Publié le 29 Jun 2014 - 19:41
EN VERITÉ AVEC MARY TEUW NIANE

''Des micmacs de 100 à 200 millions sur les orientations''

 

Son langage va t’en guerre depuis le déclenchement des réformes, les micmacs sur les orientations, le master pour tous… Mary Teuw Niane s’est exprimé sur toutes ces questions avec EnQuête, tout en se voulant véridique. ''Je hais le discours politicien'', déclare le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

 

Depuis que les réformes sont enclenchées, on voit que vous avez un discours très musclé, que vos collaborateurs ne vous connaissez pas forcément. Qu’est-ce qui explique cela ?

C’est juste qu'il faut dire les choses telles qu’elles sont. Je hais le discours politicien, pour dire la vérité, parce que je considère que ça fait partie des choses qui ont contribué au recul des réformes dans notre pays. Cette langue de bois qui peint tout en mi-figue mi-raisin, alors que la réalité elle est tout autre. On a un devoir, quand on occupe des postes de responsabilité, de dire la vérité aux Sénégalais. Et c’est ce que répète d’ailleurs très souvent Monsieur le Président de la République. Nous avons un fort leadership politique, mais le Sénégal a besoin de leadership intellectuel, de leadership au niveau du système éducatif, de la recherche.

Nous avons trouvé une situation qui date de plusieurs décennies, où la violence a gangrené le système de l’enseignement supérieur. Cette violence, il faut qu’elle disparaisse. Est-ce qu’il faut être là pour dire tout temps : ''il y a des casses, il y a de la violence. Il faut qu’elles disparaissent''. Et ne rien faire ? Ou faut-il prendre des mesures de telle sorte qu’on ait un électrochoc des acteurs, pour que chacun se dise : ''mais tiens, dans ce qui se passe, je suis un responsable'' ? 

Dans la manière de conduire les réformes, certains disent qu’on pouvait y aller étape par étape, mais on a l’impression que vous voulez tout faire à la fois.

C’est une opinion. En réalité, les réformes, on y va étape par étape. Les réformes sont dans les 11 décisions du conseil présidentiel qui résument les 78 recommandations de la concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur. Ces 11 décisions, c’est très difficile de les mener tout de suite, en même temps. Mais la situation de l’enseignement supérieur est tellement critique que, ou bien on fait les transformations qui permettent de changer et d’aller vers des situations positives, ou bien tergiverser et faire pourrir la situation. J’ai choisi, et je pense que c’est ce qui a été décidé lors de la concertation, de mener les réformes de base.

Les réformes de base, c’est le changement de comportement, c’est le financement des institutions d’enseignement supérieur, c’est l’élargissement de la carte universitaire et c’est tout ce que les technologies de l’information et de la communication peuvent apporter à l’enseignement supérieur. Nous avons mené ces trois choses-là en même temps. Et en filigrane, je dirais de manière transversale, il y a la question de la transparence qui commence à être abordée.

Venons-en au master pour tous. Comment quelqu’un qui sort de l’université avec des connaissances générales sans aucune formation peut espérer s’insérer dans la vie ?

Il y a beaucoup de choses qu’il doit faire. Vous savez, nous sommes dans une culture qui nous enferme et qu’il faut briser. Nous n’avons pas développé de formation professionnelle de manière massive. Mon ami et collègue Mamadou Talla est en train de faire beaucoup d’efforts pour développer la formation professionnelle. Il y a beaucoup de bacheliers qui sont orientés dans les universités, mais qui n’ont pas le niveau. On pense que faire des études universitaires, il faut commencer de la première année au doctorat.

Il y a même qui commencent à nous dire que l’admission au doctorat doit être automatique. Il suffit de regarder dans les différents pays. L'on est orienté en master parce qu’on a le niveau et parce que les structures qui sont chargées de vous accueillir ont la capacité de vous encadrer. Les départements, les enseignants font des niveaux. Nous les encourageons à faire plus d’efforts pour accueillir plus d’étudiants. Mais ce serait une erreur de dire aux étudiants que le master pour tous est un droit.

Dans ce cas, quelle alternative offrez-vous à ceux qui ont la licence et qui ne sont pas admis en master ?

L’université forme. Nous avons une autre mission, une mission incidente, qui est de préparer à l’emploi. Les universités ont signé ce qu’on appelle les contrats de performances. Dans ces contrats, il y a un volet de préparation à l’emploi. Nous allons travailler avec les universités pour que ce volet puisse être mis en œuvre.

Et que quand quelqu’un termine une licence ou au moment de la faire, qu’il puisse être formé et préparé pour aller chercher un emploi. C’est ça qu’on peut faire. Le reste, c’est le tissu économique et c’est le rôle du Plan Sénégal émergent. Avec tous les projets qui sont attirés au Sénégal, ceci va créer un appel à l’emploi. Mais ça ne va pas s’inventer du jour au lendemain.

En juillet 2010, vous aviez dénoncé dans l’émission École des savoirs de Rfi la tentative du gouvernement de massifier l’UGB avec 1800 nouveaux bacheliers. Pourquoi, 4 ans plus tard, vous imposez à cette institution 3000 bacheliers ?

Parce que nous avons construit. C’est ça la différence. Quand j’étais recteur, je me suis toujours battu pour que l’État termine les infrastructures. C’est quand j’ai été nommé ministre que j’ai travaillé en étroite collaboration avec le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme et nous avons pu livrer 300 lits supplémentaires pour le campus de l’UGB.

Nous avons livré UGB II avec un amphi de 1000 places, un auditorium de  1000 places, 14 salles de TD, 4 salles de TP et une vingtaine de bureaux. Nous avons finalisé l’extension de la bibliothèque de 300 places à 1200 places. Les orientations, je le rappelle parce qu’on a de jeunes collègues qui ne connaissent pas l’histoire de l’université, jusqu’en 1995 ou 1996, ne se faisaient pas au sein de l’UGB. Ça ce faisait ici, à la salle des actes de l’UCAD. C’est là où nous venions en délégation faire la sélection, avec l’UCAD.

Est-il vrai qu’il existe des magouilles dans le système d’orientation ? Qu’une faculté oriente 100 étudiants et au final se retrouve avec un effectif de 400 étudiants ?

Je ne peux pas dire qu’il y a  des magouilles, mais il y avait beaucoup d’interventions. J’ai reçu beaucoup de félicitations d’enseignants, même de recteurs et de doyens qui m’ont dit : ''vraiment M. le ministre, vous nous avez enlevé un fardeau, parce qu’au moment des orientations, c’était des interventions intempestives pour orienter l’enfant de tel''. Moi-même quand j’étais recteur, j’aimais souvent dire qu’entre mi-septembre et fin octobre, je ne répondais qu’aux coups de fil dont je connaissais l’origine. Un coup de fil sur deux, au moins, c’était des interventions pour orientation. Et ça, on l’a supprimé.

Vous n’avez pas relevé donc de vente d’orientation ?

Non, ça c’est terminé. Pour les bacheliers sénégalais, cette année, il n’y eu aucune vente d’orientation. Je savais qu’il y avait des facultés où on vendait les places. Peut-être même que c’est ça qui augmente les troupes. Je sais qu’il y a des facultés où, à la fin de l’année, les gens gagnaient 100 à 200 millions à cause de micmacs liés aux orientations. Ça, on l’a supprimé pour les nouveaux bacheliers. Nous allons régler ça aussi pour les étrangers.

Parce que campusen ne prend pas en charge les étudiants étrangers qui s’inscrivent dans nos universités. Je sais qu’il n'y a pas mal d’interventions à ce niveau-là. Cette année aussi, nous allons supprimer ça. C’est la même chose aussi pour ce qui est des bourses. Cette année, les bourses seront données sur la base des résultats au bac. Dès le 3 novembre, nous publierons la liste du budget. Et tout le monde saura que ce sont les meilleurs qui ont obtenu les bourses.

Pouvez-vous confirmer qu’il y a eu une vente de place à un million dans une faculté ?

En tout cas, ce que je sais, c’est qu’il y a eu dans les années passées une vente de place. Mais cette année, il n'y en a pas eu pour les étudiants sénégalais. Aucun étudiant n'a été orienté dans une faculté ou une UFR en dehors de campusen.

En ce qui concerne les fonctions de services, on dit qu’il y a des directeurs qui ont des coffres dans leur bureau parce que ça génère beaucoup d’argent. Vous êtes-vous intéressé à cette question ?

Nous avons déjà, avec le ministre de l’Économie et des Finances, signé l’arrêté qui réglemente les fonctions de services. Au niveau de l’UCAD, le ministre de l’Économie et des Finances a nommé les agents comptables qui doivent être dans les établissements les plus importants. Et ceci va nous permettre de supprimer les comptes parallèles afin d'avoir une gestion transparente de ces fonds.

Avez-vous évalué ces comptes parallèles ?

On évalue les fonctions de services à l’UCAD entre 4 et 7 milliards. La question de fond est que la mise en place de ces agences comptables est l’une des conséquences du résultat des audits.  En mettant ça en place, c’est qu’il n’existera plus de comptes parallèles. Tout le monde est obligé de verser l’argent dans ces comptes. Il ne peut pas y avoir de caisse dans un établissement.

Dans certains établissements publics, les étudiants du privé sont parfois supérieurs à ceux du public… Qu'en est-il exactement ?

Ça fait partie des choses qu’on va réglementer. Il n’est pas normal, il n’est pas admissible que vous ayez 20 étudiants recrutés dans les formations de l’État et que, à côté, vous ayez 100 étudiants. On remettra les choses à l’heure. S’ils veulent recruter 100 dans le privé, il faut qu’ils recrutent aussi 100 dans le public.

BABACAR WILLANE

 

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