SOS ranch Dolly
Le Ranch de Dolly (87.500 ha réels sur un classement préalable de 110.900 ha au total), créé en 1969, se trouve entièrement dans la Communauté Rurale de Thiel, dans la zone sud du département de Linguère, Région de Louga. Pour des raisons professionnelles – recherches sur la vie et l’économie pastorales - nous avons eu l’occasion, ces derniers temps, de le parcourir par deux fois : week-end des 24 et 25 avril 2014, puis semaine du16 au 23 mai 2014.
Le Ranch de Dolly avait pour vocation principale, dans la vision du Président Léopold Sedar Senghor qui l’a créé, de promouvoir et de moderniser l’élevage pastoral afin de lui faire jouer le rôle qui doit être le sien dans le cadre de l’économie nationale.
En tant que ranch où se retrouvent presque toutes les espèces végétales de la zone soudano-sahélienne, ainsi qu’une riche faune, il devait aussi contribuer à la préservation, à la protection et au développement de la biodiversité. Tout ceci, avec la promotion et l’amélioration des conditions de vie des pasteurs eux-mêmes, résidents comme usagers temporaires.
Ce que nous avons vu et observé peut être assimilé, sans exagération aucune, aux prémisses d’une catastrophe écologique, économique et environnementale sans précédent.
Il faut rappeler, en effet que le Ranch, d’un périmètre de quelques 102 km, se trouve dans un état d’abandon et de décrépitude insoupçonné: il n’y a plus de clôture depuis des années ; presque toutes les infrastructures sont délabrées ; les anciens locaux servant de bureaux de la SODESP – qui a quitté le Ranch depuis 1999 - sont devenus des abris pour animaux – moutons, chèvres, ânes, etc. ; tout le matériel a disparu ; les papiers d’archives, les registres, etc., tout est déchiré, jeté ou étalé par terre, servant ainsi de litière aux animaux en divagation.
C’est triste, et le spectacle est insoutenable : nous avons quand même pu filmer le désastre, comme nous avons pu photographier et mis sur pellicule tous les espaces calcinés par 16 feux de brousse, cette année seulement.
Depuis ce fameux mardi 26 novembre 2013 où le Président Macky SALL, dans son discours à Dolly Centre, a promis de laisser le ranch à l’élevage, de le réhabiliter et de le sécuriser, tout se passe comme s’il y avait eu une invite à la curée.
Voici ce en quoi on assiste actuellement, malgré les plaintes répétées des éleveurs et autres usagers du Ranch : de clandestine, auparavant, la coupe des arbres est devenue délibérée et ouverte ; elle est est devenue plus acharnée, voire forcenée : bois de chauffe, bois de construction, charbon, etc. ; les fours et les stocks de charbon sont à l’intérieur-même du ranch, du côté sud vers les villages extérieurs de Wilanène et Lambaye ; le braconnage est permanent : chasse aux perdrix, pintades, phacochères, etc.
par voitures 4x4, à motos, ou encore en charrettes ; les feux de brousse – souvent provoqués par les braconniers et/ou les coupeurs de bois pour charbon, ont détruit presque la moitié du Ranch, emportant souvent de façon irréversible certaines espèces vulnérables ou fragiles : combrétacées diverses, sthrycnos spinosa (ngorwaale, en pulaar), hexalobus monopetalus (boyle), gardenia ternifolia (boseeje), sans compter les espèces protégées telles que les pterocarpus lucens & prerocarpus erinaceus (bane et cange) ; les koyle ou mitragina inermis sont ravagés pour le bois de construction ; les meenjeele ou cordia Rothii ont presque disparu de la zone (un seul témoin reste debout à Ogo Méndiéle). On pourrait allonger la liste.
Devant cette catastrophe programmée, du fait du retard mis dans l’exécution de la promesse présidentielle, le jeune chef du village de Dolly Centre, Touradou Baïdy Woury KA, tire toujours sur la sonnette d’alarme, mais la lutte contre les feux de brousse plus ou moins « provoqués » reste quasiment le seul fait des habitants du Ranch. Les moyens manquent, du côté des autorités pour tout à la fois les prévenir et les circonscrire (pare-feux non désherbés, interventions tardives ou parfois inexistantes des services des Eaux et Forêts, etc.). Les coupeurs de bois sont arrogants, voire parfois menaçants.
Le résultat est là, inquiétant et décevant : la majorité des espèces végétales généralement appétées par les animaux, en tant que pâturage aérien, complémentaire du tapis herbacé, sont détruites et courent le risque de disparaître à jamais de la végétation du Ranch et de toute la zone. C’est un drame écologique qui se joue directement sous nos yeux, sans aucune possibilité de réversibilité.
Pourquoi cette curée ? L’une des raisons principales est que presque tous les riverains du Ranch, non pasteurs ou éleveurs, se hâtent d’exploiter tout ce qui peut l’être et/ou de détruire sciemment ce qu’il ne pourront plus exploiter lorsque le Ranch sera clôturé et sécurisé – si tant est que cela arrive dans des délais raisonnables !
Il y a, en fait, beaucoup de convoitise pour les ressources du Ranch par les milieux urbains avides de charbon, de bois de chauffe et de bois de construction. Il s’y ajoute maintenant – et c’est notre avis – que l’absence de mise en valeur pastorale véritablement viable, fiable et durable, laisse penser que le projet « Ranch de Dolly » semble ne pas être pris aux sérieux par l’autorité, depuis longtemps.
Cette volonté, à laquelle nous assistons, de tout « prendre » avant que l’accès au Ranch ne leur soit définitivement fermé ne fait qu’accélérer le désastre. Il s’y ajoute l’arrogance, voire l’agressivité des personnes que l’on rencontre souvent sur les lieux se livrant à cette exploitation illégale : « du sa toolu baay… » [ce n’est pas la propriété de ton père ..], «Su la neexul, kaay faj ko … » [si tu n’e pas content viens m’en empêcher…] ou encore « ëppëlewuloo ma ci… » [tu n’y as pas plus droit que moi …] se sont entendu répondre les personnes qui se sont aventurées à interpeller les fraudeurs pendant leurs actions de coupe (témoignage du Chef de village de Dolly Centre lui-même, sur la route de Gassane, vers la porte ouest).
Actuellement, les propositions des populations que nous avons rencontrées, à l’instar du chef de village Touradou KA, se résument à ceci : mettre en place un agent de l’Etat permanent (administrateur ou Garde-Forestier) au centre du Ranch, à titre transitoire, qui serait installé au Centre de Dolly pour constater, et assurer provisoirement un travail de suivi et de surveillance de proximité, avec la collaboration des usagers du ranch et des autorités (Chef de village, comité de vigilance, etc.) ; que l’autorité fasse tout pour diligenter la clôture et la sécurisation du Ranch ou de ce qu’il en restera.
Le problème est simple et pathétique : plus on tarde à sécuriser le Ranch, plus le désastre s’accélère. Il faut arrêter la curée avant qu’il ne soit trop tard, sans compter que certaines essences végétales risquent de disparaître à jamais !
Fary Silate KA
Chercheur à l’IFAN – Ch. A. Diop
Responsable fédéral de l’URD à Thiel