Publié le 26 Mar 2015 - 08:55
LA CREI

les enseignements d’un verdict 

 

Introduction :

L’affaire Karim Wade vient de connaitre son épilogue par l’arrêt rendu par la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) le 23 mars 2015. Dans son verdict, la CREI déclare Karim Wade et la plupart de ses Co-prévenus coupables du délit d’enrichissement illicite  et les condamne à de lourdes peines d’emprisonnement de 5 à 6 ans assorties d’une amende de 138 milliards. En attentant l’issue du pourvoi en cassation,  il convient de tirer les enseignements de cet arrêt, en dépit de la controverse autour de la validité de cette juridiction d’exception tant au point de vue de sa conformité à la  loi fondamentale et, subséquemment du respect des instruments et principes juridiques universels, que de ses procédures d’instruction et de jugement.

Sur la transparence et la reddition des comptes :

Quoi que l’on puisse en dire, ce procès était attendu par l’écrasante majorité de nos concitoyens parce que la reddition des comptes est devenue une exigence du peuple sénégalais pouvant contribuer fortement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques. Mais à dire vrai, tout ne s’est pas déroulé comme l’aurait souhaité nombre de Sénégalais. Il a été plus question d’une traque des biens supposés mal acquis que d’une reddition des comptes sur la gestion du principal prévenu lorsqu’il occupait de hautes et multiples fonctions au sein de l’Etat et conduisait les grands travaux publics. Qu’en a-t-il réellement été de la responsabilité et de l’efficacité des corps de contrôle ?   

Sur la crédibilité de la justice :

L’indépendance et la crédibilité de la justice ont été mises à rude épreuve par des doutes sur le respect du principe de neutralité du système judiciaire en vigueur, sur la préservation de la légalité, et sur l’indépendance de la justice à l’égard du pouvoir politique. Que de polémiques sur une supposée violation des procédures, de la présomption d’innocence et du non respect du privilège de juridiction pourtant prévue par l’article 7 de la loi n°81-54 du 10 juillet 1981 créant CREI. En invoquant, à plusieurs reprises, l’ancien Président de la République, l’ancien Ministre d’Etat K. Wade et mêmes d’autres chefs Etat, l’arrêt ne repose-t-il pas le débat sur la compétence de la CREI à juger un ancien Ministre ? Il s’y ajoute le remplacement du Procureur, la démission d’un membre de la cour, l’agression du prévenu et l’exclusion de son avocat, tout cela sa déroula en pleine audience sans oublier le boycott du procès décidé par le principal prévenu en guise de protestation. Et que dire, pour l’heure, de qui s’assimile à une justice sélective au regard du traitement réservé à tant d’autres dossiers similaires. 

A l’arrivée, il y’ a lieu de relever, malgré quelques limites inhérentes à la nature et aux moyens d’actions de la CREI, la célérité par laquelle l’Affaire Karim Wade a été traité, le respect du principe de la séparation des pouvoirs, la volonté de faire prévaloir le droit et la vérité et enfin une décision motivée. Toutefois, le renversement de la charge de la preuve aura indubitablement pesé sur le cours de la procédure et du jugement. Paradoxalement, les prévenus sont coupables de n’avoir pas réuni assez d’éléments de preuve afin d’obtenir leur acquittement. Et voilà qu’avant même le jour fixé pour le délibéré, l’un des avocats, en l’occurrence l’ancien Garde de Sceaux, coupable de n’avoir pas souhaité entendre le verdict, a été embastillé. Toujours est-il qu’il ne serait pas indifférent de rénover cette juridiction d’exception dans le but de l’articuler aux principes et normes juridiques universels.

Au plan socio-économique et  politique:

Une stabilité politique et sociale hypothéquée, par des menaces de trouble à l’ordre public, des manifestions interdites, des défiances à l’autorité, le paroxysme jamais égalé par des invectives de toutes parts et l’indécence du discours, justifiaient la multiplication des appels à l’apaisement. Dans un tel contexte, le dialogue politique tant réclamé fut vicié car  l’opposition significative se refusa de participer aux travaux de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI), tout comme les concertations autour de la réforme dénommée l’Acte 3 de la décentralisation. Le monologue et la polémique, se menant par le biais de la presse qui diffusait la moindre information sur ce procès, avait pris le dessus sur le débat instructif et constructif. Et demain, avec la poursuite de la traque, rien ne garantit leur participation au référendum. En tout état de cause, la médiation devra se poursuivre afin d’asseoir la concorde et la cohésion nationale plus que jamais indispensables pour la préservation de la paix et de la stabilité sociale de notre nation.

Certes la remise en cause de certaines pratiques qui avaient cour dans le milieu des affaires favorise la transparence et la bonne gouvernance, mais l’économie nationale a été ralentie par la tension latente, le contrôle strict sur les opérations de banque, ou encore le blocage volontaire ou non des avoirs de certains dignitaires de l’ancien régime. Une nouvelle ère s’ouvre qui promeut la gouvernance sobre et vertueuse et s’installe progressivement la fin de l’impunité.

D’autres alliances politiques vont voir le jour et des ententes furtives se noueront en vue de la conquête ou la reconquête du pouvoir.

Sur la restriction des droits civils et politiques.

A la lecture de l’arrêt rendu par la CREI, s’il y a un point qui a retenu particulièrement l’attention de l’opinion c’est bien celle relative à l’application des peines de privation des droits civils et politiques. Sans doute, cette posture découle de la perception que de nombreux observateurs ont pu se faire sur le parcours du prévenu et la nature de la procédure qui allaient forcément induire un procès politique. L’interdiction d’exercer les droits civiques, civils et de famille, bien qu’obligatoire « lorsque la peine d’emprisonnement prononcée sera supérieure à cinq ans », selon l’article 34 du code pénal, n’a pas été prononcée par le juge malgré la demande formulée par le procureur de la cour. 

Au fond, en énonçant : « Les tribunaux ne prononceront l'interdiction mentionnée dans l'article précédent que lorsqu'elle aura été autorisée ou ordonnée par une disposition particulière de la loi. », cette disposition de l’article 35 du code pénal (Loi n° 2000-38 du 29 Décembre 2000) comporte une clause d’application. Or cette condition, n’étant pas remplie ni par la loi sur la CREI ni par les dispositions du code pénal punissant le délit d’enrichissement illicite (article 163 bis), en conséquence, le juge ne pouvait prononcer la perte par les prévenus de leurs droits civils et politiques.

Au reste, n’est-il pas absurde que le législateur n’ait pas prévue expressément la déchéance des droits civils et politiques d’une personne coupable du délit d’enrichissement illicite ?

Par delà, il existe d’autres dispositions de la Constitution et du Code électoral relatives à l’exercice et à la perte de ces droits qu’il importe de revisiter pour mieux appréhender la question.

En premier lieu, l’article 28 de la Constitution énonce : « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle. »

En second lieu, le Code électoral,  la candidature à la présidence de la République doit comporter, en vertu de l’article LO.113/2, «  la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du Code Electoral (partie législative).»

En troisième lieu, le titre premier du Code Electoral, chapitre 2, section 1, prévoit la restriction des droits civils et politiques à certaines catégories de personnes, notamment en ses articles L.31 et L.32.

Sous ce rapport, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale, selon l’article L.31/2: « ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement ; ».

Il est certain que le délit d’enrichissement illicite n’a pas été expressément cité.  Toutefois, étant donné qu’en vertu de l’article 3 de la Loi n°81-53, le délit d’enrichissement illicite,  est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans, il va de soi que toute personne condamnée pour l’enrichissement illicite ne peut jouir de ses droits politiques.

 Au surplus, l’article L.31/3 vise : « ceux condamnés à plus de trois (03) mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six (6) mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L.30 ». L’article  L.31/6 concerne : « ceux contre qui l’interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun». Monsieur K. Wade n’est pas dans ce dernier cas. 

Quant à l’article 32, alinéa 1, il prévoit la période de la restriction du droit de vote (au moins cinq (05) ans, à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive) en fonction de la durée de la peine et la nature du délit. En outre, il est également utile de retenir qu’en vertu de cette disposition toute amende sans sursis supérieure à 200.000 FCFA pour un délit quelconque retenue contre un prévenu le prive temporairement de ses droits civils et politiques. Il en résulte que les peines d’amende et d’emprisonnement sans sursis prononcé à son encontre placent de Monsieur K. Wade sous le coup des dispositions précitées.

L’alinéa 2 donne au juge la prérogative de relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection. Le constat est que l’arrêt de la CREI est muet sur le sujet.

Etant donné que la CREI n’ait pas prononcé la déchéance des droits de vote du prévenu du fait des limites du code pénal relativement à l’application des peines prévus par la cour, il ne peut être question d’invoquer le dernier alinéa de l’article 32 qui dispose : « Sans préjudice des dispositions de l’article L.31 et du premier alinéa du présent article, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection par application des lois qui autorisent cette interdiction. »

Au vu de ce qui précède, Monsieur Karim WADE, en cas de confirmation du jugement par la Cour suprême, ne pourra être candidat à la prochaine élection présidentielle, qu’elle ait lieu en 2017 ou en 2019, conformément à l’article 28 de la Constitution et aux articles LO.113, L.31 et L32 du Code électoral. A moins qu’il ne bénéficie d’une réhabilitation, qu’il ne fasse l’objet d’une mesure d’amnistie ou que les dispositions de la loi électorale ne soient révisées.

Conclusion :

L’analyse du procès révèle toute l’urgence à parachever la réforme des institutions en vue de renforcer l’indépendance et les moyens de la Justice, de l’Administration et des corps de contrôle de l’Etat. Cela contribuerait à lever les suspicions sur les processus de reddition des comptes et la traque des biens supposés mal acquis. A propos, nous avions rappeler la nécessité de suppression du Ministère de la Justice et son remplacement par un Ministère chargé des Relations avec les Institutions (Judiciaires et Législatives) et devant assurer les rapports fonctionnels entre les différents pouvoirs sans tutelle aucune.

Il n’est nullement convenable que ceux qui sont retenus coupables du délit d’enrichissement illicite puissent continuer à jouir pleinement de leurs droits civils et politiques sans aucune restriction. Aussi l’examen minutieux des déclarations de patrimoine par l’OFNAC permettrait-il de juger de la validité de celles-ci, et, de donner au Président de la République, dès à présent, l’opportunité d’éloigner, de la gestion des affaires publiques toute personnalité sur qui pèserait des soupçons d’enrichissement illicite nonobstant la saisine des juridictions compétentes. Somme toute, ne serait-il pas superfétatoire de maintenir la CREI avec tous ces organes de contrôle et de vérification ?   

Il reste à suivre l’issue du pourvoi en cassation initié les avocats de la défense conformément à l’article 17 de la loi sur la CREI. Et pourtant, il est possible que l’Auguste Cour Suprême,  statuant sur l’incompétence ou la violation de la loi, rende une autre décision…

Ndiaga SYLLA

 

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