Retour sur une campagne tendue
À l'aube d'un tournant électoral plein de promesses, la campagne sénégalaise s'est transformée en un théâtre de tensions où la violence a éclipsé les débats d'idées. Ce qui aurait pu être une compétition d’échanges constructifs nourrie par des visions et des programmes ambitieux pour le pays s’est rapidement envenimé. Arrestations, affrontements entre militants et provocations verbales ont pris le dessus, plongeant les électeurs dans un climat de défiance. Comment en sommes-nous arrivés-là et quelles sont les conséquences de ce basculement pour la démocratie sénégalaise ?
La campagne électorale qui avait commencé sous les auspices de débats contradictoires s'est transformée en une scène marquée par des épisodes de violence, tant verbale que physique. Initialement, les Sénégalais s'attendaient à des échanges constructifs centrés sur des programmes solides et des propositions concrètes pour faire face aux nombreux défis et opportunités auxquels le pays est confronté. Chaque coalition vantait la qualité de ses plans, espérant convaincre les électeurs de sa capacité à transformer radicalement le Sénégal.
Pour Pastef, obtenir la majorité signifiait l'instauration de réformes profondes, tandis que l'opposition prévenait des conséquences désastreuses si le régime en place remportait le scrutin, invitant les électeurs à miser sur leurs candidats en raison de leur expérience.
Mais très vite, les premiers heurts à Dakar ainsi que l’arrestation et le procès de Bougane Guèye Dany à Tamba ont marqué un tournant dans cette campagne, qui a glissé vers un terrain fertile pour les affrontements. De nombreux observateurs estiment que ce basculement est presque inévitable, car les scènes de violence sont plus spectaculaires et génèrent davantage d’attention, notamment sur les réseaux sociaux où elles deviennent virales en un clin d'œil. Cette dynamique est accentuée par l’appétit d’une partie de l’opinion publique sénégalaise, qui trouve dans ces dérives une certaine essence de la politique.
Des personnalités polarisantes
Le climat tendu de cette campagne électorale s’explique aussi par la personnalité de figures politiques comme Ousmane Sonko et Barthélemy Dias connus pour leur tempérament fougueux et parfois belliqueux. Leur style combatif n'a fait qu'alimenter les tensions, transformant des discussions qui auraient pu être centrées sur les programmes en échange d'accusations et de menaces.
Pourtant, beaucoup de citoyens espéraient assister à des débats prometteurs, notamment lorsque Sonko avait publiquement interpellé Amadou Ba, ancien Premier ministre, l'invitant à un face-à-face pour discuter des enjeux économiques du pays. À la veille de la campagne, en mi-octobre 2024, Ousmane Sonko, Premier ministre et leader de Pastef, avait lancé un appel direct à Amadou Ba via un tweet, proposant un débat public contradictoire sur des sujets économiques majeurs.
Cette proposition suivait une conférence de presse d’Amadou Ba, dans le cadre de sa campagne pour les élections législatives du 17 novembre. Sonko s'était réjoui de ce qu'il considérait comme la sortie de l’ombre du candidat malheureux de la Présidentielle de février 2024, l’accusant d'avoir jusqu’alors évité les confrontations directes en s’abritant derrière des chroniqueurs et autres mercenaires de la plume.
La tension entre les deux hommes, qui dominent la scène politique sénégalaise, s'est exacerbée au fil des années, particulièrement lors de la dernière Présidentielle remportée au premier tour par Bassirou Diomaye Faye. Amadou Ba, qui avait terminé deuxième, n'a pas tardé à répondre à l'invitation de Sonko, soulignant que le débat était un signe de la vivacité démocratique. L’ancien ministre de l’Économie et des Finances, qui avait aussi été chef du gouvernement, a défendu son bilan, affirmant que le régime précédent ne pouvait pas être tenu pour seul responsable des difficultés économiques actuelles.
Le débat proposé par Cheikh Omar Diallo, ancien conseiller d’Abdoulaye Wade et fondateur de l'École d'art oratoire et de leadership de Dakar, devait se dérouler dans un format strict de 90 minutes, avec une retransmission prévue sur la Radiotélévision sénégalaise. Les deux protagonistes devaient répondre à des questions posées par des intervieweurs de leur choix, sous la modération d'un journaliste désigné.
L'idée d'une confrontation directe et intellectuelle avait suscité beaucoup d'intérêt, mais des complications administratives ont freiné sa tenue. Le président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel, Mamadou Oumar Ndiaye, a souligné que ce débat risquait de rompre l’égalité de traitement entre les candidats, un principe pourtant protégé par la loi électorale. Malgré cette contrainte, Sonko a soutenu que de telles formalités ne devraient pas constituer un obstacle insurmontable.
Un espoir déçu pour les électeurs
Malheureusement, les violences qui ont émaillé la campagne ont relégué au second plan ces débats potentiellement enrichissants. L'arrestation de Bougane Guèye Dany a exacerbé les tensions, créant un climat où la violence a pris le pas sur les échanges programmatiques. Les confrontations entre militants de Pastef et ceux de la coalition Sàmm Sa Kaddu sont devenues monnaie courante, nourrissant un cycle de représailles.
De nombreux acteurs de la société civile et des personnalités politiques ont appelé au calme, craignant que ces violences ne compromettent l'intégrité du processus électoral. Pourtant, la viralité des incidents sur les réseaux sociaux continue de stimuler cette atmosphère tendue, laissant peu de place aux discussions de fond.
Ce basculement vers la violence est d'autant plus regrettable que les enjeux abordés dans les rares moments de débat avaient une importance capitale. La dette publique, le déficit budgétaire, la fiscalité et la gestion des ressources minières et énergétiques sont autant de questions qui méritent un examen approfondi.
De même, la Vision 2050 du gouvernement, récemment présentée, aurait pu être l'objet de critiques constructives si les échanges avaient conservé un ton plus civilisé.
Les promesses de changements radicaux, portées par chaque camp, ont été éclipsées par des stratégies de dénigrement et des attaques personnelles. Même les questions de développement durable, d’intérêt général pour le Sénégal, n’ont pas trouvé la place qu’elles méritaient dans le discours électoral.
La polarisation politique et l'accent mis sur les confrontations physiques ont un coût. Non seulement elles détournent l'attention des vrais débats, mais elles risquent aussi d'entamer la confiance des citoyens envers le processus démocratique. La crédibilité des institutions est en jeu, et les observateurs craignent que ce climat délétère ne se prolonge après le scrutin.
Pour plusieurs observateurs avertis, des initiatives pour restaurer un débat plus serein et axé sur les programmes existent, mais elles nécessitent une volonté politique ferme et un engagement de tous les acteurs pour pacifier les échanges. Des efforts devront être déployés pour recentrer l'attention sur les propositions concrètes et le développement socioéconomique du pays.
Pour de nombreux Sénégalais, la déception est palpable. L'espoir de voir des candidats discuter des réformes économiques, de l’éducation, la migration ou encore de la santé publique a été remplacé par la crainte de nouvelles violences. Les citoyens, qui attendaient des solutions aux problèmes quotidiens, se retrouvent face à un spectacle où la force brute semble l'emporter sur la force des idées.
La campagne de novembre 2024 laissera un goût amer à ceux qui croyaient encore en la possibilité d’un débat démocratique apaisé. Le défi, pour les prochains scrutins, sera de rétablir la priorité des échanges de fond sur les confrontations de forme. Seule une réflexion collective sur les pratiques politiques pourra permettre d’y parvenir, et redonner espoir à un électorat de plus en plus désabusé.
AMADOU CAMARA GUEYE