« Un fauteuil sur la Seine » d’Amin Maalouf
Comprimer quatre siècles d'histoire de la France dans un fauteuil, voilà bien la prouesse que réussit Amin Malouf, le nouvel académicien.
Editions : Grasset _ Avril 2016
Comme nous le savons, il est de tradition et d'usage que le nouvel élu sous la Coupole fasse l'éloge de son prédécesseur. Cet exercice est certainement apparu trop succinct à Maalouf d'autant plus que le fauteuil qui vient de lui échoir fut le siège de bien d'intrigues et de rebondissements tout au long des quatre siècles d'existence de l'Académie. Héritier d'un fauteuil, d'un prédécesseur et même de toute une lignée, constituée au hasard des décès, des scrutins, des intrigues, des circonstances littéraires politiques ou autres, il nous restitue toute une histoire depuis 1634.
Pour notre grand plaisir et sur 328 pages, il nous invite dans un voyage à travers le temps à revisiter l'histoire de France, lui le successeur non seulement de l'anthropologue Claude Levi Strauss, mais de dix sept autres penseurs qui ont occupé le vingt neuvième fauteuil de cette auguste assemblée « voulue » par le Cardinal Armand de Richelieu, avec pour mission de conférer un sens aux mots et de bénir ceux empruntés ou issus d'un néologisme pour enrichir cette belle langue qu'est le Français.
Siège d'intrigues et de rebondissements disais je tantôt, le fauteuil vingt neuf qu'hérite Amin Maalouf, a eu aussi comme prédécesseur le philosophe Ernest Renan, l'auteur de "La vie de Jésus" qui osa comparer le Christ à un homme !!! Le Cardinal Richelieu a du se retourner dans sa tombe de savoir que celui que le Pape avait surnommé « le blasphémateur européen » siégeait sous sa Coupole !
Victor Hugo échoua à sa première tentative, on lui préféra un homme de sciences. Il finira par entrer sous la Coupole mais pas au fauteuil 29. Tout comme Corneille qui, parce qu’il n’était pas dans les grâces du Cardinal de Richelieu, se vit préférer à un autre, ce qui fera dire à certains « qu’on a prostitué le titre d’académicien. » De même, Voltaire qui, en raison des intrigues, se vit devancer par le cardinal de Luynes à sa première présentation.
Le fauteuil vingt neuf a eu d'illustres occupants tels le Professeur Claude Bernard, cet ami de Pasteur qui réussit à rendre accessible le langage de la médecine, Henry de Montherlant, Michaud celui-là même qui se passionna pour les croisades, Flourens préféré à Victor Hugo et qui contribua énormément à l’élaboration d’un des outils majeurs de médecine moderne : l’anesthésie, Challemel-Lacourt....etc., sans oublier le premier Immortel qui se noya dans la Seine en voulant sauver celui dont il avait été le précepteur. Il était nommé Pierre Bardin.
Le must de l'histoire de l'Académie qui est souvent passé sous silence est que le Maréchal Pétain y siégeait !!!! Certes le héros de Verdun avait été élu en 1929 en remplacement d’un autre maréchal, Foch, mais il y resta et ne fut remplacé qu’à sa mort quoiqu'il fût frappé d’indignité nationale et assigné à résidence à l’île d’Yeu pendant plusieurs années où il mourut en 1951. Et, est ce à dire que l'Académie a eu à collaborer ?
Heureusement que la Libération a aussi libéré cette auguste institution.
« Un fauteuil sur la Seine » est un formidable ouvrage qui, outre les portraits saisissants qu’il dessine sur ses dix huit illustres prédécesseurs, Amin Maalouf nous offre aussi un tableau de l'évolution des idées, de l'histoire politique allant de la Monarchie à la République en passant par la Restauration et le coup d'Etat du 18 de Brumaire de Léon Bonaparte, l’affaire Dreyfus…etc.
Voilà bien un livre que je recommande à tous les amoureux de l'histoire car l'Académie française n'appartient pas seulement à la France, mais à l'Universel. Et me vient en souvenir la réception du Président Poète Léopold Sédar Senghor le 29 Mars 1984. Edgar Faure le recevait et tel un tribun sérère, il fit l'éloge du président poète dans des envolées lyriques qui n'avaient rien à envier à la cantatrice Yande Codou Sene. Admirez cet extrait : « "Je dirai ton nom, Senghor. Nomina, Numina [noms, présages]. Chez vous, le nom se décline, et se déclame, on le psalmodie et on le chante. Il doit sonner comme le sarong, rutiler comme le sabre au soleil.
Le nom appelle les prénoms. Vous en aurez trois. Vous êtes Sédar, celui qui ne pourra jamais avoir honte. On vous donne aussi au village, en asyndète avec le vôtre, le prénom de votre mère, Gnilane. Votre père, qui est polygame-il compte ses enfants, vos frères et vos sœurs par dizaines-, n’en est pas moins catholique. Il vous fait baptiser, votre nom chrétien est Léopold, qui veut dire lion. C’est aussi le sens du prénom ethnique de votre père, qui suit son propre prénom chrétien, Basile. La seule différence, c’est que votre lion à vous passe le premier. Il est d’ailleurs, étymologiquement, "lion téméraire". Etes-vous un cas de métissage biologique ? Cela ne serait pas pour vous déplaire. Vous avez fait l’éloge du métissage avant même de savoir à quel point vous aviez raison : notre confrère Jean Bernard nous en dit beaucoup là-dessus. »
J'étais jeune étudiant à Paris et pour la cause, j'avais séché mon cours de l'après midi pour suivre la retransmission à la télé (TF1). Parmi les invités et en premier rang, un opposant nommé Abdoulaye WADE. Et oui, la culture n'a jamais divisé les hommes de savoir, elle constitue un ciment qui forge le respect malgré les différences d’opinions!
C'est à cette académie là qu'Amin Maalouf rend hommage.
Écrivain à succès d'origine libanaise, Amin Maalouf est l'auteur de "Léon l'Africain", "Samarcande" (mon préféré et relatif au poète et savant persan Omar Khayyâm) "Le rocher de Tanios" Prix Goncourt, "La Croisade vue par les Arabes", "Les identités meurtrières"....etc. Son livret d'opéra, "L'amour au loin" est une formidable composition, un hymne à l'amour....
Ameth GUISSE