Le porte-étendard de l’Islam
Les musulmans et singulièrement la communauté mouride ont célébré ce samedi 19 novembre 2016 l’anniversaire du départ en exil, au Gabon, du fondateur du Mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Un voyage au cours duquel, épreuve après épreuve, le Cheikh a eu à se consacrer exclusivement au service de son Seigneur pour le triomphe des idéaux de l’Islam. EnQuête revient ici sur la vie et l’œuvre de ce serviteur du prophète de l’Islam. D’où son surnom de Khadimou Rassoul.
Cheikh Ahmadou Bamba qui vit le jour en 1853 s’est véritablement révélé à la face du monde avec la mise en exergue de la doctrine de la Mouridiya. Et cela, à un moment ou l’arrogance outrancière des autorités coloniales avait pour conséquence des exactions de tous ordres, sur les porte-étendards de l’islam. Il fallait donc trouver la solution la mieux adaptée à la circonstance, par la création de repères tangibles qui ne pouvaient être que le fait d’un Islam à la lumière du modèle légué par l’Elu de Dieu, la meilleure des créatures, Muhammad Ibn Abdallah (Saws).
C’est la raison pour laquelle Serigne Touba a baptisé la voie qu’il a créée ‘’Mouridiya’’ ou la voie menant vers le Créateur. L’adepte ‘’Mouridi’’ apparaît comme celui qui est orienté sur la voie de Dieu. A partir de cette approche, le saint homme a voulu susciter un engouement populaire et massif autour des meilleures valeurs que l’on ne saurait trouver qu’à travers les différentes facettes de la culture islamique.
C’est cette mission que Serigne Touba s’est donnée pour servir l’Islam et indiquer à ses coreligionnaires le droit chemin. Le principal objectif était de faire revenir tout le monde à la pratique religieuse telle qu’enseignée par celui dont il a voulu être le serviteur, Seydina Mouhammad (Saws). C’est la raison pour laquelle il a d’ailleurs choisi d’être surnommé ‘’Khadimou Rassoul’’ (serviteur de l’envoyé de Dieu). Pour ce faire, il entreprit d’éloigner les siens des interdits, tout en invitant à un changement radical des comportements. Cela, dans l’optique de rendre la religion plus attrayante et plus accessible pour la grande masse qui hésitait encore à l’embrasser. Pourtant, l’Islam était l’unique refuge fiable face à la stratégie des colonisateurs. C’est ainsi que le Cheikh enseigna surtout l’esprit du partage et le sens du savoir-faire, sachant que l’Islam est la seule et unique voie qui puisse conduire l’homme à son parfait accomplissement.
‘’Guerre contre les pulsions’’
Voilà pourquoi l’autre volet de la doctrine mouride est le travail. Pour la bonne et simple raison que son maître, le Prophète Muhammad (Saws), a tenu à préciser au bon musulman ceci : ‘’Fais tes dévotions comme si tu devais mourir à la seconde, mais vis ta vie d’ici-bas comme si tu étais éternel.’’ La combinaison de ces deux facteurs de la religion, la foi et le travail, constitue les armes choisies par Serigne Touba pour vaincre un ennemi encore plus redoutable que le colonisateur. Car, ces armes-là permettent de vaincre les désirs et pulsions qui sont pires que Satan le maudit. D’où l’appellation ‘’Guerre contre les pulsions’’ (Jihadu Nafs), dévolue à cette forme de lutte. La conséquence de cette mise en œuvre de cette méthode a été la ruée des fidèles vers Serigne Touba. Phénomène qui inquiète profondément l’administration coloniale qui mit immédiatement sa machine en branle afin de nuire au guide.
Ce qui lui vaut une déportation et plusieurs mises en résidence surveillée ici au Sénégal et en Mauritanie. Ce qui n’entama en rien l’ardeur des fidèles et le ralliement massif vers ce personnage multidimensionnel qui était plus qu’à l’aise dans cette situation. Car, il répétait sans arrêt : ‘’Ceux qui ont initié cette déportation avec la ferme intention de me nuire ignoraient qu’ils allaient me rapprocher de mon unique maître : Dieu le Créateur.’’ Cette conviction est certifiée par les nombreux ouvrages qu’il a réalisés durant les 7 années de retraite au Gabon (1895-1902). D’ailleurs, dans l’un deux, il enseigne aux jeunes la voie la meilleure face aux défis et tentations d’un monde dont la dominante repose sur l’égoïsme, les déviations sociales, entre autres fléaux ; Car sa philosophie enseigne qu’une jeunesse moulée aux valeurs de l’Islam fait augurer des lendemains radieux pour toute société.
Quelques dates repères marquant la vie de Serigne Touba
En 1886, Cheikh Ahmadou Bamba fonde le village de Touba et se fait de plus en plus remarquer sur la scène religieuse et sociale de l’Afrique. La popularité qui en a découlé inquiéta naturellement le colonisateur dont l’administration élabore un rapport sous la direction du gouverneur Leclerc. Il y relate de prétendus agissements du cheikh. Ce fut en 1888.
Cette dynamique continua jusqu’à l’arrestation et la décision de déportation, en 1895, de Serigne Touba. Mesure qui fut mise à exécution en septembre de la même année. Il ne reviendra du Gabon que le 11 novembre 1902. Mais la persécution devait reprendre moins d’une année plus tard. Car, en juin 1903, il se mit à la disposition des forces mises à contribution non loin de Touba. Ce fut ensuite la résidence surveillée en Mauritanie, précisément au village de Saut Aimah, où réside un grand marabout du nom de Cheikh Sidiya Baba. Puis, ce fut le village de Thiéyène dans le département de Louga qui l’accueillit. Situation qui dura jusqu’en 1912, date à laquelle il s’installa à Diourbel.
D’ailleurs, c’est là où il construisit sa première mosquée dont la demande d’édification a été formulée en 1925. A côté de l’édifice, il avait également construit une bibliothèque (Daaray Kamil) qui, en réalité, est un temple du savoir où sont dispensées des études islamiques très approfondies et où l’on lit quotidiennement l’intégralité des Saintes Ecritures plus de vingt fois. C’est donc de façon fructueuse et utile pour son prochain que vécut Serigne Touba jusqu’à son rappel à Dieu, le 19 juillet 1927 à Diourbel. Il repose dans la mosquée de Touba dont il avait tracé les contours et défini les fonctions à l’image de ce que le Sceau des Prophètes (Saws) avait fait de Madinatoul Mounawara.
Située en plein cœur de Touba et visible à sept kilomètres de la ville sainte, la Grande Mosquée reste le symbole le plus marquant du triomphe de Cheikh Ahmadou Bamba dans son combat contre les ennemis de l’Islam.
C’est en 1926, avant même son départ en exil, que Khadimou Rassoul a eu à lancer la construction de la Grande Mosquée de Touba. Une façon pour le saint homme de traduire en actes son culte du travail grâce à la réalisation de cette œuvre majestueuse et gigantesque. Parallèlement à ce projet qui lui tenait particulièrement à cœur, sa foi inébranlable allait pouvoir se manifester à travers l’exil auquel les colonisateurs croyaient l’avoir contraint, mais qui n’était pour lui que le meilleur moyen d’en découdre avec ces ennemis de l’Islam et défendre des causes ; Ainsi se résume donc l’enseignement de Cheikh Ahmadou Bamba à travers ce fameux binôme qui lui était si cher : le travail et la foi. Le travail à travers la réalisation des travaux de la Grande Mosquée de Touba et la foi au prix de son départ en exil.
Dès lors, il avait choisi d’indiquer lui-même et avec précision l’emplacement où devait s’ériger la Grande Mosquée, symbole de son triomphe sur les ennemis de l’Islam. A croire que c’est en récompense à son action en faveur de l’Islam que le Tout-Puissant rendra faciles les conditions de sa réalisation. Preuve que le projet cher à Serigne Touba avait remporté l’adhésion de la Création et des hommes, ce sont les talibés eux-mêmes, dans un élan de générosité et de bravoure, qui apporteront les premières pierres destinées à la construction de ce monument islamique unique en Afrique que Serigne Touba tenait à réaliser à la gloire d’Allah.
Ayant la bénédiction du Cheikh, les travaux seront correctement exécutés par ses fils et successeurs, Cheikh Mouhamadou Moustapha Mbacké, premier khalife de Cheikh Ahmadou Bamba, qui reçut en bail de l’administration un terrain de 400 hectares. Et la diligence avec laquelle les travaux seront conduits montre à quel point Serigne Touba avait la bénédiction du Tout--Puissant en recommandant la construction de l’édifice. En effet, l’adhésion massive des talibés n’a jamais fait défaut soit par leur participation active aux travaux, soit par les dons qu’ils versaient de gaieté de cœur au khalife de Serigne Touba pour la poursuite de la construction. C’est donc tout naturellement que le vœu le plus cher à Khadimou Rassoul sera exaucé.
Et le vendredi 7 juin 1963, le second Khalife de Bamba, El Hadji Mouhamadou Fallilou Mbacké, procéda à l’inauguration du sanctuaire en présence de plus de 70 000 fidèles fiers de l’héritage que leur Cheikh leur a légué. Car la réalisation de cet édifice dont la grandeur n’a d’égale que la foi incommensurable de son auteur, demeure à ce jour la preuve la plus évidente qu’armé de sa volonté et de sa détermination, le Cheikh est parvenu à triompher de ceux-là qui n’avaient d’autre visée que de voir s’éteindre la flamme de l’Islam. Mais Serigne Touba aura donc réussi à la maintenir bien haute au prix de 32 années de dur labeur, 1 800 000 heures de travail et 4 800 tonnes de pierres, de sable et d’acier. Toutes choses qui auront permis à son œuvre gigantesque de sortir de terre.
Une mosquée unique dans son genre
La première singularité de la grande mosquée de Touba tient à sa situation géographique. Située en plein cœur de Touba, elle est l’épicentre de la cité religieuse et en impose par sa masse. Visible jusqu’à 10 kilomètres de la ville sainte et quelle qu’en soit la direction, la Grande Mosquée est unique dans son genre sur l’ensemble du continent noir. Elle est célèbre par ses cinq minarets -autant qu’il y a d’heures de prières dans une journée- dont quatre de 66 mètres de haut et un de 86,80 mètres. Le tout surmonté de trois grandes coupoles. Elle est si gigantesque et sa capacité d’accueil si énorme qu’elle n’a jamais souffert de quelque affluence. Ses six grandes portes dont une à l’Est, une autre à l’Ouest et deux sur chaque côté latéral permettent une parfaite fluidité en toutes circonstances.
La Grande Mosquée de Touba : Lieu de piété et de dévotion par excellence
De par sa stature, la Grande Mosquée de Touba renvoie au style arabe et aux mosquées les plus célébrés à travers le monde comme celle de Cordoue. Dans son enceinte, repose Cheikh Ahmadou Bamba dont le mausolée, édifié à l’angle nord-est du bâtiment, confère une valeur symbolique singulière à ce sanctuaire. D’une superficie de 10/10 et rehaussé de tissus en velours brodés de lettres coraniques représentant les trois versets « Fatiha », « Ya Sin » et « Moulk », ce mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba rappelle, à bien des égards, la Ka’ba.
D’où le grand nombre de pèlerins qu’il accueille quotidiennement et singulièrement durant le Grand Magal. Symbole le plus achevé de religiosité pour l’Islam, la Grande Mosquée de Touba n’échappe pas à la règle. Lieu de piété et de dévotion par excellence, elle abrite quotidiennement des séances de lecture du Coran. Le livre Saint y est lu en intégralité et quotidiennement à 28 reprises. La meilleure façon de perpétuer l’attachement profond de son auteur aux enseignements du Tout-Puissant. Et c’est la raison pour laquelle la Grande Mosquée de Touba a toujours été le principal centre d’intérêt de tous les Khalifes qui se sont succédé à la tête de la communauté mouride depuis la disparition de Cheikh Ahmadou Bamba.
Ainsi, Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, premier Khalife de Serigne Touba en a démarré les travaux, avant que son successeur Serigne Falilou Mbacké ne les achève pour ensuite procéder à son inauguration. Quant à Serigne Abdou Lahad, il en a assuré les travaux d’agrandissement avant de passer le relais à Serigne Abdou Khadre. Et enfin, le Khalife Serigne Saliou Mbacké de s’inscrire dans la lignée de ses dignes prédécesseurs avec l’installation d’une sonorisation d’une portée de 12 km, l’embellissement du mausolée de Cheikh Ahmadou Bamba ainsi que la rénovation et la recomposition du décor des minarets. Quant à Serigne Mourtada Mbacké, sans avoir été Khalife, il en a toujours assuré l’imamat jusqu’à son rappel à Dieu.
(Source La Voix de Touba Spécial Magal 2010) MAME TALLA DIAW