Une campagne à la Sénégalaise
S’il a l’avantage de donner une visibilité politique en scindant le champ politique en deux camps opposés (OUI et NON), le référendum du 20 mars n’en décèle pas moins les ingrédients d’une campagne à la Sénégalaise.
Le Sénégal connaît à nouveau une de ces périodes politiques confuses qui lui sont propres. La campagne politique pour le référendum s’emballe. Au moment même où les syndicats les plus influents ‘’se coalisent pour chauffer le front social’’. Et comme à l'approche de chaque élection, la campagne enregistre des actes de violences dont est familier le jeu politique sénégalais. A Ziguinchor, les militants du OUI et du NON se sont affrontés à coups de pierres, occasionnant une douzaine de blessés.
La classe politique sénégalaise met donc en œuvre les grandes manœuvres. Le Ndigël fait l’objet de toutes les convoitises politiques. Les visites de ‘’courtoisie ‘’ se succèdent chez les Khalifes Généraux. La caravane présidentielle, avec à sa tête le chef de l’Etat, écume les viviers électoraux (Touba, Louga, Saint-Louis, Thiès etc.) pour vendre son projet référendaire. L’opposition, alliée à une partie de la Société civile, mutualise ses forces pour faire triompher le ‘’NON’’.
Idrissa Seck de Rewmi, Malick Gackou du Grand-parti, Pape Diop de Bokk Gis Gis, Abdoulaye Baldé de l’UCS multiplient les meetings à travers le pays. Même Khalifa Sall fortifie sa position à Dakar.
Mais, à quelques jours du scrutin, la grande équation reste le taux de participation. Le vote militaire qui s’est déroulé le week-end dernier n’a pas drainé beaucoup de monde. Il laisse présager un désintérêt général pour le scrutin.
Dans cette ambiance d’incertitudes, le ministère de l’Intérieur va priver de vote beaucoup d’électeurs, au motif que la machine de l’automatisation des fichiers connaît des défaillances techniques. Combien de personnes sont concernées ? On avance le chiffre de 22 000. Impossible de dire le nombre exact. Mais cet incident, qui nous ramène des décennies en arrière, démontre une nouvelle fois les insuffisances des opérations électorales au Sénégal. L’opposition dénonce les carences du ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, activement impliqué dans la campagne pour le OUI.
Au milieu du gué, les 15 points des réformes proposées dans la révision constitutionnelle ont été largement supplantés par des questions subsidiaires. L’essentiel de la polémique tourne autour de la non-réduction du mandat en cours, et la question de la légalisation de l’homosexualité.
La ligne de fracture est apparue le 16 février dernier quand Macky Sall a fait son adresse à la Nation. Affichant la mine d’un patient à qui son médecin administre un traitement à son corps défendant, le Président, soutient que le Conseil constitutionnel lui a prescrit de poursuivre son mandat en cours jusqu’en 2019. L'opposition a accusé le coup.
C'est pourtant la perspective d'un nouveau modèle démocratique qui est en jeu.Cette élection aura sans doute des conséquences bien au-delà de la simple victoire ou de la défaite du OUI ou du NON. En arrière-plan et dans l'avenir, c'est sur le rapport de forces au sein des formations politiques qu’elle influera. Car certains partis politiques sont arrivés à un point de rupture.
Ces dissensions internes entre Aissata Tall Sall et Khalifa Sall, partisans d’un NON et leur secrétaire général, Ousmane Tanor Dieng, menacent de déstabiliser le parti socialiste. Des affrontements entre militants du Ps ont émaillé le dernier Bureau politique des Verts devant statuer sur la position officielle du parti sur le référendum. Il y a eu une véritable guérilla à la Maison du Parti, à Colobane.
Tout compte fait, cette période pré référendaire dessine une carte du Sénégal politiquement scindée en deux camps. C’est sans doute le clivage le plus marqué depuis le conflit Senghor-Dia.
OUI ou NON. Blanc ou Rose. C’est finalement un choix assez carré dans un pays où les postures politiques fluctuent au gré des intérêts partisans.
Abdou Rahmane MBENGUE