Marché Sandaga entre solidité et état de ruine
Le jeudi 03 octobre dernier, à l’issue d’un conseil des Ministres, le Chef de l’État annonçait des «travaux de réhabilitation et de sécurisation appropriés» sur le marché de Sandaga. Les acteurs, quant à eux, sont parfaitement favorables à cette mesure, mais à la condition sine qua non d’être traités avec respect.
Dakar, le marché Sandaga. Ancienne bâtisse initialement destinée au stockage d’armement, ce «fort» de pierre ocre se dresse, pareil à une montagne, à l’angle des avenues Lamine Guèye et Georges Pompidou. Vieux de 73 ans, il reste imposant, voire intimidant, malgré les balafres, fruit des aléas du temps, qui le lacèrent.
En effet (et c’est particulièrement vrai en cette période de pluies), l’état de délabrement du site principal est une évidence qui ne peut être niée par personne. Crevasses, fuites, fêlures des murs et effondrements sont monnaie courante, en ce qui concerne le marché et, avec eux, leurs lots de désagréments habituels.
Plusieurs passages sur les huit conduisant à l’un ou l’autre des trois niveaux de ce marché (la terrasse, réceptacle d’un Daara, la cave où se vend le poissons et le marché du 1er, où l’on achète légumes et viande) sont quasi impraticables, si ce n’est carrément condamné.
Saletés, insectes, rats, chats et autres vermines semblent infester le moindre centimètre carré de tout ce qui peut se concevoir comme un angle, un coin où, simplement, un espace non arpenté par les badauds... et pourtant ! Ces murs, dont la couleur originelle a longtemps disparu sous les couches successives de crasse (ou pire), tiennent bon.
Mieux encore, du fait de l’inscription du marché au domaine du patrimoine classé, ces derniers semblent être debout pour encore longtemps.
Un comité de réflexion pour diligenter les rénovations
Si une démolition n’est ainsi pas à l’ordre du jour, cela ne veut pour autant pas dire que le besoin de rénovation n’est pas urgent. Dans un communiqué de presse publié à l’issue du conseil Ministériel du 03 octobre dernier, la Présidence estimait nécessaire d’engager «un audit technique, sans délai, de l’édifice principal du marché de Sandaga, afin d’entreprendre, en rapport avec la ville de Dakar, les travaux de réhabilitation et de sécurisation appropriés».
Du côté de la municipalité, même son de cloches : «Pour nous, en ce qui concerne le marché, il est évidement question d’une restauration. Cet effort sera entrepris, afin de régler les problèmes de sécurité que le bâtiment présente, car c’est le bien-être des populations qui est au cœur de nos préoccupations», explique le 1er adjoint au maire de Dakar, Cheikh Guèye, avant d’ajouter qu’un comité de réflexion est en train d’être mis sur pied pour «diligenter le mécanisme» de ces rénovations.
Le scepticisme des marchands : ''Le marché ne tombera pas''
Mais qu’en disent les principaux intéressés, à savoir les marchands qui, parfois depuis des générations, se sont relayés derrière les étals étroits du marché?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils ne se sentent pas vraiment touchés par les mesures annoncées. Selon eux, des travaux au marché sont régulièrement annoncés par tous les régimes au pouvoir depuis le gouvernement Abdou Diouf, sans que rien n’ait jamais été fait.
Au sujet de l’audit commandé par le Chef de l’État, les responsables du marché affirment même qu’il y en a eu un de fait, récemment, dont les résultats sont connus et que donc, ils n’attendent pas de grandes surprises de celui à venir : «J’ai par devers moi une copie du rapport de l’audit réalisé sous le gouvernement de Souleymane Ndéné Ndiaye au marché Sandaga. Je connais le contenu de ce document et je peux vous affirmer, sans me tromper, que les experts sont parvenus à la conclusion que le marché ne tombera pas. Mieux encore, que les poutres qui le soutiennent sont d’un alliage d’une qualité que l’on ne trouve plus aujourd’hui», témoigne Niaga Samb, de l’association des commerçants du marché Sandaga.
''Ils nous faut des garanties sérieuses''
Pas de raison de courir donc, selon les principaux intéressés qui voient unanimement d’un bon œil la perspective de travaux, tout en avertissant qu’il est hors de question qu’ils soient tenus à l’écart du processus. Car, il semblerait que ce soit bien là le nerf de la guerre : les commerçants tiennent à ce qu’on les traite avec respect. Et par ''tiennent'', on veut dire ''insistent''. ''La consigne est de ne pas parler en rangs dispersés, parce qu’il ne faut pas qu’on donne l’impression de refuser ces travaux. Ils sont importants pour nous et pour notre cadre de vie. Bien sûr qu’on les appelle de tous nos vœux… Seulement pas n’importe comment. Il y a plus de 1 000 places désignées ici, soit environ 5 000 personnes qui vivent de leur commerce et, surtout, sont des payeurs de taxes! Ils nous faut des garanties sérieuses et plusieurs séances de négociations, avant qu’on ne consente à quitter les lieux.», explique un responsable communautaire du marché qui a requis l’anonymat.
''Être édifiés sur la nature et la durée des travaux''
Avant d’être maraîchers, poissonniers, bouchers ou simples propriétaires de «tables», les acteurs de Sandaga revendiquent ainsi leur statut de citoyens. Pour eux, il n’est pas question de se laisser dénigrer par des politiques cherchant à imposer des choix qui seraient avant tout politiques. «J’ai entendu que les choses pourraient commencer à bouger après la Tabaski (NDLR : fête de l’Aïd-el-Kebir), mais personne ne daigne clarifier quand, comment et combien de temps prendront les travaux. Toutes ces questions restent sans réponse, alors qu’il s’agit du gagne-pain de pères de familles nombreuses qui est en jeu. Il faut agir par étapes. Si l’on veut nous forcer la main, nous les marchands de Sandaga, nous dirons non!», affirme Ablaye Diallo, 38 ans, riverain du marché et militant PDS.
Au-delà des injonctions des plus sanguins, certains marchands ont un discours plus modéré mais similaire. «Je vends des légumes au marché, depuis plus de 30 ans. Je paye mes taxes. Je suis pour la rénovation, mais je n’accepterai pas de me déplacer sans garanties. La première est, qu’une fois les travaux terminés, je retrouve la place qui était la mienne. Pas une autre, exactement la mienne! La seconde, que pendant la durée des travaux, je sois déplacée pas trop loin d’ici, j’ai une clientèle que j’ai mis des années à construire, il n’est pas possible pour moi de la perdre. Mon commerce en dépend.», explique quant à elle la vieille Maye Diop.
Plus qu’une question sécuritaire, c’est une question sociale que cette rénovation annoncée du marché Sandaga semble, en effet, mettre sur la table. «On n’a beau être des marchands, nous n’en sommes pas moins conscients de nos droits. Nous sommes prêts à aller à la table des négociations et défendre nos intérêts bec et ongles. Qu’on ne fasse pas l’erreur de nous sous estimer : nous ne sommes pas mieux, mais pas moins bien que les autres.», insiste Niaga Samb.
''Les marchands déplacés retrouveront leur place''
Du coté officiel, il n’est évidemment pas question de spolier qui que ce soit de ses droits : «Il est tout à fait naturel de penser que les marchands déplacés retrouveront leur place une fois les travaux finis», indique Cheikh Guèye. Ce dernier soulève néanmoins une exception : celle des ambulants. «On fera le nécessaire pour réimplanter ceux qui sont titulaires de places, mais les autres, les ambulants, seront définitivement déplacés sur un autre site, dans la même zone du plateau», prévient-il.
Alors qu’il est question «d’accélérer la cadence», aucun calendrier n’existe à ce jour d’aujourd’hui, selon l’élu local. Prudence ou paradoxe? Pour les locataires du marché, cette question ne mérite même pas d’être posée. Que ce soit pour demain ou dans un an, ils demandent qu’on les consulte au préalable quant à l’organisation et le déroulement des travaux en question. «Il y a des gens ici qui vivent en prenant des crédits sur la marchandise qu’ils vendent. Si on les déplace du jour au lendemain, les conséquences peuvent être dramatiques pour leurs commerces. C’est pourquoi nous avons pris le parti de la retenue et de la négociation. Pourquoi ne pas fermer qu’une portion du marché à la fois? Où allons-nous être recasés, si seulement nous le sommes? Va-t-on toucher une compensation? Nous sommes ouverts à toutes les propositions, du moment qu’on traite d’égal à égal avec les autorités. On veut faciliter la chose, pas la rendre plus difficile, ni la bâcler.», a conclu Ablaye Diallo.
Sophiane Bengeloun
MICRO-TROTTOIR
«Pensez-vous que le marché Sandaga présente vraiment un danger pour les populations qui le fréquentent?» Mama Dièmé, 29 ans, couturière Awa Fall, 49 ans, mère au foyer Dam Sy, 37 ans, employé de bureau Fanny Diop, retraitée Sokhna Samb, 22 ans, ménagère |