Publié le 17 Feb 2016 - 23:30
AMINATA TOURE (ANCIEN PREMIER MINISTRE)

‘’Le président est allé jusqu'au bout de son engagement’’

 

Pour l’envoyée spéciale du chef de l’Etat, Aminata Touré, Macky Sall a fait tout ce qui était de son ressort pour réduire son mandat de 7 à 5 ans. Mais face à l’avis des 5 sages, il n’a eu d’autre choix que celui de se conformer à la décision du Conseil constitutionnel. Entretien.

 

Le président de la République va finalement faire un mandat de 7 ans contrairement à sa promesse de ramener son mandat de 7 à 5 ans. Pourquoi un tel revirement ?

Il est bon de rappeler que le président de la République a décidé par sa seule volonté de réduire le mandat présidentiel de 7 ans à 5 ans et de l'appliquer à son mandat en cours. Comme l'exige la constitution, il a saisi le Conseil constitutionnel pour requérir son avis sur la voie à suivre. Il a donc fait ce qu'il avait à faire et a donc respecté son engagement. Le Conseil constitutionnel dont la vocation est de veiller à la constitutionnalité des lois a considéré que la réduction du mandat ne pouvait pas s'appliquer au mandat en cours. La réduction du mandat de 7 ans à 5 ans ne peut intervenir qu'après 2019. Le Président a décidé de suivre cette décision du Conseil constitutionnel.

Mais il avait promis de réduire son mandat…

 Je ne vois pas comment il pouvait en être autrement, le président est  quand même le gardien de la Constitution et le garant du respect des lois de la République. Ça, c'est pour le Droit et le respect de l'Etat de droit. Maintenant il faut noter pour s'en féliciter l'avancée démocratique majeure du projet  de révision constitutionnelle. Il s'agit de rendre irrévocable la durée du mandat, le nombre de mandats et le caractère républicain de notre État. C'est quand même des avancées majeures dans le  contexte  africain, je ne veux pas citer de pays mais on a eu récemment des contre-exemples en la matière. Le  Sénégal encore une fois se signale par son rôle avant-gardiste en matière de démocratie. Je rappelle que le Président Wade a lui fait exactement le contraire, il a  fait passer son mandat de 5 ans à 7 ans et a cherché un troisième mandat, ce qui nous a valu  plusieurs pertes en vies humaines. Ça, ce ne sera désormais plus possible. C'est un important progrès démocratique qui stabilise notre système politique pour longtemps.

Certains estiment que vous n'avez pas de bilan à présenter au peuple  en 2017 et c'est la raison pour laquelle le président est revenu sur sa décision de réduire son mandat

Le  président Macky Sall est allé jusqu'au bout de son engagement, il a rempli toutes ses obligations. Le Conseil constitutionnel a donné sa décision et il la respecte. Un État de droit fonctionne ainsi. En tout cas, c'est la compréhension que j'en ai. En 2011, la décision du Conseil constitutionnel autorisa le président Wade à briguer un troisième mandat. Nous avons respecté sa décision et nous sommes allés aux élections. Quant au bilan, il est largement positif. En quatre ans, on a fait des bonds au niveau de l'agriculture, de la pêche, l'éducation, l’Enseignement supérieur avec deux Universités en cours de construction. Notre politique sociale est des plus avancées du continent, les comptes publics sont bien mieux tenus, l'inflation est maîtrisée, certains  prix comme le carburant ont même baissé, la bonne gouvernance est une réalité. Cette réforme institutionnelle qui porte des progrès démocratiques importants  est aussi à rajouter au bilan.

 Est-ce que le Conseil constitutionnel n'est pas qu'un simple bouc-émissaire dans cette histoire ?

Les cinq sages du Conseil constitutionnel méritent tout notre respect ; ils ont pris leur décision en toute souveraineté ; ils ont dit le Droit rien que le Droit et le Président respecte leur décision. Il faut que nous respections les institutions que nous nous sommes choisies, c'est ainsi que nous renforcerons notre Etat de Droit et notre système démocratique. 

A quoi bon de convoquer le peuple à un référendum si la question principale de ce projet de réforme constitutionnelle à savoir la réduction du mandat présidentiel en cours est déjà tranchée par cet avis ou décision du Conseil constitutionnel ?

Il s'agit de légiférer pour les futures générations, c'est pour cela qu'il faut le sceau du peuple pour ces réformes. Si on passait à l'Assemblée nationale, on ferait mécaniquement passer ces réformes mais un autre Président pourrait, avec sa majorité parlementaire, ramener le mandat à 7 ans et même supprimer le nombre limité de mandats. Le peuple doit se prononcer sur des questions aussi fondamentales.

Macky Sall ne risque-t-il pas d'apparaître aux jeux de l'opinion comme un dirigeant qui ne tient pas parole ? 

Le Président a fait tout ce qu'il avait à faire. Il a tenu son engagement, il a saisi le Conseil  constitutionnel en conséquence pour que la réduction du mandat s'applique à son mandat en cours.  Que pouvait-il faire d'autre qu'il n'ait pas fait ? Il propose à travers un référendum de ramener le mandat à 5 ans à partir de 2019. Si le oui l'emporte, c’est ce que je souhaite vivement, il ne sera plus possible de changer la durée du mandat, il ne sera plus possible de faire plus de 2 mandats. Ce serait une grande avancée. On ne parle pas du statut reconnu de chef de l'opposition. Alors que l'opposition actuelle qui se dit persécutée, le Président propose de lui donner une dignité institutionnelle. Il faut aussi saluer la proposition de renforcer le rôle de l'Assemblée nationale en matière d'évaluation de l'efficacité gouvernementale et la possibilité pour le justiciable de saisir le Conseil constitutionnel dès la Cour d'Appel. Voilà autant d’avancées démocratiques  importantes.

Pourquoi le Président a fait l'impasse sur l'avis du Président de l'Assemblée nationale ? Est-ce que cet avis n'est pas aussi important que celui du Conseil constitutionnel ?

Encore une fois, le président de la République a respecté la procédure indiquée par la Constitution en demandant l'avis du Président de l'Assemblée nationale. Le Président Niasse s'est félicité du projet de renforcement des pouvoirs des députés qui, désormais, pourront davantage contrôler l'action du gouvernement ; ce qui va renforcer l'efficacité de la dépense publique et la performance gouvernementale.

PAR IBRAHIMA KHALIL WADE

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