Publié le 20 Nov 2015 - 23:27

TENSION ENTRE MAGISTRATS ET AVOCATS

 

L’affaire dite Wartsila continue de plomber les relations entre l’Union des magistrats sénégalais (UMS) et le Bâtonnat. Même si le service public de la justice fonctionne normalement, la tension est vive, du fait de la radicalisation des uns et des autres.

 

Du côté du Bâtonnat, la colère est à son paroxysme, à cause de la poursuite pénale initiée contre Me Mame Adama Guèye. En effet, l’ancien Bâtonnier était convoqué hier, à la gendarmerie, suite à une plainte pour diffamation de l’UMS. Toutefois, il n’a pas déféré à la convocation, parce que, dit-on, il est en voyage. N’empêche que Me Ameth Bâ, l’actuel Bâtonnier, dénonce cette façon de faire. En effet, le Parquet général avait demandé au conseil de l’Ordre des avocats de mener des poursuites disciplinaires contre Me Mame Adama Guèye, après investigations. C’est pourquoi le Bâtonnier ne comprend pas le déclenchement de ces poursuites pénales contre son confrère.

D’ailleurs, souligne-t-il, celles-ci se sont faites en dehors des règles d’usage qui veulent que ‘’lorsqu’un avocat est poursuivi, le minimum, c’est de le faire entendre par le Parquet général’’. Cette procédure n’ayant pas été respectée, le Bâtonnier considère que la convocation de Me Mame Adama Guèye procède tout simplement de la volonté ‘’d’humilier’’ son confrère et de museler les avocats. Or, ‘’les avocats ont toujours dénoncé la corruption’’. ‘’La corruption est inacceptable dans tous les domaines. C’est pire pour la justice qui doit être crédible. L’idéal est que les magistrats, les avocats et tous les autres acteurs de la justice aient un consensus pour l’enrayer’’, poursuit-il. Toutefois, Me Ameth Bâ considère que ce combat est perdu d’avance, si l’Etat ne s’implique pas. ‘’On comprend que les magistrats soient choqués par les déclarations jugées exagérées, mais on ne veut ni tension ni confrontation et chacun des corps doit respecter l’autre’’, martèle-t-il.

‘’Le problème est entre l’UMS et un seul avocat’’

Le président de l’UMS n’en demande pas moins. D’abord, le juge Magatte Diop tient à écarter l’existence d’un quelconque malentendu entre les deux corps. ‘’Il n’y a aucun nuage entre les magistrats et les avocats. Mais, le problème est entre l’UMS et un seul avocat qui a fait une sortie regrettable’’, précise le président de l’UMS. Sur sa lancée, il dénonce la sortie du Bâtonnat, tout en soutenant que celui-ci devait plutôt s’offusquer et se désoler des accusations de Me Mame Adama Guèye. Même s’ils prônent l’apaisement, les magistrats se disent intransigeants sur leurs principes et exigent le respect de la part des avocats. ‘’Nous n’avons jamais tiré sur le Barreau et nous ne le ferons jamais. Alors, qu’on nous respecte.’’

Toujours au téléphone d’EnQuête, Magatte Diop a tenu à faire cette précision : ‘’L’UMS a toujours combattu la corruption. Mais, on ne peut pas admettre que quelqu’un parte d’un dossier qu’il a géré pour accuser tous les magistrats de corrompus.’’ Considérant ces accusations injustes, le magistrat souligne qu’ils ont porté plainte pour laver leur honneur. Jusqu’où sont-ils prêts à aller ? Si Me Bâ se dit réservé par rapport à la plainte et attend la suite, le juge Diop laisse entendre qu’ils ne ferment pas la porte à un dialogue. Toutefois, tient-il à préciser : ‘’Nous sommes à cheval sur nos principes et pour dialoguer, il faut que les règles du jeu soient respectées de part et d’autre. L’UMS ne se laissera pas faire par rapport à certaines attaques infondées.’’

Cette querelle indispose certains acteurs

Quoi qu’il en soit, cette situation est plus que ‘’gênante’’ pour certains avocats interrogés hier, sur la question. Si tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas de crise et qu’il ne saurait y en avoir, nos interlocuteurs pensent que leur confrère ne peut pas partir d’un seul cas pour généraliser, même si le phénomène existe bel et bien. ‘’Dire que la corruption n’existe pas au sein de la magistrature, c’est ne pas dire la vérité. Mais, il y a des magistrats- et c’est la majorité- qui sont d’une intégrité sans faille’’, martèle un avocat. Selon ses explications, il est difficile d’avoir la preuve de la corruption et les gens ne peuvent que se fonder sur des soupçons. Ces soupçons font que, dit-il : ‘’Lorsque certains magistrats gèrent votre dossier, vous ne dormez pas la nuit. Car, vous ne pouvez pas dire à votre client qu’il va gagner.’’

Un de ses confrères regrette que l’affaire atterrisse sur la place. ‘’Je ne vois pas la nécessité de vouloir exposer le problème sur la place publique, car il s’agit d’une question trop sensible, qui pourrait amener le peuple à douter de sa magistrature’’, se désole la robe noire. Et de citer Montesquieu : ‘’Quand le peuple doute de sa magistrature, c’est le début de la dislocation sociale’’. Notre interlocuteur de citer également Antoine de Saint Exupéry : ‘’La victoire appartiendra à celui qui périra le dernier.’’ En effet, on risque d’assister à un grand déballage.

Fatou SY

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