Les devins et les empressés pris de court
Karim Wade libre… La mesure intervenue dans la nuit du 23 au 24 juin est venue en démenti aux informations qui, une semaine plus tôt, avaient envahi la webosphère sénégalaise. C’est à qui donnerait l’information exclusive, sans jamais se soucier d’exactitude parce que négligeant la vérification – si jamais cette étape est leur préoccupation et a un sens pour eux. Toutes les informations furent sensationnelles, toutes se révélèrent fausses. La libération tant annoncée partout n’est intervenue qu’une semaine plus tard, à un jour et à une heure auxquels les devins et l’opinion s’y attendaient le moins. Saura-t-on en retenir la salutaire leçon ? Oui ou pas, c’est une nécessité.
Cette journée-là, des organes de la webosphère avaient annoncé que « Karim libre ce soir va passer sa première nuit à Touba ». Une semaine après, Karim est libre, a quitté le Sénégal sans jamais faire un détour par Touba. Autre faux. Et, le 24 juin, dans l’après-midi, un rebondissement se produisit annonçant que Karim est à Versailles chez ses parents et non pas au Qatar où tout le monde l’avait annoncé avec certitude, et sans aucune précaution. Même là encore, il y a une controverse, d’aucuns soutenant que l’avion ayant transporté Karim Wade a atterri à 18h57 au Qatar.
Et le site Senenews.com de marteler que «c‘est pour éviter que les militants et sympathisants ne viennent déranger la quiétude et les retrouvailles familiales (à Versailles, Ndlr) que la piste de Doha a été avancée«, nous ont soulignés nos sources. » Xalima.sn fait une affirmation similaire après avoir précisé que « contrairement à une première information que nous avons publiée et qui provient d’une de nos sources généralement bien informée, Karim Wade n’a jamais été à Doha, la capitale de Qatar. Le fils de l’ancien président du Sénégal se trouve actuellement à Versailles dans la capitale des rois de France.
« De sources dignes de confiance, l’ancien prisonnier le plus célèbre du Sénégal a été aperçu ce matin entrant dans la résidence en meulière de Versailles. Il est arrivé vers les coups de 8 heures après, 5 heures de vol. Il a ainsi rejoint ses parents dans leur domicile à la frontière des villes de Versailles et du Chesnay. »
Avec l’avalanche d’informations et de rumeurs que charrient les réseaux sociaux, on ne peut plus jurer de rien, ni savoir à quelle tuyau crevé se fier – s’il n’est pas paradoxal de savoir une source sans crédibilité et s’y abreuver toujours au risque d’être intoxiqué – parce que l’intoxication est aussi un aléa avec lequel le journaliste doit faire. Tout comme la manipulation, d’ailleurs
C’est la course au scoop dans laquelle le journal londonien, « The Guardian », ne veut pas voir ses journalistes s’engager en leur disant que « Mieux vaut tard que faux ». Traduit et dit autrement par le journaliste consultant Tidiane Kassé, cela donne « Mieux vaut être le dernier à donner une bonne information que le premier à en annoncer une fausse ». Et le 23 juin, c’est l’humoriste Mamane, railleur sur Rfi, de « la très démocratique république du Gondwana », de renchérir que « la liberté de presse n’est pas liberté de se presser » ; se presser jusqu’à s’égarer dans la fausse information, l’intox, la manipulation ou le canular. Trop d’empressement à publier, sans s’entourer de précautions, la première nouvelle tombée mène souvent vers la défaite de l’information. Au lendemain de cette sarabande sur la webosphère, Maître Madické Niang, avocat de Karim Wade, tira lui-même la conclusion : « Cette libération de Karim Wade est un canular ».
D’aucuns avaient cru voir derrière ce canular une manipulation destinée à masquer une autre réalité moins avouable.
Post-scriptum : Histoire de marquer l’anniversaire de la révolte populaire – ou alors une vraie révolution, la chaîne de télévision a diffusé un reportage de facture réalisé par Cheikh Tidiane Ndiaye. Une narration bien chronologique de ce qui s’est passé avant, pendant et après le mémorable 23 juin 2011, interviewant des acteurs de premier plan, des figures politiques… Des images expressives… La preuve que les télévisions sénégalaises peuvent faire des choix attrayants. Il suffit pour cela de sortir des studios pour aller sur le terrain. Jusque-là, quand on excepte Horaire bi de Bessel Basse sur la Tfm, les reportages de Ndiaye Doss sur la Sen Tv, « Deggo » de Thierno Amadou SY et Reeni koom koom de Kader Diokhané sur RTS1, les programmes de nos télés ne sont que des productions de plateau. Il y en a de bonne facture certes, mais le terrain mérite le détour.