que perçu par le Président Abdoulaye Wade et ses souteneurs du Cap 21 et souvent peint avec éloquence par le Professeur Iba Der Thiam et, d’autre part, un Sénégal aux antipodes du premier, de mon point de vue,  plus proche de la réalité et du vécu quotidien des compatriotes.

Rappelez au président Macky Sall qu’il est de son intérêt d’éviter de tomber dans le piège du mirage économique et social tel que peint par ses souteneurs. Lorsqu’un miroir subit des altercations, le reflet qui en sort est toujours biaisé et malheureusement le pouvoir corrompt absolument et l’objectivité de beaucoup d’hommes politiques souffre du souci de préservation des intérêts particuliers. Dites le donc au Président.

Je n’ai certainement pas les mêmes lunettes que son Excellence Monsieur le Président de la République, mais le reflet que j’ai personnellement de l’image du Sénégal me communique trois messages forts qu’il gagnerait à décoder et comprendre pour en anticiper les réponses appropriées.

 

 «Le peuple attend plus d'audace...»

Rendez donc service au Sénégal et au Président de la République et dites-lui que le malaise social est réel. De toute évidence le Président de la République est de loin le plus informé des  Sénégalais. Donc cette réalité ne lui est pas parfaitement inconnue. Des bulletins des renseignements généraux lui ont sûrement déjà fait un dessin sur le pessimisme et, dans une moindre mesure, la déception de beaucoup de Sénégalais.  Certains, plus sévères, comme le brillant journaliste Adama Gaye, évoquent même les doutes  de beaucoup de compatriotes concernant sa capacité à incarner le leadership qui sied au contexte et aux enjeux de l’heure… Dites au Président que dans les zones de turbulence comme en eaux troubles ou en période de doute, la présence d’un capitaine à bord doit être fortement et en permanence ressentie par l’équipage. Le leadership est une qualité humaine audacieuse qui entraîne autant qu’elle rassure. Et vous rendrez un grand service au Président de la République en lui disant que le peuple attend encore de l’homme plus d’audace et d’inspiration pour maintenir la flamme de l’espoir flamboyant.

Dites au Président que sa traque des biens supposés mal acquis ressemble de plus en plus à une justice des vainqueurs avec une distorsion des principes d’équité et d’égalité. Personnellement, depuis que la promesse électorale de faire libérer Barthélémy Dias a été respectée, j’ai compris que l’indépendance de la justice tant chantée devra encore attendre. Mais dites au Président ou plutôt rappelez-lui que le peuple exige la justice concernant la traque des biens mal acquis mais il tient tout autant au respect des principes d’égalité et de justice qui, de toute évidence, sont en train d’être foulés au pied. Un inculpé dans l’affaire ARTP a presque été libéré et autorisé à sortir du territoire le temps pour lui de réunir sa caution pendant que d’autres sont empêchés de sortir du territoire depuis des mois. D’autres négocient sans qu’une autorité judiciaire ne puisse donner les fondements légaux concernant la légalité d’une telle procédure de transaction ; des sommes sont pompeusement annoncées recouvrées sans qu’aucun détail ne soit donné sur les montants en cause à l’origine. Tahibou Ndiaye est accusé notamment d’accaparement illégal de terrains puis libéré après « recouvrement de moins de 50% des sommes en cause » alors que son patron de l’époque, probablement aussi riche en patrimoine foncier au moins, est encore en poste. Je me garde de citer le Président qui lui-même a récemment admis avoir été enrichi par celui que tous les accusés pointent du doigt et qui n’a pas encore été appelé, même à titre de témoin…. Coumba Am Ndeye Coumba amoul Ndeye. Comme les hommes aiment la justice quand ils jugent les crimes d'autrefois…Oui Professeur Ndiaga Loum, drôle de justice !!!

Ne manquez pas non plus d’inviter le Président de la République et son futur Premier Ministre à rappeler à leur prochain Ministre des Finances qu’il est aussi chargé de l’Economie du pays. Un Chef de famille pauvre et endetté qui se glorifie, à la fin de chaque mois, de limiter ses dépenses à ses revenus nets risque, au bout d’une décennie, de se retrouver au mieux, dans la même situation de pauvreté. L’ambition d’une émergence requiert que le Ministre de l’Economie et des Finances comprenne qu’il n’est pas Ministre de la Comptabilité publique comme Monsieur Kane et les autres avant lui ont semblé l’être. L’héritage libéral doit cesser d’être une excuse. “Excuses are tools of the incompetent used to build bridges to nowhere and monuments of nothingness.”

 

«La juste mesure des enjeux»

 

Si le Président de la République et son futur Ministre des Finances ne sont pas convaincus, rappelez-leur que le tissu économique ivoirien qui a souffert d’une décennie de guerre était encore plus détruit au lendemain de l’accession au Pouvoir de ADO que celui du Sénégal en 2012. Aujourd’hui, la Cote d’Ivoire est dans une dynamique de performance enviable avec des taux de croissance de 9,8 % en 2012 et 8%  attendu pour 2013 contre 3,7% et 4,3 % pour le Sénégal sur la même période (FMI 2013). Faites comprendre au Président que l’Economie du pays a besoin d’une nouvelle impulsion forte. Un ami fonctionnaire a qui j’ai fait remarquer que le Gouvernement (sortant) avait un problème d’action m’a corrigé en me disant : «Nous avons plutôt un problème de capacité». Si vous en avez l’occasion, rappelez au Président de la République les propos de Leonardo de Vinci : «Le fer se rouille, faute de s'en servir, l'eau stagnante perd de sa pureté et se glace par le froid. De même, l'inaction sape la vigueur de l'esprit…». J’espère surtout que son nouveau Premier Ministre comprendra la portée de tels propos.

L'espoir est le pilier du monde et les Sénégalais en manquent aujourd’hui. L’action du Gouvernement sortant souffrait de la faiblesse des principes sur lesquels elle est sensée s’adosser, d’une orientation stratégique claire et surtout d’un leadership fort pour inspirer et impulser. Dites donc au Président Macky Sall que s’il ne prend pas la juste mesure des enjeux actuels et du pouls du malaise social, pour impulser, à travers son prochain Gouvernement, un nouveau leadership,   réinscrire les principes d’efficacité, de justice et d’égalité des citoyens au cœur de son action, alors, au crépuscule de sa gestion, comme pour son prédécesseur, il se verra dire : «Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n'est pas vain ; c'est là qu'ils doivent être. À présent, donnez-leurs des fondations.» Il aura raté l’essentiel.

 

Un Citoyen Sénégalais

uncitoyensenegalais@gmail.com

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