''L'hypocrisie dans la musique sénégalaise''
Au cœur du showbiz africain dans l’Hexagone, le producteur et manager sénégalais Wally Timera est souvent cité en exemple par la communauté des artistes-musiciens. Présent à Dakar pour un dernier adieu à son Mentor Ibrahima Sylla, l’homonyme de Wally Ballago Seck a choisi EnQuête pour livrer ses impressions sur la musique sénégalaise.
Comment avez-vous connu le défunt Ibrahima Sylla ?
Vous posez une bonne question. J’ai connu Ibrahima Sylla par l'entremise de Thione Seck. En toute sincérité, j’ai beaucoup appris avec lui dans la musique, sans avoir été musicien. Nous avons travaillé ensemble sur plusieurs productions d’albums. A l’occasion du premier concert du groupe Africando à Paris, à la porte de Versailles, en 1996, Claudi Siar qui devait présenter le groupe était en retard.
Avec le Maestro Boncana Maïga et tout le staff d’Africando, on était dans les coulisses. Sylla m’a dit : ’’Boy, tu vas présenter le groupe.’’ Je lui ai dit que je n’avais jamais fait ça. Il a insisté et je me suis mis dans la peau du présentateur ce jour-là. Tout s’est bien passé. Depuis cette date, il m’a confié le management et la gestion d’Africando.
Peut-on dire que vous étiez son homme de confiance, durant ses derniers jours ?
C’est vrai que durant ces six dernières années, il m’a ouvert son cœur. Ibrahima Sylla a travaillé jusqu’à son dernier souffle de vie. Par exemple, il était hospitalisé, quand on faisait le mixage du dernier album d’Africando ‘’Viva Aficando’’. Il parvenait à tromper la vigilance de son épouse pour venir nous rejoindre au studio où il n’arrivait même pas à se tenir debout.
Depuis son canapé, il donnait des directives, sans regarder les gens de face. Ibrahima Sylla avait tenu à faire le mixage, même étant couché sur un canapé. Quand je le ramenais à l’hôpital, il ne parlait pas. Il était off. Cela dit, Ibrahima Sall a été artiste jusqu’au bout. Bien qu’ayant longtemps vécu en France, il était resté profondément africain.
Il avait l’habitude de dire : ’’Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, mais quand je monte mon équipe pour un projet, il n’y a rien à dire.’’ La preuve est que dès l’annonce de sa mort, le journal Libération en France avait titré et encadré : ’’Il n’y aura plus de son Sylla.’’ Ça, ce n’est pas nous qui l’avons inventé.
Quand l’aviez-vous rencontré pour la dernière fois ?
On s’est vu 48 heures (le 28 décembre), avant sa mort. Après tout, Ibrahima Sylla était un être humain qui a des zones d’ombre. Croyez-moi, je ne vais pas faire de lui un mythe infaillible, pour la simple raison que c’est un grand-frère que j’adore. C’est juste pour cette raison qu’avant la levée du corps à la mosquée, j’ai insisté auprès de l’Imam pour lui dire que Sylla demande pardon à toutes les personnes à qui il a fait du tort.
Il m’a dit textuellement :’’Petit-frère, je sais que je vais partir, mais tu ne dois pas lâcher mon épouse et mes enfants. Je compte sur toi, plus que mes frères biologiques, parce que tous les deux, nous avons partagé beaucoup d’expériences dans la vie. Ensuite, je demande pardon à tout le monde. Parce que j’étais dans le business où il y a eu des coups bas partout.
Pour ma part, je pardonne à tout le monde.’’ Voici les derniers voeux de l’homme. A part ça, il y a l’œuvre colossale d’Ibrahima Sylla. Après sa mort, j’ai reçu des coups de fil de gens de renommée internationale, bien installés dans le monde du showbiz. Des voix se sont élevées pour faire des témoignages sur Ibrahima Sylla.
Elles sont mal placées pour le faire. Je ne vais pas citer de noms, mais elles se reconnaîtront, à travers cette interview. Ceux qui ont la crédibilité de parler d’Ibrahima Sylla au Sénégal sont nombreux.
J’aurais aimé que ce soit Robert Lahoud, Manou Lima, Ismaël Lô, Thione Ballago Seck, Oumar Pène, Cheikh Tidiane Tall et d’autres artistes qui ont travaillé avec lui. Par exemple, j’aurais aimé voir une diva comme Kiné Lam aux funérailles d’Ibrahima Sylla.
Selon vous, qu’est-ce qui explique l’absence de beaucoup d’artistes au moment des funérailles?
Je vis à 5.000 km. J’ai pris l’avion avec la dépouille mortelle de Sylla pour venir. Je ne pourrai pas expliquer l’absence de ceux qui habitent à 11 km. Je suis de Pikine, donc si j’’étais à Dakar au moment de la mort d’Ibrahima Sylla, je serais venu en courant. Vous me posez la question, au moment où j’ai autour de moi Manou Lima, Robert Lahoud, Ismael Lô etc.
Il y a le chanteur malien Sékou Kouyaté qui a pris l’avion de Paris et Robert Urbanus, le patron de Sterns music qui est venu de Londres, pour accompagner Sylla vers sa dernière demeure. Allez savoir maintenant pourquoi des artistes sénégalais, qui ont été produits par Sylla dans leur carrière, n'étaient présents le jour de son enterrement.
Êtes-vous en train de dire que la mort de Sylla a laissé ces artistes sénégalais indifférents ?
Je ne veux pas être maladroit dans mes propos. Même si la mort de Bruno Metsu ne m’a pas trouvé ici, j’ai vu et lu sur le net les nombreux messages de compassion à son égard, parce qu’il avait conduit les Lions aux quarts de finale de la Coupe du monde de football. Ibrahima Sylla a, dans son œuvre, amené la musique africaine à un niveau insoupçonné.
Pour Sylla, on a reçu de la reconnaissance. Dans plusieurs pays de la sous-région, des chefs d’Etat et des premières dames nous ont invités. On a créé le groupe Africando qui veut dire l’Afrique ensemble, mais à la base, c’est sénégalais : le producteur Ibrahima Sylla et le trio de chanteurs composé de Pape Seck, Medoune Diallo et Nicolas Menheim.
Après avoir produit plusieurs albums, on a été invité partout dans le monde, sauf au Sénégal. Il faut qu’on nous dise pourquoi. Il faut qu’on réponde à cette question.
Cela veut-il dire qu’Africando ne s’est jamais produit au Sénégal ?
Jamais. La seule fois où on a essayé, ça s’est terminé en queue de poisson et on s’est retrouvé avec des dépenses imprévues. Le problème, au Sénégal, c’est qu’on est trop hypocrite. C'est-à-dire qu’on refuse de voir la vérité en face de soi et de dire les choses telles qu’elles sont. Lorsque certains artistes sénégalais signaient avec les majors, ils étaient en dessous des Maliens.
La plupart des artistes sénégalais sont passés par Sylla d’abord. Aujourd’hui, les majors ont besoin de crédit. Dans la chaîne musicale, de nos jours, le producteur n’existe plus. En plus, un producteur doit être plus artiste que l’artiste. Parce qu’il y a la direction artistique qui s’impose pour définir les objectifs et le programme qu’il faut pour les atteindre.
Un producteur doit surtout avoir assez de cran, de charisme, pour amener l’artiste vers un but précis. Ça n’existe plus aujourd’hui. Il y a deux choses que j’ai remarqué au Sénégal. Le producteur est une sorte mécène et le manager, c’est un bëkk neeg.
Comment jugez-vous la carrière de votre homonyme Wally Ballago Seck ?
Vous me direz que c’est le cœur qui parle (rires). J’estime qu’aujourd’hui, un garçon comme Wally Ballago Seck a le talent et le potentiel, parce qu’il est entre de bonnes mains. C’est un garçon très ouvert d’esprit. Les ingrédients sont là pour l’accompagner. Le reste, c’est le travail. Ensuite, il vient de quelque part. Connaissant très bien son père, pour avoir cheminé avec lui, je suis sûr qu’il s’investira pour lui.
Almami Camara