L’Olympe des Infortunes de Yasmina Khadra Editions Julliard
L’Olympe des Infortunes, roman philosophique, réflexions autour d’un terrain vague coincé entre une décharge publique et la mer et où des dieux déchus devenus clochards nous donnent une extraordinaire leçon de la vie. Ils se nomment Ach le Borgne, Junior, Mama, Le Pacha, Négus, les frères Zouj, Dib….et bien d’autres soûlards qui, à force de les côtoyer, deviennent des personnages tendres et attachants.
D’abord un univers hors normes où il n’y a pas d’heure. Il y a le jour, il y a la nuit et c’est tout. Cet espace est leur territoire quoiqu’il n’y ait ni projet de société ni idéal. Leur seul réconfort est d’exister et cela n’a pas de prix ; l’échec relève de la mort et tant qu’on est en vie, on a le droit de rebondir. Ils puisent leur bonheur en chaque chose que Dieu fait car ils savent Dieu artiste. Cela, les gens de la ville n’ont idée de ce que c’est. Quand bien même ils ne possèdent pas grand-chose, ils mettent du cœur dans leur pauvreté.
Ils prennent leur destin avec une philosophie tellement forte qu’ils nous surprennent en nous enseignant que toute chose a une fin comme le soleil qui s’enlise inexorablement dans la mer ; aucun règne n’échappe à son déclin. De même, nous enseignent-ils encore que chaque jour est une chance qu’il faut vivre pleinement.
Le voyage dans cet univers des Infortunes est plus qu’un délice qui nous apprend à nous détacher de ce qui nous confisque la vie : l’argent. Parce qu’ils ne doivent rien à personne, qu’ils sont libres comme ils savent aussi que la vraie richesse est de ne rien attendre de personne. Plus est, dans leur univers, Ils chantent leur liberté en ces termes :
« Ils ne sont pas assez cocus
Pour se mettre la corde au cou
Ils ne sont pas assez fous
Pour avoir un patron au cul
Les clodos.
…….. »
La mort, ils l’apprivoisent parce que prolongeant leur chanson sur l’absurdité de la vie qui s’apparente à une épreuve qui ne vaut point le détour et en cela, c’est bien qu’elle ait une fin ; et puisqu’on vient au monde contre son gré, autant le quitter sans regret et rejoindre le Paradis, un bled chouette où l’on se la coule douce au frais du Seigneur. Normal, l’enfer n’existe pas pour eux parce que ce serait une double peine !!!
Des messagers de Dieu, ils pensent qu’ils ont prêché dans le désert parce que les gens n’arrivent pas à s’éveiller d’eux-mêmes et préfèrent se livrer à une guerre de religions.
Malgré toute cette philosophie, un intrus, un étranger nommé Ben Adam vient déstabiliser leur équilibre en leur affirmant péremptoirement qu’aucun homme n’a le droit de tourner le dos au monde. « Comment peut-on se soustraire aux bruits des jours lorsque ces bruits sont l’hymne des victoires sur soi ? Comment peut-on se laisser dépérir dans des coins sordides quand il suffit de croire à la beauté pour se renouveler au gré des saisons ? » Cet intrus leur apprend que ne rien attendre des autres, c’est cesser de vivre. Des réflexions qui leur font revisiter leur vie pour revoir les causes de leur déchéance. Le souvenir transporte certains, le spleen envahit d’autres. Ils reconnaissent que la chance leur souriait tous les jours, le bonheur les accueillait tous les soirs et ils ne s’en rendaient pas compte. Un moment de faiblesse et une vie entière est tombée lamentablement à l’eau. Et là, forcément, l’on ne peut s’empêcher de penser à Milan Kundéra dans L’identité, parlant de la clochardisation : « C’est certainement ainsi que ça commence : un jour on met ses jambes sur le siège d’un banc, puis la nuit tombe et on s’endort. C’est ainsi qu’un jour on se range parmi les vagabonds et qu’on devient l’un d’eux. »
Ils n’ont plus de famille, d’amour et en perdant ce socle, ils ont tout perdu. Parce qu’ils ont perdu cette essence de la vie qu’ils en sont là et définitivement. Non, ils ne vont pas regarder en arrière et trouvent maintenant qu’il n’y a rien de plus beau que leur terrain vague, et qu’aucun paradis n’arrive à la cheville de ces soirées qu’ils partagent autour du feu quand, soûls comme des bourriques, ils se fichent du monde comme d’une teigne.
Pourtant, ils partiront les uns après les autres parce que la séparation est inévitable, certains comme le soleil qui s’enlise inexorablement dans la mer, d’autres, vers d’autres destinations, telles les rues fourmillantes de gens étrangers à eux-mêmes. Referont-ils leur vie ?
Ce livre nous invite à nous poser plusieurs questions sur l’exclusion et surtout du pourquoi certains basculent du jour au lendemain en renonçant à tout. Est-ce le refus de vivre qui est la liberté ? S’il est vrai que l’auteur tente d’aborder ces questions par la voix de Ben Adam, il ne fournit pas de réponses, juste interpelle-t-il les uns et les autres. Suffisant pour déclencher la réflexion…..
L’Olympe des Infortunes, voilà un formidable roman où l’écrivain algérien Yasmina Khadra (nom d’emprunt composé des deux prénoms de son épouse) de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, étale toute la finesse de son écriture mais aussi toute sa sensibilité. Incontestablement, il est l’un des plus grands romanciers actuels. Sa bibliographie est riche de plus d’une vingtaine d’ouvrages qu’on découvre avec beaucoup de plaisir. Ce que le jour doit à la nuit, Les hirondelles de Kaboul, L’attentat, L’écrivain, Les agneaux du Seigneur, L’imposture des mots….etc, quelques-uns que j’ai énormément appréciés.
L’olympe des Infortunes, un très beau roman sur les déchus de la vie….
Ameth GUISSE