Le Professeur Alassane Ndaw est mort, c'est nul...
Il est né un jour de 14 octobre 1922 à Saint-Louis. Il est décédé mardi 8 octobre 2013. A 91 ans, sur la pointe des pieds, voilà le Professeur Alassane Ndao qui nous fausse compagnie, sans que la pénible nouvelle ne soit amplifiée à la hauteur de la grandeur de l'homme. Une mort bien anonyme, dans un pays où la mémoire a fini de déménager et le disque dur national totalement hors-circuit...
Alassane Ndaw, Professeur honoraire des universités, n'est pourtant pas n'importe qui. Il est de la même génération que le Professeur Assane Seck, un ancien de William Ponty, mais surtout il fut un philosophe créateur de sens, comme on n'en trouve très peu au Sénégal. C'est lui, l'auteur de la Pensée africaine, une œuvre que très peu de personnes ont lue, mais qui a bien valu son pesant d'or, dans le contexte d'après indépendance des débats héroïques sur l'existence ou non d'une philosophie en Afrique.
La ligne de fracture entre europhilosophes et ethnophilosophes était béante et le débat très passionné. On baigne à cette époque dans la même ambiance d'une Egypte nègre comme Cheikh Anta Diop l'a théorisée, alors que Hegel n'avait pas fini de faire des ravages avec une Afrique enveloppée ''dans la nuit noire de l'ignorance'' et une littérature abondamment raciste sur la culture africaine. Le Professeur Ndaw fait partie de ces Africains sans complexe, qui se sont engouffrés dans la jungle du savoir... en quête de sens et d'une dignité, si l'on peut dire...ontologique. Que le Professeur Ndaw ait raison ou tort, que ce débat soit dépassé et que les jeunesses africaines soient aujourd'hui déstructurées à la racine, n'enlève rien au mérite de cet homme, qui est de dire son mot, très fortement, pour qu'on puisse au moins en retenir un écho.
Alassane Ndaw était une bibliothèque, qui n'avait pas seulement la galanterie de partager son savoir, mais aussi la générosité de prêter ses livres à ses étudiants, avec tous les risques que cela implique... Il y a quelques mois à l'Université de Dakar, un hommage mérité lui a été rendu. On sentait bien que la vie était en train de déserter cet homme d'une grande élégance d'esprit et de corps. Il est simplement dommage qu'on n'ait pas senti le pouls de l'Université battre après sa disparition.
Le ministre de l'Enseignement supérieur, le recteur de l'Ucad et les autorités de l'Université auraient au moins pu organiser, avec force publicité et protocole, l'ultime cérémonial. Mais c'est sans doute là le symptôme d'une maladie qui n'a pas seulement fini de métastaser le Sénégal. On enterre nos morts avec la même indifférence du mégot qu'on écrase, tout en souhaitant des hommages pour soi, le ''jour j''. Quel pays !